Par Joana FALXA, Maître de conférences à l’Université de Pau et des pays de l’Adour

Le régime des fouilles en matière pénitentiaire présente une certaine complexité, renforcée par les évolutions législatives de ces dernières années. Le tribunal administratif de Versailles a rendu le 4 juillet 2023 un jugement qui met en lumière les diverses modalités de fouilles prévues à ce jour, sans toutefois répondre aux préoccupations de fond quant à la conventionnalité du régime légal de fouilles intégrales systématiques.

Quel est l’intérêt du jugement rendu par le TA de Versailles le 4 juillet 2023 ?

Une détenue dénonçait les conditions dans lesquelles elle avait été soumise à un régime exorbitant de fouilles intégrales mais également à des fouilles individuelles hors de ce régime au cours de sa détention provisoire à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis du 11 décembre 2020 au 23 avril 2021. Elle était prévenue pour des faits de terrorisme et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes. Le juge administratif était saisi d’une demande indemnitaire en raison d’une faute commise par l’État du fait de ces fouilles, considérées comme attentatoires à la dignité humaine par la requérante. Cette décision présente l’intérêt de traiter des divers régimes de fouilles prévus par la loi puisque la requérante contestait l’ensemble des fouilles auxquelles elle avait été soumise, sous divers régimes.

Les fouilles constituent en détention un moyen de contrôle en vue d’assurer la sécurité et de prévenir la commission de fautes ou d’infractions au sein de l’établissement pénitentiaire ; elles ont pour but de chercher des substances ou objets prohibés ou dangereux sur la personne détenue. Ces mesures invasives de la sphère intime de la personne détenue (toucher corporel, nudité) sont susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine lorsqu’elles sont pratiquées de manière arbitraire ou abusive.

Quelles sont les modalités et régimes de fouilles prévus par les textes en matière pénitentiaire ?

Avant de recourir aux fouilles, il faut privilégier l’emploi de moyens électroniques de détection. Ce n’est que si ces moyens s’avèrent insuffisants ou qu’ils ne sont pas disponibles que la fouille corporelle peut être envisagée. Il existe trois modalités de fouilles. La première est la fouille par palpation, qui consiste à palper le corps habillé de la personne détenue. La deuxième est la fouille intégrale, également appelée « fouille à corps ». Elle implique la mise à nu de la personne détenue devant un agent de même sexe afin de vérifier que celle-ci ne dissimule pas d’objet ou de substance susceptible d’échapper à une détection par matériel technique (portiques, détecteurs manuels) ou par une fouille par palpation, répondant ainsi à une exigence de subsidiarité. La troisième modalité de fouille est celle de la fouille interne, également appelée investigation corporelle interne. Cette modalité de fouille n’est possible qu’en raison d’un impératif spécialement motivé, et elle consiste en un examen effectué par un médecin exerçant hors de l’établissement sur prescription de l’autorité judiciaire (radiographie ou contrôle des cavités buccales, anales ou vaginales).

Seules les deux premières modalités sont susceptibles d’être exercées par les autorités pénitentiaires, et dans la pratique, seule la fouille intégrale soulève des difficultés du point de vue du respect de la dignité humaine et de la vie privée. Les fouilles intégrales, en raison du risque d’atteinte qu’elles supposent aux droits des personnes détenues, sont particulièrement encadrées par la loi. Elles doivent en principe répondre à une double exigence de nécessité et de proportionnalité.

Dans l’affaire qui nous intéresse, le texte applicable à l’époque des faits était l’article 57 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite pénitentiaire, (à présent art. L.225-1 à L.225-3 du code pénitentiaire, entré en vigueur le 1er mai 2022) et qui, dans une rédaction alambiquée, prévoit quatre régimes de fouilles intégrales distincts :

Le premier est le régime des fouilles intégrales individuelles « classique » : il s’applique en cas de présomption de commission d’une infraction ou en raison des risques que le comportement de la personne détenue fait courir à la sécurité des personnes ou au maintien du bon ordre dans l’établissement. Il est précisé que la nature et la fréquence des fouilles sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité de la personne détenue visée par la mesure.

Le deuxième, ajouté par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, prévoit la possibilité mise en place de fouilles sans tenir compte de la personnalité de la personne détenue dans certains lieux et pour une période déterminée lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement d’objets ou substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes et des biens. Ces fouilles font l’objet d’un encadrement formel strict.

Le troisième régime est celui dit « régime exorbitant de fouilles intégrales », dont la pratique avait été exclue par l’article 57 issue de la loi pénitentiaire, mais qui avait à nouveau été admise par le juge des référés du Conseil d’État dans une ordonnance du 6 juin 2013, et ensuite légalisée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation de 2018-2022 et de réforme pour l’institution judiciaire. Il s’agit d’un régime de fouilles systématiques qui s’applique « lorsque les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l’imposent », en lien avec le comportement ou la personnalité de la personne détenue.

Le quatrième régime de fouilles intégrales est un régime prévu « en creux », puisqu’il s’applique systématiquement lorsque « les personnes détenues accèdent à l’établissement sans être restées sous la surveillance constante de l’administration pénitentiaire ou des forces de police ou de gendarmerie », donc après tout mouvement à l’extérieur (permission de sortir, extraction judiciaire, rendez-vous médical, aménagement de peine, etc.).

Qu’a décidé le tribunal administratif de Versailles dans cette affaire ?

