Par Paul-Henri Antonmattei, professeur à l’Université de Montpellier, Doyen honoraire

Face à l’épidémie de Covid-19, l’urgence se décline. C’est une urgence sanitaire pour soigner et sauver des vies au quotidien. Dans des conditions très compliquées, la mobilisation des « soignants », nos combattants du front, est exemplaire et impose un immense respect et une éternelle reconnaissance.

L’urgence est aussi économique et sociale car l’ampleur et la rapidité de la baisse voire de l’arrêt des activités, conséquences d’un confinement inévitable pour vaincre le virus, sont inédites. Le soutien important de la puissance publique est indispensable. La mobilisation des acteurs l’est tout autant et les initiatives sont là avec un dévouement humain remarquable pour maintenir les activités essentielles.

L’urgence juridique est évidente. À situation exceptionnelle, règles exceptionnelles. La voie des ordonnances ouverte par loi d’urgence du 23 mars 2020 pour faire face à l’épidémie de covid-19 permet, dans de nombreux domaines, une intervention rapide pour temporairement adapter, écarter ou innover. Cette réglementation de crise difficile à établir n’offrira pas toujours une sécurité. Il faut l’admettre et surtout ne pas chercher à chicaner.

Certaines activités peuvent être économiquement maintenues et d’autres doivent l’être car elles sont nécessaires à la continuité de la vie économique de la Nation. La priorité est alors de protéger la santé des travailleurs en mobilisant un arsenal juridique connu mais dans le contexte inédit d’une épidémie.

Côté patronal, c’est la fameuse obligation de sécurité qui impose de prendre toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Quel contenu donner aux principes généraux de prévention portés par ces textes face au Covid-19 ? Pour éviter l’hésitation et la controverse, le ministère du Travail a vite répondu et peu importe si, demain, dans un éventuel litige sur l’exécution de l’obligation de sécurité, le juge ne sera pas lié par les recommandations ministérielles. Leur autorité tient, à leur contenu substantiel fondé sur la connaissance scientifique relative au Covid-19. Des recommandations générales sont complétés par des fiches conseils pour certains postes plus exposés (chauffeur livreur, travail en caisse, travail en boulangerie…). Le chemin est donc bien balisé.

Dans la liste des recommandations communes qui comporte les mesures barrières, le télétravail occupe du place de choix car dans le contexte d’une épidémie, il n’est pas une modalité d’exécution du contrat de travail : « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre le continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés » (C. trav. art. L. 1222-11). Nous y sommes et la recommandation ministérielle est ferme : « suite au passage au stade 3 de l’épidémie, le télétravail devienne la norme pour tous les postes qui le permettent ». Si le télétravail n’est pas possible (le ministère estime que 40% des emplois salariés sont éligibles au télétravail), s’appliquent alors les mesures spécifiques de prévention listées par le ministère (V. Coronavirus : Questions/réponses pour les entreprises et les salariés, www.travail.gouv.fr).

Quid si l’employeur n’opte pas pour le passage en télétravail ? Réponse du ministère : le salarié peut demander à bénéficier du télétravail jusqu’à nouvel ordre. Si l’employeur donne son accord, cela peut se faire par tout moyen. Son refus doit être motivé. Une épidémie ne conduit pas, en effet, à un passage automatique en télétravail pour les postes éligibles. La légitimité du refus patronal est toutefois plus restreinte qu’en période normale d’activité. Ce refus ne justifie pas pour autant l’exercice par le salarié du droit de retrait. On veut bien admettre avec le ministère du Travail, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux selon la formule consacrée, que « dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations nationales (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus) visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe trouver à s’exercer ». L’analyse vaut aussi dans la situation d’un refus de l’employeur d’autoriser le passage en télétravail.

Le salarié qui poursuit son activité professionnelle participe aussi à la protection de sa santé et de celle des ses collègues via l’exécution de sa propre obligation de sécurité rappelée et précisée par le ministère (V. C. trav. art. L. 4122-1). Il est ainsi tenu de respecter les instructions données par l’employeur en fonction de l’entreprise et, en cas de présence sur son lieu de travail, les mesures « barrières ». Sont aussi mobilisés le comité social et économique et les services de santé au travail ; le médecin du travail peut même prescrire et renouveler un arrêt de travail en cas d’infection ou de suspicion d’infection au covid-19 et procéder à des tests de dépistage du covid-19 (V. Ord. n. 2020-386 du 1er avril 2020).

 

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