Photographie d’illustration : La Montagne
Par Jean-Christophe SAINT-PAU, Professeur à l’Université de Bordeaux, Président de l’Association française de droit pénal

Durant le Festival du théâtre d’Aurillac, une festivalière se promenant les seins nus dans les rues de la ville a été contrôlée par la police. Après avoir refusé de se vêtir, elle a été auditionnée au commissariat. Elle sera ensuite visée par une ordonnance pénale pour « exhibition sexuelle » et verbalisée. 

Dans une interview pour le média Loopsider, publiée sur X (anciennement Twitter) ce 30 août 2023, la jeune femme a déclaré : « J’ai vraiment enlevé mon teeshirt, non pas pour provoquer, mais simplement parce que j’avais très très chaud ». 

Elle complète en disant que « la moitié des hommes autour de moi n’avaient pas de teeshirt et pas mal de femmes non plus. Donc je me suis sentie légitime et à l’aise pour enlever mon teeshirt ». 

Lorsque les policiers lui ont demandé de remettre son teeshirt, elle leur a répondu : « Est-ce que vous dites la même chose aux hommes ? ». Son compagnon, également torse nu et à côté de Marina lors de l’interpellation, n’a pas été inquiété par les policiers en question. 

Cet événement pose deux questions juridiques.

Une femme dépourvue de vêtements sur le haut du corps peut-elle être condamnée pour exhibition sexuelle ?

L’article 222-32 du code pénal déclare punissable « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public ». L’illicéité de l’acte tient donc à sa nature sexuelle et publique. Ce second caractère n’est pas discutable lorsque l’exhibition des seins se produit dans la rue, qui est un lieu accessible au regard du public. De là, la jeune fille d’Aurillac a bien commis un acte d’exhibition public.

Mais cette exhibition publique des seins présente-t-elle une nature sexuelle, alors que cette jeune fille prétend s’être dénudée, non pour provoquer, mais parce qu’elle avait « très, très chaud » ? Certains juges du fond estiment que l’exposition de la poitrine d’une femme ne caractérise pas le délit « si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui » (CA Paris, Ch. 4-10, 10 déc. 2018, reproduit et cassé par Cass. crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827). Mais cette approche subjective, qui contrevient au principe d’indifférence du mobile pour caractériser une infraction, est justement condamnée par la Cour de cassation (Cass. crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827. – 10 janv. 2018, n° 17-80.816. – 9 janv. 2019 : 9 janvier 2019, n° 17-81.618) qui juge que le délit est ainsi caractérisé dans tous ses éléments constitutifs, tant matériel que moral, lorsqu’une femme dénude volontairement sa poitrine dans un lieu qu’elle sait accessible au regard du public.

Cette position suppose d’admettre objectivement que la nudité des seins d’une femme présente une nature sexuelle. Un premier argument, anatomique, tient à ce que les seins d’une femme sont définis comme un organe sexuel secondaire, présentant une connotation érotique. Cette interprétation entre d’ailleurs en cohérence avec celle retenue en matière d’agressions sexuelles où il est naturellement jugé que le caractère sexuel du contact corporel entre l’auteur et la victime est établi par l’attouchement de seins (Cass. crim., 11 juill. 1989 : Dr. pén. 1990, 51).

Mais cette nudité objective ne suffit pas nécessairement à constituer le délit lorsque le contexte ou le lieu disqualifie le caractère sexuel de l’exhibition. Il en est ainsi de l’allaitement d’un enfant dans un lieu public, du défilé de mode d’un mannequin dont la poitrine transparait, ou encore du bronzage en monokini sur une plage ne présente aucun caractère sexuel ou érotique. Certaines décisions anciennes relevaient que le spectacle de la nudité du corps humain fréquent à notre époque, pour des raisons de sport, d’hygiène ou d’esthétique n’a rien en soi qui puisse outrager une pudeur normale, même délicate, s’il ne s’accompagne pas de l’exhibition des parties sexuelles ou d’attitudes ou gestes lascifs et obscènes (Riom, 16 nov. 1937 : DH 1938, 109 ; RSC 1938, 301, note Hugueney. – Aix-en Provence, 20 janv ; 1965 : JCP 1965, II, 14143).