Le tribunal analyse tour à tour les divers régimes de fouilles appliqués à la prévenue afin de déterminer si, d’une part, les fouilles pratiquées l’avaient été de manière illégale, et, d’autre part, si les éventuelles illégalités constatées pouvaient donner lieu à indemnisation.

Concernant en premier lieu le régime dit « exorbitant » de fouilles intégrales, il convient de relever une incohérence au sujet de ce régime dans la décision commentée. En effet, celle-ci reprend in extenso la motivation et le raisonnement tenu par le Conseil d’État dans une décision du 21 novembre 2018. Or, à l’époque, le juge administratif constatait que ces fouilles « ne sauraient revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un des motifs qu’elles prévoient, en tenant compte notamment du comportement de l’intéressé, de ses agissements antérieurs ou des contacts qu’il a pu avoir avec des tiers », conformément à ce que prévoit d’ailleurs la jurisprudence de la CEDH en la matière (v. par exemple CEDH, El Shennawy c/ France, 20 janv. 2011). A ce jour néanmoins, et ce depuis 2019, la loi prévoit expressément la possibilité de recourir à des fouilles systématiques, à présent à l’art. L. 225-1 du code pénitentiaire. Cette solution contradictoire n’est pas isolée, plusieurs tribunaux administratifs ayant adopté le même raisonnement sans relever la contradiction évidente entre la lettre du texte et la jurisprudence antérieure du Conseil d’État (v. par exemple TA Strasbourg, 1er fév. 2023, n° 2102080). Une telle contradiction, au-delà du risque d’incompréhension pour le justiciable, a la malencontreuse conséquence d’occulter précisément l’un des points les plus intéressants de ces affaires, celui de la conventionnalité du principe même de ces régimes de fouilles systématiques.

Évitant de se prononcer sur cet aspect fondamental, le juge administratif valide plusieurs des fouilles exercées sous différents régimes malgré le constat d’illégalités formelles. Ainsi, le vice d’incompétence et le défaut de motivation affectant l’adoption du régime exorbitant de fouilles, ou l’absence de traçabilité des décisions de fouilles lors des extractions judiciaires ne suffisent pas, aux yeux du tribunal administratif, à fonder un droit à indemnisation en raison de l’absence de lien entre ces vices et le préjudice invoqué. Une discussion pourrait utilement avoir lieu sur ce point, car certains de ces vices (défaut de motivation, incompétence) obèrent toute possibilité de contrôle réel sur l’appréciation qui est faite du caractère nécessaire et proportionné de ces mesures de fouilles lors de leur adoption. Pour admettre le recours au régime de fouilles exorbitant, le juge s’appuie essentiellement sur des arguments tirés du profil pénal de la requérante. Pour valider ensuite les fouilles effectuées lors des entrées et sorties de détention, le tribunal retient cette fois les risques d’introduction d’objets prohibés ou dangereux que font encourir les contacts avec des tiers rendus possibles par les sorties de l’établissement. Il souligne à chaque fois le respect de l’exigence de subsidiarité, et relève que les fouilles ont été pratiquées dans des conditions qui ne sont pas par elles-mêmes attentatoires à la dignité humaine. Le juge écarte donc les prétentions de la requérante sur ces points.

Il se livre ensuite au contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de deux autres des mesures de fouilles, pratiquées cette fois à l’occasion de fouilles de la cellule de la requérante, en dehors des cadres ci-dessus évoqués. En l’espèce, le juge conclut à l’absence de nécessité et de proportionnalité de ces mesures en raison du défaut d’éléments justifiant le recours à ces fouilles (absence de comportement, d’agissements, ou de contacts avec des codétenus ou des tiers) et condamne l’État à indemniser la requérante à hauteur de 200 € pour les deux fouilles subies de manière injustifiées.

Que peut-on retenir de cette décision ?

Deux aspects en particulier sont à retenir ici : le premier est relatif au montant de l’indemnisation. Il ressort de l’analyse de la jurisprudence administrative que le barème d’indemnisation pour une fouille injustifiée est fixé à 100€. Or, toute fouille injustifiée constitue, de facto, une atteinte au droit au respect de la dignité humaine (art. 3 Conv. EDH). La CEDH a déjà eu l’occasion de relever le caractère trop faible du montant des réparations octroyées par le juge français dans le cas d’atteinte à l’article 3 du fait de conditions de détention contraires à la dignité humaine, retirant de fait toute effectivité au recours exercé (CEDH, Barbotin c/ France, 19 nov. 2020, n° 25338/16). À titre de comparaison, en matière de fouilles, la CEDH a prononcé une satisfaction équitable de 12 000€ pour un ensemble de onze fouilles injustifiées, doublées il est vrai de l’absence de voie de recours effective (CEDH, Roth c. Allemagne, préc.).

Le second point à relever est celui de l’absence de réponse, à ce jour encore, quant à la conventionnalité des régimes de fouilles systématiques réinstaurés au sein de la législation française en 2016 et 2019. Tout porte à croire que ces régimes, à défaut de garanties suffisantes et de contrôle in concreto approfondi, ne satisfont pas aux exigences minimales de proportionnalité et de personnalisation des mesures de fouilles exigées par la jurisprudence européenne. Il faudra toutefois, pour vérifier cela, attendre de nouvelles décisions du juge administratif ou, à défaut, des juges de Strasbourg à ce sujet.