Par Isabelle Rein Lescastéreyres, Avocat associée BWG

L’on ose à peine s’interroger de manière positive tant la crise sanitaire actuelle est porteuse de chagrins, de délais pour les justiciables, d’angoisses économiques avec, certainement, un certain nombre de nos confrères qui ne s’en relèveront pas.

Et pourtant, plus que jamais nous avons besoin de trouver du positif. D’où cette question en mode de provocation : le confinement, avec les contraintes qu’il impose, n’est-il pas aussi l’opportunité d’accélérer certains progrès, des progrès qui ont, certes, un coût, en termes de révolution de pensée comme en termes économiques, mais des progrès dont se passer aujourd’hui n’est tout simplement plus une option ?

Le confinement est-il un accélérateur des modes amiables ?

Quand les tribunaux deviennent inaccessibles, il n’y a plus d’autre choix que de se mettre d’accord. Dans ces situations où les couples qui allaient mal non seulement continuent de se déchirer mais sont condamnés à le faire 24H sur 24 ou à faire des efforts, le rôle des avocats est nécessairement encore plus tourné vers la recherche de solutions amiables. Du reste les confrères le disent : les relations entre eux sont un peu différentes, plus douces, plus constructives. On commence par prendre des nouvelles, on s’inquiète de l’autre, on se met à la place de nos clients…

Ceux qui étaient encore très orientés vers le contentieux souffrent plus que les autres ; ils sont concrètement au chômage technique, dans l’incapacité de déposer une requête, privés de conclure utilement par des audiences renvoyées sine die. À l’inverse, ceux qui avaient su promouvoir les modes amiables peuvent continuer à avancer sur la rédaction des accords, tenir des rendez-vous de discussion par vidéoconférence, poursuivre un processus collaboratif. Le conseil reste nécessaire : on prépare les conséquences patrimoniales d’un déménagement, on rédige un contrat de mariage international, on planifie une stratégie matrimoniale ou successorale.

La procédure participative apparaît aujourd’hui comme le seul moyen de continuer à faire avancer, dans une certaine mesure, les procédures. Le barreau de Paris vient par ailleurs de créer sur le site Avocatparis.org, une plateforme spécifique Participative.avocatparis.org, qui propose une présentation pédagogique de cette nouvelle procédure, ainsi que des modèles de convention de procédure participative de mise en état et d’actes d’avocats, et s’apprête à lancer un plan de formation. Un certain nombre d’outils numériques pour le traitement et le développement des modes amiables sont également mis disposition sur EMARD et XMARD.

Plus que jamais ces familles sous pression ont besoin de médiation et le barreau de Paris l’a bien compris avec des initiatives comme le site https://mediationavocatparis.org.

Enfin, là où le justiciable n’a plus accès au juge, il peut avoir accès à un arbitre, y compris en matière familiale, par exemple en recourant à un arbitrage par le CALIF (Centre d’arbitrage des litiges familiaux), récemment créé par un groupe de professeurs de droit, de notaires et d’avocat, dont le cabinet bwg, pour promouvoir et proposer des arbitrages et des médiations en matière familiale, en droit interne et dans les dossiers internationaux (www.califarbitrage.com). Le processus arbitral peut avancer, selon le calendrier convenu entre les parties, avec des échanges entièrement dématérialisés.

Le télétravail peut-il être une chance pour la modernisation des avocats ?

Nos cabinets ont fait, ces dernières années, beaucoup de progrès en matière numérique : fonds documentaires en ligne, RPVA, dématérialisation des documents, logiciels de gestion, conférences téléphoniques ou vidéos sur des plateformes dédiées…autant d’outils devenus indispensables et qui permettent de travailler partout, via des accès à distance. Saluons au passage quelques jolies initiatives de partage gratuit de la part de certains éditeurs numériques. Les grincheux y verront une habile publicité. C’est d’abord un immense service et tant mieux s’il emporte un peu de reconnaissance.

Le téléphone portable qui avait déjà remplacé les lignes fixes chez les particuliers remplace aujourd’hui sans trop de difficulté les lignes de bureau et se transforme en standard tout à fait convenable. Les mails avaient déjà réduit drastiquement le flot du courrier postal avec l’avantage – et l’inconvénient – de l’immédiateté. Le confinement leur offre un quasi-monopole. Outlook avait remplacé depuis longtemps l’agenda papier, fort de ses invitations, de ses partages de calendrier et autres traitement mutualisés, devenus indispensables au sein d’une équipe.

Ceux qui étaient encore un peu à la traîne n’ont plus d’autre option que de grimper dans ce train en marche (forcée) et se découvrent une capacité insoupçonnée à organiser des réunions Skype, Zoom, Instagram , et à continuer à manager leurs équipes par WhatsApp…

Il nous reste encore beaucoup de progrès à faire en France, et l’exemple de nos voisins internationaux fait parfois rougir. En Angleterre et ailleurs – pas partout – malgré le confinement, les audiences se déroulent (presque) normalement, par visioconférence avec Ebundle, y compris parfois sur plusieurs jours. Un rêve technologique qui semble en pratique encore inaccessible dans la plupart des juridictions françaises, alors même que l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale en donne la possibilité. Gageons que le retour difficile et les bouchons du déconfinement joueront, là aussi, un rôle d’accélérateur des progrès technologiques.

Le confinement est-il l’occasion de réintroduire de l’humain ?

C’est humain : l’on désire toujours ce que l’on a pas/plus. Paradoxalement nous n’avons jamais eu autant envie de contacts.

Au même titre que les apéroskype se sont multipliés, nos clients ont davantage besoin de nous voir. Là où, dans le cadre de nos cabinets, ils se contentaient tout à fait d’un appel, ils nous proposent désormais des visioconférences. Elles sont plus ou moins mises en scène. L’intimité d’un domicile sera parfois cachée par un fond d’écran… pas toujours d’ailleurs la photo d’un bureau ; le fond d’écran a de l’humour : en ces temps de confinement il s’habille d’une plage. Mais il devient parfois plus intime, avec un aperçu d’une maison, d’une cuisine, d’un enfant confiné qui passe la tête pour demander un service, une aide aux devoirs…

Et là où la difficile magie du confinement opère, c’est que cet importun sera généralement accueilli avec bienveillance, parce qu’« on a le même à la maison ». Voilà que l’humain montre le bout de son nez derrière le professionnel, la famille derrière le client, et voilà de quoi nous rappeler, utilement, pourquoi nous continuons, contre vents et marée, et parfois avec le vent du confinement en poupe.

 

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