Par Audrey Darsonville, Professeur de droit pénal à l’Université Paris Nanterre, Centre de droit pénal et de criminologie

La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre 2020, est l’occasion de dresser un état des lieux de la lutte menée en France contre les violences faites aux femmes. La notion de « violence » est protéiforme et recouvre des réalités très diverses. L’ONU définit cette dernière « comme englobant, sans y être limitée, les formes de violences physiques, sexuelles et psychologiques, telles que : la violence d’un partenaire intime (coups, violences psychologiques, viol conjugal, féminicide) ; la violence sexuelle et le harcèlement (viol, actes sexuels forcés, avances sexuelles non désirées, abus sexuels sur enfants, mariage forcé, harcèlement dans la rue, harcèlement criminel, cyber-harcèlement); le trafic d’êtres humains (esclavage, exploitation sexuelle) ; la mutilation génitale féminine ou encore le mariage précoce » (https://www.un.org/fr/events/endviolenceday, consulté le 22/11/2020). Liste vaste et pourtant non exhaustive tant les violences faites aux femmes sont « l’une des violations des droits humains les plus répandues, les plus persistantes et les plus dévastatrices dans le monde » (https://www.un.org/fr/events/endviolenceday, préc.). Dès lors, faire un bilan de l’action de la justice pénale nationale à l’encontre des violences faites aux femmes ne peut qu’être parcellaire mais a pour finalité d’évoquer les grands axes de la politique pénale déployée ces dernières années.

Quelles sont les évolutions législatives contemporaines relatives à la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Le dispositif législatif de lutte contre les violences faites aux femmes s’est récemment considérablement renforcé. Les modifications législatives concernent tant le droit pénal substantiel que processuel. Ainsi, en droit pénal substantiel, le mouvement répressif s’est exprimé par la création de nouvelles incriminations telles que l’outrage sexiste à l’article 621-1 du code pénal (loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes), par l’aggravation des peines par l’octroi de circonstances aggravantes telles que l’article 222-33-2-1 du code pénal relatif au harcèlement moral et complété par un nouvel alinéa qui précise : « Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider » ou encore par les dérogations aux règles relatives à l’application de la loi pénale dans l’espace (article 24 de la loi du 30 juillet 2020, préc.).

En procédure pénale, la modification notable est l’introduction des cours criminelles par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice dont l’expérimentation a été étendue par trois arrêtés (arrêté du 25 avril 2019arrêté du 2 mars 2020arrêté du 2 juillet 2020) à quinze départements. La cour criminelle départementale est compétente pour juger des personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 ou 20 ans de réclusion criminelle lorsque l’état de récidive légale n’est pas retenu. Elle est composée de cinq magistrats professionnels. Les premiers éléments chiffrés publiés sur le site du ministère de la Justice montrent que 91 % des affaires jugées en cours criminelles ont concerné des viols simples ou aggravés. Ces cours criminelles ont été présentées comme une solution à la correctionnalisation judiciaire massive qui touche les viols. Elle permet de conserver une qualification criminelle au viol et d’obtenir une décision dans des délais plus rapides que ceux habituels devant les cours d’assises. Toutefois, cette nouvelle juridiction, encore en expérimentation, interroge car elle crée le risque de donner l’image d’une justice qui considérerait certains crimes comme étant moins graves que les autres et pour lesquels la cour d’assises ne serait donc pas compétente. Or, quand 91% des affaires jugées par cette cour sont des viols, on constate aisément que c’est le viol qui peut être perçu comme un « sous-crime », ce qui est un message inquiétant à transmettre à la société.

Quels manquements demeurent en l’état du droit positif ?

Les manquements qui perdurent pour garantir une lutte efficiente contre les violences faites aux femmes sont principalement de deux ordres. D’abord, le flou législatif qui persiste sur des notions pourtant essentielles et, par exemple, sur la définition du défaut de consentement en matière de viol et d’agressions sexuelles. En effet, les diverses réformes ne sont pas parvenues à établir de façon intelligible les notions de contrainte morale et de surprise (articles 222-22 et 222-22-1 du code pénal, dont la rédaction a été à nouveau modifiée par la loi du 3 août 2018). Ces notions sont toujours pensées à l’aune de la minorité des victimes, occultant les difficultés dans lesquelles se trouvent les femmes majeures pour établir le défaut de consentement lors d’une agression sexuelle commise sous l’empire de la contrainte morale ou de la surprise. Une nouvelle définition législative du défaut de consentement serait nécessaire pour favoriser la lutte contre les infractions sexuelles. Ensuite, une réflexion sur la notion d’emprise serait pertinente. La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a introduit la notion « d’emprise manifeste ». Ainsi, l’article 5 de la loi interdit le recours à une médiation familiale dans une procédure de divorce (article 255 du code civil) dès lors que « des violences sont alléguées par l’un des époux sur l’autre époux ou sur l’enfant, ou sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint ». Toutefois, la loi du 30 juillet 2020 se garde bien de définir l’emprise. Or, l’emprise pourrait être usitée à la fois dans les violences conjugales mais également comme élément du défaut de consentement des agressions sexuelles.

Quelles améliorations espérer pour l’avenir ?

L’amélioration dans la lutte contre les violences faites aux femmes résultera de l’évolution des dispositifs normatifs. Elle pourra découler d’une meilleure prise en charge des victimes tant lors de l’accueil par les forces de l’ordre que lors de la procédure judiciaire qui reste un chemin pavé d’obstacles pour les victimes. De plus, elle passera par l’accroissement de l’information des victimes lors des différentes phases de la procédure et notamment par un travail d’explication des décisions judiciaires parfois incompréhensibles pour les parties civiles. Enfin, la formation massive des tous les intervenants de la chaîne judiciaire à la question des violences de genre sera le vecteur le plus puissant d’évolution dans le traitement des violences faites aux femmes. Mais, le recours à la loi ne sera pas suffisant. C’est aussi, et peut-être surtout, l’évolution de la perception sociale de ces actes délinquants qui sera l’élément déclencheur le plus efficient dans la lutte contre les violences perpétrées sur les femmes.

« J’exhorte les pouvoirs publics, le secteur privé, la société civile et les populations de tous les pays à faire preuve de la plus grande fermeté face à la violence sexuelle et à la misogynie. Nous devons témoigner bien plus de solidarité aux survivantes, aux militants et militantes et aux défenseurs et défenseuses des droits des femmes. Et il nous appartient de promouvoir les droits des femmes et l’égalité des chances ». António Guterres, Secrétaire général de l’ONU