Par Xavier Cabannes, Professeur à l’Université de Paris, président de la Société française de finances publiques

La défiscalisation des dons en faveur des associations est un sujet délicat. Si cette pratique est nécessaire pour inciter à la générosité, elle se doit d’être assez encadrée et contrôlée pour éviter les abus et prévenir les fraudes.

Quel est le régime fiscal des dons faits aux associations ?

C’est là un vaste sujet. Deux constats pour commencer.

D’une part, il existe un cadre juridique, que je qualifierais de généreux, pour organiser une défiscalisation des dons ; la Cour des comptes, dans son référé (S2020-1998) du 8 décembre 2020 sur la fiscalité des dons en faveur des associations, mis en ligne sur son site Internet le 10 février, a précisé que les associations, outre les subventions qu’elles touchent, bénéficient de 21 avantages fiscaux qui représentaient, en 2018, un peu plus de 3,7 milliards d’euros. Parmi ces avantages il y a bien évidemment le traitement fiscal des dons.

D’autre part, les règles fiscales relatives aux dons aux associations sont complexes, car variées et touchant divers impôts. Il est possible de schématiser grossièrement les choses, en restant sur les cas de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés.

D’une part, on trouve un régime de réduction d’impôt sur le revenu pour les dons faits notamment, comme le précise l’article 200 du CGI, à des fondations et associations reconnues d’utilité publique ou à des œuvres ou organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel. La réduction d’impôt sur le revenu sera ici égale à 66 % des sommes versées prises dans la limite de 20 % du revenu imposable. Si le don est fait à un organisme d’aide aux personnes en difficulté (fourniture gratuite de repas, aide au logement, fourniture gratuite de soins), le taux de la réduction d’impôt sur le revenu est alors de 75 % des versements, retenus, pour l’imposition des revenus 2020 et 2021, dans la limite de 1 000 euros.

D’autre part, on trouve le régime du mécénat qui va permettre aux entreprises de bénéficier d’une réduction de l’impôt, selon les cas, sur le revenu ou sur les sociétés. Dès lors qu’une entreprise soutient, sans contrepartie, par le biais du mécénat, notamment, une œuvre ou un organisme d’intérêt général ou une fondation ou association reconnues d’utilité publique, elle a droit à une telle réduction d’impôt, selon les conditions et limites fixées à l’article 238 bis du CGI.

Notre législation fiscale prévoit d’autres mécanismes de réduction d’impôt du fait de dons à des associations, comme en matière d’impôt sur la fortune immobilière (article 978 du CGI).

On le voit, ces mécanismes sont faits pour inciter à la générosité des particuliers ou des entreprises, notamment à l’égard des associations ; ces mécanismes mis en œuvre volontairement par les contribuables leur permettent, et je crois que c’est important, de disposer de ce qu’il est possible d’appeler un espace d’initiative : choisir de soutenir un projet ou payer de l’impôt. Dans notre monde (néo)libéral, notre législation fiscale encourage les dons et la philanthropie, notamment au bénéfice des associations, tout en en encadrant et limitant les effets fiscaux.

En quoi consiste les contrôles des dons aux associations ?

Il me semble que les contrôles actuels, marqués d’un jour « financier », peuvent être de deux ordres.

Tout d’abord, comme le souligne la Cour des comptes dans son rescrit de décembre dernier, il y a les contrôles qui peuvent être menés par l’administration fiscale et qui pour l’instant sont assez peu efficaces. Celle-ci peut contrôler, notamment, les associations qui délivrent des reçus fiscaux pour des dons ouvrant droit à un avantage fiscal. Les associations contrôlées doivent présenter à l’administration les documents et pièces permettant la réalisation du contrôle (article L. 14 A du LPF). Ces contrôles visent à prévenir les fraudes, dès lors que les reçus fiscaux sont délivrés sans agrément préalable. Mais le constat dressé par la Cour des comptes est sans appel : il y a de ce point de vue un contrôle insuffisant des dons défiscalisés faits aux associations, la procédure de contrôle ne permettant qu’un contrôle limité à « la concordance entre le montant des dons récoltés et celui des reçus fiscaux émis » mais ne permettant ni de vérifier l’éligibilité au régime du mécénat ni l’activité principale de l’association bénéficiaire. Nous pouvons ajouter que l’article 1740 A du CGI prévoit une sanction à l’encontre de l’organisme qui délivre des documents permettant à un contribuable d’obtenir indûment une réduction d’impôt. Cette disposition fait l’objet de peu d’applications ; un rapport parlementaire récent parle d’une douzaine par an.

