Par Emmanuelle Barbara, Avocate associée, spécialiste en droit du travail Cabinet August & Debouzy, Membre du Club des juristes

Le salarié dispose d’un droit d’alerte individuel et subjectif concernant toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Tel est également le cas s’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection qui lui sont proposés. Aucune procédure particulière n’est prévue pour le faire valoir.

De son côté, l’employeur est soumis à une obligation de sécurité de moyen renforcée (et non plus de résultat) en matière de santé et de sécurité, l’exposant à des risques de mise en cause de sa responsabilité vis-à-vis d’une politique de prévention défaillante ou aux résultats incertains du fait de ces insuffisances.

Ce droit d’alerte suivi du droit de retrait prend un relief particulier à l’heure de la crise du coronavirus. L’actuelle pandémie du Covid-19 interroge l’ensemble des règles applicables au droit de retrait qui trouvent tout leur sens dans ce contexte mais aussi leurs limites dans l’hypothèse d’un éventuel droit de retrait massif.

Concilier les exigences d’une urgence sanitaire inédite avec la poursuite de l’activité économique à tout prix constitue un défi dont nous n’avons aucune expérience contemporaine.

Les inquiétudes des salariés au vu de protections mises à leur disposition qu’ils jugeraient insuffisantes justifient-elles un droit de retrait ? La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 va chambouler temporairement le droit du travail. Aucune rubrique ne concerne directement l’éventuel durcissement du droit de retrait régi par l’article L 4131-1 et s. du code du travail.

La condition essentielle à la légitimité de l’exercice du droit de retrait tient au « motif raisonnable » que le salarié doit établir concrètement. Quand ce dernier l’exerce, l’employeur maintient son salaire tout en rectifiant et améliorant les mesures de prévention ayant justifié ce droit de retrait avec le concours des instances du personnel. En cas de refus de reprendre le travail, une retenue sur salaire peut être opérée. La contestation de la légitimité de la démarche du droit de retrait est soumise au juge, seul habilité à trancher tant l’existence d’un danger grave ou imminent que le motif raisonnable.

Dans le contexte actuel, le salarié dispose-t-il de latitude dans l’appréciation des mesures de protection que l’employeur aura mis en œuvre ? La communication paradoxale martelant l’obligation légale du confinement le plus draconien tout en invitant les entreprises en général comme les salariés à participer à la poursuite de l’activité économique dans l’intérêt vital du pays, attise naturellement l’anxiété et contribue à accroître la légitimité du recours au « motif raisonnable » du droit de retrait apprécié individuellement, surtout à l’aune de la jurisprudence d’avant crise sur les risques psychosociaux.

C’est ainsi qu’à raison de la propagation du virus Covid-19, l’administration du travail (Questions/Réponses du 17 mars mis à jour le 19 mars 2020) joue son rôle consistant à définir les conditions dans lesquelles l’activité de l’entreprise (non fermée autoritairement) se poursuit. Ainsi sont listés des critères jugés objectifs s’imposant aux salariés et aux employeurs à l’aune desquels l’activité peut se poursuivre dans des conditions de sécurité suffisante sous le contrôle de du juge. Ces descriptions précises autorisent l’administration à considérer qu’en les respectant, le droit de retrait, s’il venait à être exercé, se trouverait dépourvu de légitimité. Certes, mais le contrôle d’une situation donnée appartient au juge et son office est requis d’urgence, alors que les tribunaux sont pour la plupart fermés.

Le droit de retrait apprécié en ces temps de crise brutale révèle un problème délicat : le respect de mesures barrières listées sans mention de masques – puisqu’ils manquent encore – peine à convaincre du caractère efficace des protections pour les salariés appelés à ne pas être confinés le temps du travail. Subjectivement, certains salariés en ont besoin pour leur sécurité mentale, que le masque soit utile à leur sécurité physique ou non.

Dernière observation : le droit de retrait est au salarié ce qu’est à l’employeur la décision de fermeture de l’entreprise même si elle ne figure pas sur la liste des activités interrompues par décision administrative. On a vu de nombreuses entreprises choisir de fermer purement et simplement en préférant soumettre un dossier d’activité partielle, en oubliant qu’elles n’y seront pas éligibles à titre prioritaire. Agissant ainsi, elles évitent de modifier leur organisation dont les conséquences en termes de protection ne s’avèreraient pas totalement efficaces. Elles échappent au risque d’une gestion éventuelle des droits de retrait massifs puis de la mise en cause de leur responsabilité au titre d’une violation de l’obligation de sécurité.

Nous verrons comment en pratique les employeurs exerceront leur devoir de prévention des risques et comment les salariés apprécieront la sécurité qui en résultera, sous le contrôle du juge. Nul ne peut le prédire, tant le sujet Covid-19 oblige à penser ce risque avec modestie, le temps que les scientifiques nous en apprennent davantage. Cette situation est aux antipodes de celle que l’on avait prévue avant crise, faite d’obligations et d’appréciation sévère en matière de recherche de l’éradication de tout risque y compris au plan de la santé mentale. Tout démontre que la tendance contemporaine à subjectiver le droit de la santé au travail oblige à faire preuve de prudence dans l’appréciation que l’on peut faire des conditions du droit de retrait à l’épreuve du Covid-19. La situation actuelle ouvre sur un nouveau droit.

 

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