Muriel Pénicaud a présenté au début du mois sa réforme de la formation professionnelle, annonçant un « big bang ». Après examen du texte, qu’en est-il réellement ?

Décryptage par Frédéric Guiomard professeur de droit  à l’Institut de droit privé de l’Université Toulouse 1 Capitole.

« La réforme évoque un grand écart entre l’ambition de placer la formation au cœur de l’évolution sociale et économique et la confiance dans une régulation qui ne laissera que peu de marge aux pouvoirs publics »

Comment comprendre l’annonce par la Ministre du travail d’une nouvelle réforme de la formation professionnelle alors que les partenaires sociaux venaient d’achever une négociation collective sur ce terrain ?

La formation professionnelle a fait l’objet de multiples réformes depuis une vingtaine d’années, traduisant une insatisfaction croissante des pouvoirs publics à l’égard d’un système jugé comme coûteux, insuffisamment efficace et trop opaque. Thème devenu très politique, elle a fait l’objet de réformes successives, promettant de nouveaux outils destinés à renforcer la formation des salariés, à simplifier l’organisation et à remédier aux inégalités qui caractérisent le système français, qui profite en majorité aux salariés les plus qualifiés des grandes entreprises. Les réformes successives, menées en accord entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics n’ont que modestement infléchi cette tendance.

Le refus de la Ministre du travail Muriel Pénicaud de ne pas se contenter de reprendre dans la loi l’accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux le 22 février dernier montre donc une volonté de rupture, qualifiée par la Ministre elle-même de « big bang ». Son souhait paraît être d’impulser des réformes d’une ampleur nouvelle.

Quels sont les principaux signes d’une mutation du droit de la formation professionnelle ?

La rupture est surtout nette en ce qui concerne l’organisation institutionnelle de la formation professionnelle. L’ensemble de notre système a été fondé, depuis 1971, sur une forte implication des partenaires sociaux. Ceux-ci sont présents aussi bien dans la détermination des mécanismes juridiques qui organisent la formation que dans la gestion des fonds de la formation ou le pilotage des organismes de formation. Cette place essentielle des entreprises et des syndicats ne peut que conduire à centrer la formation sur les besoins productifs de l’entreprise à court et moyen terme.

Les pouvoirs publics, de leur côté, sont surtout préoccupés par la situation de l’emploi et en particulier l’insuffisante qualification d’une part significative de la main d’œuvre, sortie sans qualification du système éducatif. Faute de fonds suffisants pour former les demandeurs d’emploi, le souhait est de redéployer une partie significative des fonds de la formation vers les publics les plus éloignés de l’emploi. Le sens donné au droit à la formation se transforme alors progressivement, désormais mis au service de ce que l’on appelle l’employabilité c’est-à-dire l’adéquation des compétences des salariés aux besoins du marché du travail.

Les partenaires sociaux – qui sont par ailleurs acteurs, à travers l’assurance chômage, des politiques de l’emploi- sont loin d’être restés insensibles à une telle perspective et ont impulsé nombre de réformes depuis plus de vingt ans pour adapter la formation professionnelle aux besoins du marché du travail.

Bien que les partenaires sociaux, par leur accord conclu le 22 février 2018, aient poursuivi cet effort de mutation de la formation, l’évolution ne semblait pas suffisante au regard du projet porté lors de la campagne électorale de 2017. La Ministre a annoncé une nouvelle organisation institutionnelle. Celle-ci exigera une révolution de la collecte des fonds, qui seront soustraits aux réseaux paritaires et confiées aux l’URSSAF, organismes collecteurs des caisses de sécurité sociale. Les pouvoirs publics y trouveront une souplesse sur les choix de redistribution des fonds entre les différents publics bénéficiaires. Les organismes paritaires de la formation (OPCA) seront réduits au rôle « d’opérateurs de compétences », chargés d’expertiser les besoins du marché du travail. Une évolution qui fait peu de cas du sort de la démocratie sociale à un moment où le dialogue social est présenté comme une question clé de toute réforme.

Quelle sera la portée véritable d’une telle évolution ?

Il est encore trop tôt pour le déterminer. L’annonce d’un investissement financier de 15 milliards d’euros en cinq ans, au profit des plus vulnérables, signe un véritable effort en ce domaine.

Mais on peut aussi se demander si les pratiques de formation vont évoluer aussi rapidement que l’espère la Ministre. Le cœur du dispositif mise en effet sur une conception politique très libérale de la formation. Dans le prolongement des réformes précédentes, la Ministre souhaite concentrer désormais les dispositifs d’accès à la formation dans le seul Compte personnel de formation (C.P.F.), perçu comme un outil à la disposition des choix de l’individu, qui seront éclairés par l’aide d’un conseil en évolution professionnelle aux attributions renforcées et par le jeu d’applications mobiles permettant de choisir une formation comme on réserve un véhicule de tourisme avec chauffeur. Nul doute qu’une telle orientation profitera davantage à ceux qui sont dotés des meilleurs accès à l’information et d’une compréhension de l’enjeu de l’évolution des qualifications.

Par ailleurs, le projet de déterminer les droits des salariés non plus en volume d’heures de formation mais en euros, tout en promettant de « libérer l’innovation pédagogique », de desserrer le contrôle sur les actions de formation et de laisser plus de liberté dans le recours des entreprises à la formation peut-il être de nature à permettre une véritable inflexion des pratiques existantes ? Les pouvoirs publics ne vont-ils pas se contenter désormais de solvabiliser le marché de la formation sans véritablement pouvoir l’orienter ?

Tout autant que de big-bang, la réforme évoque donc un grand écart entre une forte ambition de placer la formation au cœur de l’évolution sociale et économique et la confiance dans une régulation qui ne laissera que peu de marge aux pouvoirs publics sur les orientations qui seront données à la formation par les acteurs du marché de la formation.

Par Frédéric Guiomard