Ajoutée lors du débat parlementaire, non sans réticences, dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019, la réforme de la justice pénale des mineurs est annoncée. L’idée d’un Code de justice pénale des mineurs n’est pas nouvelle, puisqu’un texte avait même été préparé après la remise du Rapport Varinard en 2008, sans jamais être soumis au Parlement.
Ce Rapport, issu d’une Commission de propositions de réforme de l’Ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants présidé par André Varinard, professeur de droit pénal à l’Université de Lyon, avait  été transmis au garde des Sceaux.
Le recours à une réforme par ordonnance permettra de réaliser cette ambition, en accélérant l’adoption du texte. Pour autant, s’il a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2019, le choix d’évincer le débat parlementaire rencontre de nombreuses oppositions.

Décryptage par Jean-Baptiste Perrier, professeur de droit à l’Université d’Aix-Marseille, directeur de l’Institut de sciences pénales et de criminologie

« Ces modifications traduisent la volonté d’adapter le texte aux évolutions de la délinquance des mineurs »

Nicole Belloubet souhaite réformer la justice des mineurs : pourquoi l’ordonnance de 1945 doit-elle être révisée ?

Les raisons avancées par la garde des Sceaux quant à la nécessité de réformer l’Ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante sont connues : elles tiennent à l’illisibilité du texte, d’une part, et à l’évolution de la délinquance des mineurs, d’autre part.

S’agissant du texte lui-même, l’ordonnance de 1945 a été modifiée près de cinquante fois, et elle l’est encore avec la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui vient encadrer l’audition libre du mineur. Si certaines réformes ont pu être anecdotiques, d’autres ont été bien plus conséquentes, notamment celle opérée par la loi du 9 septembre 2002, dite Perben I, ou encore celles des lois du 5 mars 2007, du 10 août 2011, du 18 novembre 2016, entre autres. De plus, ces modifications de l’ordonnance de 1945 s’ajoutent aux modifications incessantes du Code pénal et du Code de procédure pénale, qui s’appliquent aux mineurs dès lors qu’une règle spéciale ne s’applique pas. La matière en ressort très complexe, comportant des failles et chausse-trappes, et parfois difficile à mettre en œuvre.

Ces modifications traduisent sans doute la volonté d’adapter le texte aux évolutions de la délinquance ces mineurs. Cela a pu être dit lors des précédentes réformes, les mineurs délinquants des années 2000 ou 2010, et même bientôt 2020, ne sont plus les mêmes que les enfants délinquants de 1945. L’on dit souvent que la délinquance s’est aggravée, sans que cela ait pu être vérifié (elle se serait plutôt transformée), mais aussi que les mineurs entreraient de plus en plus tôt dans la délinquance, ce qui justifierait donc d’adapter la réponse apportée. C’est la raison pour laquelle le législateur avait introduit les sanctions éducatives en 2002, mais ces différentes retouches n’ont pas atteint leur objectif et elles ont, au contraire, complexifié cette réponse. L’ambition réformatrice du gouvernement est donc louable, mais la question se pose alors de la méthode et du contenu.

Pourquoi avoir choisi de recourir à une réforme par ordonnance ? Comment s’effectue une réforme par ordonnance?

L’argument est, ici encore, connu : la procédure parlementaire serait trop complexe et même en recourant à la procédure accélérée, l’adoption d’une telle réforme pourrait prendre plusieurs mois, ce que le calendrier parlementaire ne permettrait pas. Dès lors, le choix est fait de recourir à la procédure d’ordonnance de l’article 38 de la Constitution, celle-là même qui avait permis la modification du Code du travail à l’été 2017 ou, sous l’ancienne législature, la réforme du droit des obligations. Cette procédure est bien plus rapide, puisque le gouvernement, habilité à cette fin par le législateur, adopte un texte de nature règlementaire, rédigé sans débat entre les deux chambres, comme s’il s’agissait d’un décret. Puis, le législateur intervient pour ratifier l’ordonnance et lui conférer valeur législative. Il n’y a donc pas de débats à proprement parler à l’Assemblée nationale et au Sénat, pas d’examen en commissions, et de discussions souvent longues entre les parlementaires.

Le recours à l’ordonnance est, du point de vue de la rapidité, une procédure très efficace, surtout pour les textes techniques qui n’appellent pas véritablement à faire des choix politiques et qui sont alors adoptés sans encombrer l’ordre du jour. C’est par cette voie que le code des transports et le Code forestier ont pu être réformés en 2012. Cela étant, la logique est cette fois tout à fait différente : ce n’est pas la technicité qui est ici en cause, mais le temps nécessaire à l’examen de ce code de la justice pénale des mineurs. Or, sur un tel texte, des choix doivent être opérés, la discussion parlementaire doit pouvoir enrichir le projet de réforme. La garde des Sceaux assure que, lors de la loi de ratification, le Parlement pourra modifier le texte, ce qui est toujours possible, mais la discussion est tronquée, il ne s’agit plus de construire ensemble mais de modifier à la marge.

Le recours à la procédure de l’article 38 de la Constitution est dès lors critiquable, d’autant plus que le domaine envisagé n’est pas très étendu : s’il a été possible de réformer la justice par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, il aurait été possible de réformer la justice pénale des mineurs, un code de quelques articles, par la loi.

Quelles sont les pistes de réforme qui pourraient être explorées ?

Le législateur, en habilitant le gouvernement à recourir à l’article 38 de la Constitution, lui indique les pistes à explorer, pour cette réforme de l’ordonnance par ordonnance. Il s’agirait de « simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants », d’« accélérer leur jugement pour qu’il soit statué rapidement sur leur culpabilité », de « renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de leur peine, notamment pour les mineurs récidivistes ou en état de réitération », ou encore d’« améliorer la prise en compte de leurs victimes ».

À l’évidence, l’orientation est plutôt répressive, puisqu’il s’agirait de juger plus vite et de renforcer les mesures de contrainte. Pour le détail, le Gouvernement pourrait s’inspirer des propositions faites par la Commission Varinard, à savoir le regroupement des mesures et des sanctions éducatives en une seule catégorie, ou encore la création de nouvelles peines (l’emprisonnement de fin de semaine). Il s’inspirera sans doute plus du précédent projet de code de justice pénale des mineurs, rédigé par les services du ministère de la Justice en 2009, qui prévoyait par exemple de fixer l’âge de la responsabilité pénale à 13 ans, ou encore d’introduire une procédure de jugement immédiat.

Compte tenu du temps laissé par le législateur au Gouvernement pour cette réforme, six mois seulement, on se doute bien qu’un texte existe déjà, lequel s’inspire des précédents travaux. Dès lors, on s’interroge quelque peu sur la place faite à la concertation dans le cadre de cette nouvelle réforme à venir.

 

Pour aller plus loin :

Par Jean-Baptiste Perrier