Ensuite, une autre manière de contrôler les associations bénéficiant de dons passe par la Cour des comptes. En effet, celle-ci, comme le prévoient les articles L. 111-9 et L. 111-10 du CJF, peut contrôler le compte d’emploi des ressources collectées auprès du public par divers organismes, dont les associations, faisant un appel public à la générosité, « afin de vérifier la conformité des dépenses engagées par ces organismes aux objectifs poursuivis par un appel public à la générosité » ainsi que « la conformité entre les objectifs des organismes bénéficiant de dons ouvrant droit à un avantage fiscal et les dépenses financées par ces dons ». Par ces contrôles, la Cour des comptes protège non pas les finances de l’État mais les donateurs : elle leur garantit que l’argent versé aura été employé selon les objectifs affichés. La Cour mène régulièrement des contrôles d’associations, comme, ces dernières années, ceux de la SPA (rapport de 2017), de l’association SOS Éducation (rapport de 2020 qui a reçu un certain écho dans les médias du fait de la déclaration de non-conformité aux objectifs poursuivis par l’appel public à la générosité) ou encore de l’association Vaincre la mucoviscidose (rapport de ce mois de février). Mais ces contrôles se comptent chaque année sur les doigts d’une seule main : rien au regard des plus de 1,5 millions d’associations qui existeraient en France, même si toutes ne font pas appel à la générosité publique ou ne reçoivent pas de dons.

Que prévoit le projet de loi « contre le séparatisme », concernant les dons aux associations ?

Le projet de loi confortant le respect des principes de la République a été voté le mardi 16 février en première lecture par l’Assemblée nationale. Bien des choses peuvent évoluer d’ici le terme du travail parlementaire.

Le projet, tel que déposé par le Gouvernement, comporte diverses dispositions à caractère financier, par exemple en ce qui concerne les subventions versées aux associations et la signature d’un contrat d’engagement républicain – disposition largement commentée s’il en est – ou encore les donations entre vifs au profit des associations. Il n’est pas possible de tout évoquer ici (v., par ex., Ass. nationale, 2021, n° 3797).

Ce projet contient plusieurs dispositions à caractère fiscal intéressant directement les dons faits aux associations ; on peut ici retenir à titre principal les articles 10, 11 et 12. Il faudrait en réalité nombre d’explications sur ces trois articles du projet. Le premier vise à permettre à l’administration fiscale de vérifier si un organisme bénéficiaire de dons ouvrant droit à une réduction d’impôt (IRPP, IS ou IFI) satisfait aux conditions définies par le CGI ; il s’agit de permettre à l’administration, en modifiant l’article L. 14 A du LPF, de vérifier le bien-fondé de l’éligibilité aux réductions d’impôt des dons reçus, notamment par une association, tout en prévoyant des garanties procédurales. Le deuxième article impose aux organismes à but non lucratif, dont les associations, bénéficiaires de dons qui estiment être éligibles au régime fiscal du mécénat, de déclarer chaque année le montant cumulé des dons qu’ils reçoivent ainsi que le nombre de reçus délivrés. Le libellé de la disposition n’impose nullement de mentionner les particuliers ou entreprises destinataires des reçus fiscaux. En outre, à l’image de ce qui existe déjà pour les particuliers, les entreprises donatrices seraient tenues de présenter à l’administration fiscale les documents prouvant la réalité de leurs dons. Le troisième article vise à intégrer les actes de terrorisme, le recel, le blanchiment, la mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations et l’usage de menaces ou de pressions à l’encontre d’un agent public en vue de se soustraire aux règles du service public dans les motifs de suspension des avantages fiscaux bénéficiant aux donateurs à des organismes sans but lucratif. L’objectif du législateur est de donner de l’ampleur à l’article 1378 octies du CGI, qui pour l’instant prévoit qu’en cas de condamnation d’un organisme pour escroquerie ou abus de confiance, les dons effectués à son profit ne peuvent plus ouvrir droit au bénéfice d’un avantage fiscal.

Le projet de loi, tel que déposé par le Gouvernement, comporte aussi des dispositions (articles 28 et 35 notamment), modifiant la loi de 1905, spécifiques au financement des associations cultuelles. Selon le projet, les libéralités provenant de l’étranger en faveur d’une association cultuelle peuvent faire l’objet d’une opposition administrative en cas de menace affectant un intérêt fondamental de la société ; une telle opposition serait alors formulée par le préfet de département, après une coopération avec TRACFIN [1]. Ainsi, toute association cultuelle serait tenue de déclarer les ressources versées en numéraire dont elle bénéficierait de la part d’un État autre que la France, d’une personne morale étrangère ou d’une personne physique non-résidente en France. Sous couvert d’une disposition générale, il y a fort à penser que ce ne sont pas les financements en provenance de la Cité du Vatican qui sont ici implicitement visés par le gouvernement.

On le voit, ce projet comporte beaucoup d’éléments afin de renforcer les contrôles sur le financement des associations, et notamment cultuelles. Certaines de ces innovations sont d’ailleurs assez lourdes pour l’intendance des associations et sans doute aussi pour l’administration qui, face à la recherche permanente de la transparence, pour des motifs variés, se retrouve face à une masse toujours croissante de documents fournis automatiquement. Toutes ces perspectives d’évolution sont à suivre avec intérêt dans un État où « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ».

 

[1] Service de renseignement placé sous l’autorité du ministère de l’Action et des Comptes publics chargé de la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.