La nudité des seins lors d’un festival de rue pourrait-elle apparaitre comme une nudité culturelle, et ainsi asexuée ? Cette conception supposerait de vérifier d’abord que cette nudité est collective pour constituer une norme (comme sur une plage naturiste), ensuite qu’elle n’est pas offensante, provocante à l’égard de ceux qui, présents à ce festival, n’adoptent pas le même comportement. Car l’infraction d’exhibition sexuelle protège la pudeur individuelle et collective qui constitue la limite à la liberté de disposer de son corps. Sous cet angle, les slogans « Libérez nos tétons de vos regards cochons », visibles lors de la manifestation de soutien à la jeune fille verbalisée, témoignent d’une approche déséquilibrée et unilatérale d’une question de société qui suppose de mettre en balance des intérêts d’identique valeur : liberté individuelle et pudeur sexuelle. C’est d’ailleurs sa seule liberté de se dévêtir, parce qu’elle avait très chaud, qu’invoque la jeune fille verbalisée sans faire référence à une pratique culturelle des festivals qui disqualifierait le caractère sexuel de son exhibition. L’argument de la canicule reste très fragile : la Cour de cassation, comme on l’a rappelé, juge que le délit est constitué dès lors qu’une femme dénude volontairement sa poitrine dans un lieu qu’elle sait accessible au regard du public. Et la rue n’est pas la plage.

Dans une situation similaire, un homme s’expose-t-il à la même sanction et si tel n’est pas le cas, est-ce une rupture du principe d’égalité devant la loi ?

Cette répression des femmes qui exhibent publiquement leurs seins est-elle sexiste et discriminatoire ?  Cette position, qui est soutenue par des manifestants, a été condamnée par la Cour de cassation qui a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative à une rupture d’égalité devant la loi. Il a été ainsi répondu que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, et l’article 222-32 du code pénal s’applique à la fois aux hommes et aux femmes, même si leurs différences anatomiques et les représentations qui y sont associées conduisent à donner un contenu différent à la notion d’exhibition » (Cass. crim., 16 févr. 2022, n° 21.82.392).

Cette solution exprime d’abord que le délit d’exhibition sexuelle n’est pas une infraction genrée. Un homme qui dévoile sa nudité est ainsi punissable dès lors qu’elle présente un caractère sexuel, ce qui est le cas de l’exposition publique d’un pénis. C’est alors qu’apparait l’irréductible différence anatomique entre l’homme et la femme qui, selon la Cour de cassation, peut conduire à une différence d’appréciation de la nature sexuelle de la partie du corps exposée. Plus précisément, alors que la poitrine d’une femme, pourvue d’une glande mammaire, est appréhendée, médicalement et socialement, comme un organe sexuel et/ou érotique secondaire, le torse et les tétons d’un homme ne présentent pas, à eux seuls, une signification sexuelle.

Cette approche n’exclut pas la répression de l’exhibition d’un torse masculin qui peut, dans l’esprit d’un public féminin ou homosexuel, présenter une forme d’érotisme, voire de sexualité. Plus généralement, le dévoilement du corps dans un lieu public peut heurter la pudeur publique, quelle que soit le sexe de l’auteur. Il n’y a donc pas d’obstacle juridique à condamner un homme qui exhibe sa poitrine (ou ses fesses) dès lors que le contexte, l’attitude ou le lieu permettent de caractériser le caractère sexuel, ou outrageant, de l’exhibition. La loi pénale n’est donc pas, dans son principe, sexiste ou discriminatoire, et son application pourrait conduire à ce que des hommes soient poursuivis pour l’exposition outrageante d’un torse nu, en particulier lorsqu’un arrêté municipal interdit clairement cette nudité.