Par Francis Donnat, avocat associé, Baker McKenzie Paris, Expert du Club des juristes

L’entrée en vigueur, le 1er juillet dernier, du décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 modifie substantiellement les règles auxquelles sont soumises les plateformes de services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). De façon radicalement nouvelle, ce décret, qui achève la transposition de la directive 2018/1808 du 14 novembre 2018, permet d’assujettir les SMAD étrangers visant la France aux règles de contribution du financement de la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles qui s’appliquent aux services qui relevaient déjà de la compétence de la France.

Autrement dit, le décret impose aux plateformes de streaming telles que Netflix, Disney + ou Amazon Prime Vidéo des obligations comparables à celles existant déjà pour les diffuseurs nationaux tels que France Télévision ou TF1, qui consacrent une part de leur chiffre d’affaires au financement de la création audiovisuelle et cinématographique.

Quel chiffre d’affaires et quel lien avec la chronologie des médias ?

Le décret définit tout d’abord le chiffre d’affaires et la part de celui-ci devant être consacrés à ce financement. Pour les services qui ne sont pas établis en France, le chiffre d’affaires pris en compte est celui réalisé sur le territoire français. S’agissant des services, à l’image d’Amazon Prime, pour lesquels l’abonnement permet d’accéder à différents services de natures différentes, la part du chiffre d’affaires devant être prise en compte sera fixée par une convention signée entre l’éditeur du service et le CSA.

Le décret fixe la part du chiffre d’affaires ainsi défini devant être consacrée au financement de la création à 25% pour les plateformes qui proposent au moins un film par an moins de douze mois après sa sortie en salles en France, et à 20% dans les autres cas. Cette disposition du décret est, on le voit, étroitement liée aux discussions en cours sur une nouvelle chronologie des médias, qui définit les délais dans lesquels peuvent intervenir les différentes exploitations d’une œuvre cinématographique après sa sortie en salles. L’enjeu principal des discussions en cours est de savoir si le délai à partir duquel les plateformes de vidéos à la demande par abonnement peuvent proposer un film après sa sortie en salles sera réduit de 36 à 12 mois.

Quelles sont les dépenses éligibles pour les plateformes ?

Le décret définit précisément les dépenses éligibles au titre de l’obligation de contribution. Il s’agit principalement des dépenses consacrées au préachat de droits, à l’investissement en parts de producteurs ou au financement de travaux d’écriture.

Sont également éligibles les dépenses consacrées à l’adaptation aux personnes malentendantes ou malvoyante des œuvres prises en compte au titre de l’obligation. Le sont enfin les dépenses engagées pour sauvegarder ou restaurer des œuvres patrimoniales d’expression originale française. Le décret précise par ailleurs que, s’agissant du cinéma, seules sont prises en compte les dépenses engagées au titre de l’exploitation en France. Il n’est pas impossible de penser que cette dernière disposition pourrait s’avérer problématique au regard du droit de l’Union européenne et à son objectif de promouvoir la libre circulation des œuvres entre les Etats membres.

Quel pourcentage d’œuvres d’expression originale française est concerné ?

Le décret flèche enfin très précisément les dépenses devant être réalisées. Les proportions consacrées respectivement au financement de la création audiovisuelle et cinématographique seront fixées par les conventions conclues avec le CSA, sans que l’une de ces parts ne puisse être inférieure à certaines proportions.

Le décret précise par ailleurs que 75% des dépenses contribuant au financement du cinéma et 66% de celles contribuant au financement de la création audiovisuelle devront bénéficier aux producteurs indépendants, qui sortent renforcés par la réforme. Mettant la barre très haut, le décret dispose enfin que 85% des dépenses doivent être consacrées à des œuvres d’expression originale française (EOF). La presse s’était fait l’écho des remarques plus que réservées que ce pourcentage élevé avait soulevé de la part de la Commission européenne, à qui le projet de décret avait été notifié (Insight NPA, 14 avril 2021). Il est vrai que l’obligation de réserver une part de la contribution à des œuvres EOF peut être analysée comme une mesure affectant la libre prestation de services et que, si la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la protection de la diversité linguistique pouvait justifier de telles atteintes, c’est à la condition que celles-ci soient proportionnées.

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