Par Frédéric Stasiak, Professeur à l’Université de Lorraine

Avec la crise sanitaire, l’épargne versée sur les livrets A et les livrets de développement durable et solidaire (LDDS) s’est considérablement accrue pour représenter, à la fin de l’année 2020, un encours total de plus de 440 milliards d’euros, selon un communiqué de la Caisse des Dépôts et Consignations du 20 janvier 2021. Un tel niveau d’épargne suscite nécessairement des convoitises, et pas seulement de la part du ministère de l’Économie et des Finances. Le 30 mars 2021, un communiqué de l’AMF attirait, une nouvelle fois, l’attention du public sur les activités de certaines entreprises proposant des produits d’investissement « atypiques » (vins, forêts, métaux, timbres, œuvres-d’arts, parkings, Ehpad, bitcoins, etc.) ou des produits d’épargne attractifs, au rendement important (5% voire davantage), défiscalisés et sans risque de perte en capital alors que (ou parce que ?) un livret A ou un LDDS rapporte actuellement 0,5% par an. Selon l’AMF, 23 millions d’euros auraient ainsi été absorbés par les seules escroqueries aux « super livrets » ce qui suppose de revenir, fût-ce succinctement, sur la façon dont le droit pénal appréhende cette situation au regard des pratiques frauduleuses mises en œuvre, de leurs victimes et des recours dont ces dernières peuvent disposer.

Quels sont les principaux types d’escroqueries ?

L’escroquerie, au sens pénal du terme, est définie par l’article 313-1 du code pénal comme étant « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus de qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne (…) et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds des valeurs ou un bien quelconque (…) ».

En matière financière, l’escroquerie peut être caractérisée, de façon schématique, soit lorsque l’entreprise dans laquelle les fonds sont placés est irréaliste, soit lorsqu’elle est irréelle, les deux situations n’étant d’ailleurs pas exclusives l’une de l’autre. La première situation peut être illustrée, classiquement, par le système de Ponzi qui constitue une manœuvre frauduleuse consistant à rémunérer les placements des clients par les fonds apportés par les nouveaux investisseurs : la pyramide ainsi mise place, s’effondre lorsque les sommes apportées par ces derniers ne permettent plus de rémunérer les anciens clients. C’est un système de ce genre qu’avait mis en place Bernard Madoff, faisant perdre près de 50 milliards de dollars à ses investisseurs en 2008.

La deuxième situation correspond à l’entreprise « fantôme », dépourvue de toute existence légale, et dont le seul objectif est d’aspirer les avoirs des investisseurs ou des épargnants. L’escroc se prévaut alors d’une fausse qualité mais, selon les juridictions répressives, encore faut-il que cette fausse qualité soit personnelle et surtout crédible. Si la fausse qualité d’intermédiaire financier satisfait à ces exigences (Cass. crim., 16 février 1907), tout comme la qualité d’évêque (CA Paris, 4 juillet 1989) ou celle de Pape (Cass. crim., 11 octobre 1996), il n’en va pas de même de la qualité de prophète et envoyé de Dieu (T. corr. De Basse-Terre du 8 octobre 1985). Ces derniers exemples pourraient prêter à sourire, pourtant la situation est-elle si différente de celle des personnes croyant aux placements miraculeux qui n’existent que dans des comptes peu courants ?

Qui sont les victimes d’escroqueries aux super livrets ?

Toute l’habileté de l’escroc consiste à générer une offre correspondant à une demande, individuelle ou collective. Personne n’est épargné car ni l’expertise, ni le niveau d’étude, ni l’intelligence des victimes ne les prémunissent du risque de duperie : au XIXe siècle, le mathématicien Chasles avait été berné par un dénommé Vrain-Lucas qui lui avait vendu à prix d’or plusieurs milliers de lettres dont certaines de Vercingétorix, de Cléopâtre, de Socrate, voire de Lazare ressuscité, toutes rédigées… en ancien français.

S’agissant des super livrets, il serait tentant de considérer qu’en sont victimes des épargnants dont, en quelque sorte, la cupidité a pu altérer la lucidité et qui ne méritent guère de considération : de non vigilantibus non curat praetor. D’ailleurs, l’inconséquence de la dupe n’est pas sans conséquence, puisqu’elle peut être de nature à réduire son droit à indemnisation. Depuis l’affaire Kerviel, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide que « lorsque plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage, la responsabilité de leurs auteurs se trouve engagée dans une mesure dont l’appréciation appartient souverainement aux juges du fond » (Cass. crim., 19 mars 2014). Autrement dit, la faute d’imprudence ou de négligence commise par la victime d’une atteinte intentionnelle aux biens, comme l’escroquerie ou l’abus de confiance par exemple, peut réduire son droit à réparation. La question est alors de savoir si, compte tenu des informations régulièrement diffusées par l’AMF ou l’ACPR, une telle faute pourrait être imputée à la victime d’une escroquerie à l’épargne.

Cependant, si « la loi ne protège pas les imbéciles », elle se doit de protéger la victime d’une particulière vulnérabilité notamment due « à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique,… » (art. 313-2 C. pén.) et vis-à-vis de laquelle ce type d’escroquerie peut avoir des conséquences, financières et humaines, dramatiques.

Quels recours face à ces pratiques frauduleuses ?

En théorie, la victime d’une infraction peut se constituer partie civile afin d’obtenir la répression de l’auteur de cette infraction et la réparation du préjudice subi. L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, peines qui sont portées à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende lorsque l’infraction est réalisée au préjudice d’une personne d’une particulière vulnérabilité, voire à dix ans d’emprisonnement et 1 million d’euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée (article 313-2 C. pén.). Par ailleurs, la loi pénale française a vocation à s’appliquer à « tout crime ou tout délit réalisé au moyen d’un réseau de communication électronique, lorsqu’il est commis ou tenté au préjudice d’une personne physique résidant sur le territoire de la République » (art. 113-2-1 C. pén.).

En pratique, cependant, l’espoir de voir l’auteur de l’escroquerie condamné et, subséquemment, celui de récupérer ses fonds sont tout aussi illusoires que le rendement escompté d’un super livret. L’identification des personnes physiques, agissant sous couvert de personnes morales fictives et, le plus souvent, depuis un pays hors Union européenne s’avère plus que délicate. Quand bien même cet obstacle probatoire pourrait être surmonté, il faut rappeler qu’un État, par principe, n’extrade pas ses nationaux, ce qui rend utopique la répression des comportements débattus.

En matière financière, mieux vaut donc prévenir que guérir. Préalablement à tout investissement, il conviendrait de vérifier l’existence de la société sur les registres en ligne, tels que Regafi ou Orias, qui référencent les entreprises financières ayant obtenu un agrément pour exercer en France. Il serait également nécessaire de consulter les sites de l’AMF et de l’ACPR qui fournissent des listes blanches des entreprises sérieuses et des listes noires des entreprises douteuses. La question d’une notification périodique de ces listes aux hébergeurs de site (art. 6, I, 5 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004) mérite d’ailleurs d’être posée afin de permettre l’implication du plus grand nombre possible d’acteurs dans la lutte contre ce type d’escroquerie. Toutefois, ces mesures préventives ne font que réduire les risques de perte financière car les listes sont établies a posteriori, laissant toujours un coup d’avance aux aigrefins. De surcroît, une usurpation d’agrément, de dénomination ou de logo d’entreprises agrées n’est pas à exclure.

Alfred Capus avait décidément vu juste : « l’escroquerie est une bonne affaire qui a rencontré une mauvaise loi ».