Par Alexis Fourmont – Maître de conférences en droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne 
Éric Coquerel a d’ores et déjà prévenu : en tant que Président de la Commission des finances, il usera de « toutes [s]es prérogatives » et l’interprétation de la condition de recevabilité financière des amendements sera notablement assouplie. Il s’agit pour lui d’« avoir une vision plus généreuse des amendements », en en admettant davantage que ses prédécesseurs. 

La Commission des finances suscite traditionnellement le plus vif intérêt chez les parlementaires. Appartenir à ce « club des diamantaires » (selon la formule d’Edgar Faure) implique de larges pouvoirs en matière budgétaire et fiscale. Depuis 2007 (contre 1949 au Bundestag), la présidence revient à un groupe d’opposition (art. 39, al. 3 RAN), en vue de renforcer l’acuité du contrôle. Pour ces raisons, celle-ci a été très disputée entre les groupes de l’opposition (ceux de la NUPES, ainsi que les groupes RN et LR), en partie parce que le règlement de l’Assemblée nationale ne flèche pas le poste au profit d’un groupe d’opposition en particulier. Éric Coquerel (LFI) a finalement été élu après une tentative infructueuse de mettre en place une présidence tournante, laquelle aurait profité à Jean-Philippe Tanguy (RN), Charles de Courson (LIOT) et Véronique Louwagie (LR). 

De quel pouvoir essentiel bénéficie le Président de la Commission des finances ? 

Aux termes de l’article 40 de la Constitution, « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Le Président de la Commission des finances dispose du pouvoir constitutionnel de vérifier la recevabilité financière des initiatives de ses pairs. Il s’agit là de l’une des plus fortes restrictions pesant sur l’initiative parlementaire. 

Par-delà la lettre de ces dispositions, aucunement autosuffisantes, une « jurisprudence » n’a pas manqué de se développer. Elle résulte tant des Présidents des Commissions des finances des deux chambres que du Conseil constitutionnel, sorte de « juge d’appel en dernier ressort ». Celle-ci précise le contenu de cette condition de recevabilité financière et ses modalités de contrôle. Évolutive, la jurisprudence rendue au titre de l’article 40 n’est pas nécessairement homogène. 

Cette (relative) indétermination résulte de la pluralité des initiatives contrôlées et des acteurs en charge de ce contrôle, ainsi que du stade auquel la vérification intervient. Le principe d’autonomie des assemblées joue un rôle décisif. Ainsi le traitement des amendements et des propositions de loi (venant des députés) diffère-t-il, les secondes jouissant d’une relative immunité quant au contrôle de leur recevabilité financière. 

Au reste, tant que les interprétations de l’article 40 par les Présidents des Commissions des finances des deux assemblées n’ont pas été confirmées par le Conseil constitutionnel, elles ne disposent que de « la force de la chose décidée ». Dégageant une forme de « normativité politique », elles sont assimilables aux conventions de la Constitution, ces règles non écrites s’imposant aux acteurs du système de gouvernement. Pour reprendre Jennings, ce type d’usage est la chair et le sang de toute Constitution, dont le texte n’est que le squelette. Alors même qu’ils appartiennent à l’opposition, les Présidents des Commissions des finances sont ainsi à l’origine d’une forme de « Constitution derrière la Constitution », dont l’objet est de « préserver au maximum l’initiative parlementaire ». Dans les 9 rapports établis depuis 1971, cette jurisprudence des Présidents des Commissions des finances est publiquement présentée aux parlementaires. 

Certains Présidents de la Commission des finances ont pu faire évoluer la concrétisation de l’article 40. Tel a été le cas de Gilles Carrez (LR) durant la XIVe législature, dont l’un des apports a consisté à admettre en 2015 que les députés puissent faire usage des dispositions constitutionnelles permettant de prévoir dans les lois et les règlements des dispositions à caractère expérimental (art. 37-1 et 72 C). Ainsi l’étau comprimant les amendements des députés a-t-il pu être desserré. 

En revanche, son successeur Éric Woerth n’a pas fait évoluer sensiblement cette jurisprudence sous la XVe législature comme l’indique son rapport. Par conséquent, la présidence d’Éric Coquerel aboutira peut-être à des inflexions, même si elles seront limitées et prudentes, ce qui tient à l’environnement dans lequel il se meut. 

La majorité parlementaire peut-elle contrer la « jurisprudence » rendue par le Président de la Commission des finances ? 

