L’Assemblée nationale a adopté le 3 octobre au soir, un amendement présenté par le député du Rhône, Jean-Louis Touraine et treize autres députés La République en marche (LRM), prévoyant la retranscription de la filiation des enfants issus d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger.
Le vendredi 4 octobre, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a mis un terme à la célèbre affaire Mennesson dont les jumelles étaient nées par GPA en Californie il y a 19 ans en validant le concept de la « mère d’intention ».

Décryptage avec Antoine Gouëzel, Professeur de droit privé à l’Université de Rennes 1.

« La Cour a conclu que la retranscription intégrale des actes de naissance était compatible avec le droit à la vie privée des enfants »

Dans quel contexte intervient cette décision ?

La question est celle de la filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui régulièrement réalisée à l’étranger. La jurisprudence a connu une longue évolution sur ce point. Initialement, les tribunaux s’opposaient à tout établissement de la filiation, en considérant qu’il y avait là une fraude à la loi française et que la gestation pour autrui violait les principes fondamentaux de notre système juridique. C’est la solution qui a été retenue à l’encontre des époux Mennesson en 2011. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour cette position en 2014 dans cette même affaire. La Cour de cassation s’est rapidement inclinée en opérant un revirement de jurisprudence dès 2015.

Toutefois, les époux Mennesson se sont heurtés à l’autorité de la chose jugée dès lors que leur cas avait été définitivement tranché par les juges français. Ils ont donc utilisé la nouvelle procédure de réexamen des décisions de justice en matière civile, créée par une loi du 18 novembre 2016. La Cour de réexamen a fait droit à leur demande le 16 février 2018.

L’affaire a alors été transmise à l’assemblée plénière de la Cour de cassation. Le 5 octobre 2018, celle-ci a décidé de demander, pour la première fois, un avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme, en application du protocole additionnel n° 16 qui venait d’entrer en vigueur. La CEDH a rendu son avis le 10 avril 2019. Il appartenait donc désormais à la Cour de cassation de trancher cette affaire, ce qu’elle a fait par la décision commentée.

Jusqu’alors, la Cour de cassation décidait que, dans une situation comme celle de l’espèce où l’acte étranger désigne comme père le père biologique français et comme mère son épouse, seule une transcription partielle portant sur la filiation paternelle pouvait être admise. En revanche, la filiation maternelle ne pouvait être transcrite car, sur ce point, l’acte de naissance ne correspond pas à la réalité. Cependant, l’épouse du père peut adopter l’enfant dès lors que les conditions légales sont réunies ; il s’agit en particulier de vérifier que l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant.

Dans son avis consultatif, la Cour européenne a estimé, en s’appuyant sur l’intérêt supérieur de l’enfant, que « le droit au respect de la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention, d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ». Elle a reconnu que le moyen permettant d’établir ce lien de filiation relevait de la marge nationale d’appréciation, « à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre ».

Qu’a décidé la Cour de cassation ?

La cassation était inévitable : l’arrêt soumis à l’assemblée plénière à la suite de la procédure de réexamen avait en effet refusé toute transcription de l’acte de naissance étranger, y compris pour le père biologique de l’enfant.

L’originalité réside dans la suite de l’arrêt. La Cour décide en effet de statuer au fond, ce que la loi lui permet lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie. Il ne fait guère de doute que tel était le cas en l’espèce : l’affaire dure depuis quinze ans et a donné lieu à une vingtaine de décisions de justice ; on comprend que la Cour ait voulu y mettre fin.

Mettant alors en œuvre le contrôle de proportionnalité désormais bien connu, elle recherche le moyen qui permet d’établir le lien de filiation maternelle et est compatible avec le droit à la vie privée des enfants. Elle estime que l’adoption ne constitue pas une voie appropriée en l’espèce dans la mesure où elle supposerait l’introduction d’une nouvelle instance, et donc un délai supplémentaire. Le rapporteur comme le Procureur général avaient d’ailleurs souligné les incertitudes entourant la possibilité de recourir à l’adoption plénière au regard de l’âge des deux enfants, désormais majeures ; la Cour n’en dit cependant pas mot. L’adoption simple était quant à elle certainement envisageable, mais elle produit des effets légèrement différents.
La Cour écarte par ailleurs le recours à la possession d’état – c’est-à-dire la réalité sociologique – qui, « à supposer que les conditions légales en soient réunies, ne présente pas les garanties de sécurité juridique suffisantes dès lors qu’un tel lien de filiation peut être contesté ». Elle en conclut donc que seule la transcription intégrale des actes de naissance, y compris pour la filiation maternelle, est compatible avec l’article 8.

Quelle est la portée de cet arrêt ?

Il faut d’abord souligner qu’il s’agit finalement d’un arrêt d’espèce, dépendant intimement des circonstances de fait. C’est parce que l’affaire dure depuis si longtemps que la Cour estime que l’adoption n’est pas adaptée et ordonne la transcription. On peut donc considérer que l’adoption a vocation à rester la voie « normale » d’établissement de la filiation à l’égard de la mère d’intention.

Remarquons ensuite que, dans chaque décision relative à cette affaire, les juridictions saisies ont franchi une nouvelle étape dans la reconnaissance des gestations pour autrui réalisées à l’étranger, ce qui pose question. La Cour de cassation en 2018, alors qu’elle aurait pu trancher l’affaire en l’état de la jurisprudence de la Cour européenne, a préféré lui transmettre une demande d’avis ; la Cour de Strasbourg, alors que toutes ses décisions laissent à penser que la question de la filiation maternelle relevait de la marge nationale d’appréciation, a imposé la reconnaissance de ce lien ; et la Cour de cassation aujourd’hui, qui aurait pu renvoyer les parties à l’adoption, a admis pour la première fois la transcription de l’acte de naissance pour la filiation maternelle.

Il est enfin plus que jamais possible de s’interroger sur la portée que conserve aujourd’hui l’article 16-7 du Code civil, qui prohibe la gestation pour autrui. Il suffit en effet d’aller à l’étranger pour obtenir le résultat défendu. La violation de cet interdit, que le gouvernement actuel a encore qualifié de « ligne rouge », n’est plus assortie d’aucune sanction.

Pour aller plus loin :

Par Antoine Gouëzel.