Le Grenelle des violences conjugales a débuté le 3 septembre dernier. Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargé(e) de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations a précisé fin août les premières mesures.

Décryptage par Stéphane Detraz, Enseignant-chercheur à Université Paris Sud (Paris Saclay), faculté Jean Monnet, IDEP.

Certaines mesures évoquées dans le Grenelle peuvent interroger sur la compatibilité avec la présomption d’innocence ou leur constitutionnalité

Les crimes perpétrés à l’encontre des femmes ont-ils des traductions au niveau juridique ?

À en croire certains écrits, on peut appeler « fémicide » – mot ignoré, notamment, du Petit Robert – l’homicide dont la victime est spécifiquement une femme. Le « féminicide » consiste quant à lui, dans un sens connoté, en l’homicide (généralement intentionnel) commis sur la personne d’une femme, en raison précisément de son sexe, par un homme. À la vérité, toute entreprise de définition se heurte à l’imprécision intrinsèque du vocable, puisque ce dernier est de formation relativement récente (fin du XIXe s.) et d’emploi rare.

Tel qu’il s’impose dans le débat de ces jours derniers, le « féminicide » apparaît désigner l’homicide d’une femme qui intervient au sein d’un couple, souvent comme apogée d’une suite de violences subies par celle-ci. Mais, dans ce cas, le motif sexuel ou sexiste ne semble plus se vérifier : l’intéressée n’est pas tuée parce qu’elle est femme, mais parce qu’elle est la compagne de l’auteur des faits. L’hypothèse se distingue donc très nettement de celle dans laquelle, par exemple, une personne lambda est victime d’un meurtre en raison de son orientation ou identité sexuelles. L’on peut cependant estimer que le « féminicide » évoqué dans le contexte actuel n’est pas dénué de tout caractère sexiste, à la condition de l’envisager d’un point de vue sociologique : les faits de violences conjugales se commettent principalement, et de loin, à l’encontre des femmes, ce qui s’expliquerait par une « domination » (le terme même se retrouve sur le site « stop-violences-femmes » du Gouvernement) masculine.

Actuellement, comment sont encadrés et punis les meurtres ou actes de violence commis dans le cadre du couple ou en raison de l’identité de genre de la victime ?

Les faits que l’on qualifie de « féminicide » sont naturellement pénalement répréhensibles, mais en vertu de textes qui ne sont pas propres aux femmes : le droit pénal est égalitaire. Ces faits constituent ainsi pour l’essentiel soit un meurtre ou un assassinat (articles 221-1 et 221-3 du Code pénal), si le décès est recherché par leur auteur, soit le crime de violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner (article 222-7), dans le cas contraire.

Ces infractions sont néanmoins assorties de circonstances aggravantes, dont l’une convient tout particulièrement au « féminicide », à savoir lorsqu’elles sont commises « par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité » (article 221-4, 9°), y compris s’il n’y a pas cohabitation (article 132-80, alinéa 1er). Est assimilé à cette hypothèse le cas dans lequel les faits sont réalisés par l’ancien conjoint, concubin ou partenaire, en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime (article 132-80, alinéa 2).

L’aggravation des peines opère également lorsque le crime est commis à l’encontre de la victime « à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée » (article 132-77). Mais la loi du 27 janvier 2017 a eu la mauvaise idée d’exiger que le crime soit alors « précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature » qui établissent que tel est bien le motif poursuivi, ce qui risque de poser des problèmes de preuve. Jusqu’alors, le mobile sexuel suffisait : il n’était pas besoin de vérifier l’existence des éléments de faits précités (ancien article 221-4, 7°). En outre, comme il a été dit précédemment, le « féminicide » auquel le Gouvernement veut s’attaquer ne peut sans doute pas être considéré, juridiquement, comme perpétré à raison du « sexe » de la victime.

S’agissant des violences non mortelles (articles 222-9 et suivants du Code pénal), les mêmes circonstances aggravantes s’appliquent.

 

Quels seraient les risques juridiques potentiels qui pourraient être générés par les annonces qui ont été faites lors de ce Grenelle ?

Le « Grenelle des violences conjugales » dit envisager l’adoption de « mesures fortes ». Cependant, peu de choses sont à attendre en droit, car le dispositif d’ores et déjà en vigueur est très substantiel. Outre les incriminations et circonstances aggravantes précitées (auxquelles on peut ajouter, par exemple, le délit de harcèlement conjugal), l’on notera tout particulièrement que, en cas de violences, les articles 515-9 et suivants du Code civil prévoient des mesures de protection au profit des personnes victimes de leur actuel ou ancien conjoint, concubin ou partenaire, qui sont adoptées au moyen d’une « ordonnance de protection ».

Le « Grenelle » entend donc en réalité soit mettre en place de nouveaux moyens matériels (créer des places d’hébergement supplémentaires, etc.), soit promouvoir le recours aux outils préexistants (déployer l’attribution du téléphone « grave danger » prévu par l’article 41-3-1 du Code de procédure pénale, faire mieux connaître l’ordonnance de protection précitée, etc.).

Une mesure semble cependant nouvelle : le bracelet anti-rapprochement. En réalité, elle existe déjà : c’est le système dit « DEPAR » (pour « dispositif électronique de protection anti-rapprochement), issu de l’article 6, III, de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Notons pour terminer que, dans son actualité numérique, le Gouvernement déclare vouloir « protéger la mère et ses enfants en limitant l’exercice de son autorité parentale par le père violent », notamment au moyen de la « suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de féminicide dès la phase d’enquête ou d’instruction ». Si une telle évolution – dont il faudrait examiner la pleine compatibilité avec la présomption d’innocence – voyait effectivement le jour, elle devrait cependant englober également les femmes et les mères, sous peine d’inconstitutionnalité. Il s’agit au demeurant de protéger non pas les femmes exclusivement et pour elles-mêmes, mais celle ou celui qui, dans le couple, subit le comportement de l’autre, que ce dernier soit homme ou femme – ainsi que les éventuels enfants.

Pour aller plus loin :

Par Stéphane Detraz.