Si le Président de la Commission des finances est un acteur essentiel du contrôle de la recevabilité financière des amendements et propositions de lois, il n’en est pas le seul participant ni en commission ni en séance. Ainsi l’article 89, alinéa 2 RAN dispose-t-il qu’en commission « l’irrecevabilité est appréciée par le président de la commission et, en cas de doute, par son bureau. Le président de la commission peut, le cas échéant, consulter le président ou le rapporteur général de la Commission des finances ». 

S’agissant de la séance, l’alinéa 3 prévoit que « la recevabilité des amendements déposés sur le bureau de l’Assemblée est appréciée par le Président. […] En cas de doute, le Président décide après avoir consulté le président ou le rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire ou un membre de son bureau désigné à cet effet ; à défaut d’avis, le Président peut saisir le Bureau de l’Assemblée ». 

Environ 20 000 amendements sont ainsi examinés par le Président de la Commission des finances chaque année, soit 10 000 à 15 000 amendements déposés en séance, entre 2 000 et 4 000 amendements déposés devant les autres commissions et, enfin, de 4 000 à 5 000 amendements directement déposés devant la Commission des finances. Il s’agit là d’un doublement par rapport à la précédente législature. 

Si en pratique la vérification est régulièrement opérée par la Commission des finances, la majorité dispose de la faculté d’exercer elle-même le contrôle de la recevabilité financière. En cas de jurisprudence trop « audacieuse » ou « laxiste », il s’avère possible de passer d’une « justice déléguée » au Président de la Commission des finances à une forme de « justice retenue » par les Présidents des autres Commissions, ou encore la Présidente de l’Assemblée nationale en vue de l’examen en séance. 

Tel a été le cas le 12 juillet, la Présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet ayant résolu de s’enquérir elle-même de la recevabilité financière des amendements déposés en vue de la séance. Il était question de la réintégration des soignants non-vaccinés contre le covid-19 et, donc, du coût que cela occasionnerait. 

Cette hypothèse d’une reprise en main par la majorité est d’autant plus concevable que l’irrespect de l’article 40 est susceptible d’être soulevé à tout moment durant les débats par le Gouvernement ou par tout député (article 89, alinéa 4). En tout état de cause, les excès (dans un sens comme dans l’autre) seront très certainement canalisés par le Conseil Constitutionnel. 

Par ailleurs, la présidence est remise en jeu chaque année et il est possible de tirer les conséquences de la pratique d’un nouveau Président. La majorité a l’air décidé à ne pas participer au choix, mais des revirements sont imaginables, comme en témoigne l’épisode de l’élection (mouvementée) du troisième questeur en 2017. Dans de telles extrémités, la fonction pourrait revenir à un élu d’un autre groupe. 

De quelle marge de manœuvre disposera donc le Président de la Commission des finances pour agir ? 

La jurisprudence d’Éric Coquerel sera mesurée. Son originalité (notamment par rapport à son prédécesseur, initialement issu d’un groupe d’opposition et finalement rallié à Emmanuel Macron) résidera dans les activités de contrôle et d’évaluation. S’il a d’abord été question de l’évasion fiscale, le nouveau Président souhaite investiguer sur les liens entre l’État et certaines grandes entreprises, ce qu’il a encore rappelé à l’occasion de la publication des Uber Files. 

À cet égard, l’article 57 LOLF est porteur de promesses. En vue d’assurer le suivi et le contrôle de toute question relative aux finances publiques, le Président dispose de toute latitude pour procéder à « toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions », sans que le secret professionnel puisse être utilement invoqué. 

Ainsi, tous les renseignements et documents d’ordre financier et administratif qu’il demande, réserve faite des sujets à caractère secret concernant la défense nationale et la sécurité intérieure ou extérieure de l’État et du respect du secret de l’instruction et du secret médical, doivent lui être fournis. L’assistance de la Cour des comptes est également prévue par la LOLF. Par exemple, Éric Coquerel pourrait s’enquérir des prévisions de croissance ayant servi de fondement aux lois de finances. 

Le contrôle et l’évaluation seront sans doute réinvestis avec vigueur. Ce dualisme entre le contrôleur et le contrôlé est sans doute l’un des préalables à une « reparlementarisation » du régime et, à cet égard, l’association de l’opposition pourrait également s’effectuer au sein de la Commission des affaires sociales. 

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