Par Paul-Henri Antonmattei, professeur à l’Université de Montpellier, Doyen honoraire

La gravité de la crise qui renforce naturellement l’exigence de fraternité et de solidarité conduit aussi à partager les efforts au sein des entreprises.

Pour les entreprises qui subissent une baisse voire un arrêt de l’activité, un accord d’entreprise, ou, à défaut, un accord de branche peut permettre à l’employeur d’imposer la prise de congés payés ou de modifier les dates d’un congé déjà posé, dans la limite de 6 jours ouvrables (Ord. n. 2020-323 du 25 mars 2020). En revanche, l’employeur peut, sans un accord collectif préalable, imposer, lorsque l’intérêt de l’entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, la prise, à des dates qu’il détermine, des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par une convention de forfait. Il peut aussi modifier les dates de prises de ces jours de repos et imposer que les droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié soient utilisés par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates. La période de prise des jours de repos imposée ou modifiée ne peut s’étendre au-delà du 31 décembre 2020 et ce sont 10 jours au total qui sont entre les mains de l’employeur (Ord. n. 2020-323 du 25 mars 2020).

Une crise sanitaire aussi forte et rapide provoque une hausse d’activité des entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale. Pour faire face, dans l’urgence, à un tel surcroît d’activité, la conclusion d’une convention de mise à disposition temporaire de salariés volontaires avec une entreprise à l’arrêt ou en baisse d’activité est encouragée par le ministère du travail qui propose même un modèle de convention de prêt de main d’œuvre et un modèle d’avenant au contrat de travail (www.travail.gouv.fr).

Répondre efficacement à une hausse d’activité dans l’urgence conduit surtout à déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical. Plutôt que de contraindre chacune des entreprises concernées à utiliser des dérogations existantes mais dont les procédures ne sont pas nécessairement adaptées à l’urgence, le Gouvernement a fait légitimement le choix d’une réglementation dérogatoire et temporaire immédiatement accessible (V. Ordonnance n. 2020-323 du 25 mars 2020) et il n’a pas lésiné : la durée quotidienne maximale de travail peut être portée à 12 heures même pour un travailleur de nuit (sous réserve pour ce dernier de l’attribution d’un repos compensateur). La durée du repos quotidien peut être réduite jusqu’à 9 heures, sous réserve de l’attribution d’un repos compensateur égal à la durée du repos dont le salarié n’a pu bénéficier. La durée maximale hebdomadaire peut monter jusqu’à 60 heures et cette durée maximale calculée sur 12 semaines consécutives peut être portée jusqu’à 48 heures (44 heures pour le travailleur de nuit).

Le courroux de certaines confédérations syndicales est déplacé. L’objectif n’est évidemment pas de casser des règles protectrices du droit du travail mais de prendre en charge, en temps utile, un surcroît exceptionnel d’activité. Ces dérogations sont temporaires (jusqu’au 31 décembre 2020) et réservées à certains secteurs déterminés par un décret. Les dispositions réglementaires doivent préciser, pour chacun des secteurs, dans le respect de l’objectif de protection de la santé des travailleurs, les catégories de dérogations admises et, dans le respect des limites prévues, la durée maximale de travail ou la durée minimale de repos qui peut être fixée par l’employeur. Obligation est faite à l’entreprise qui usera d’au moins une de ces dérogations d’en informer sans délai et par tout moyen le comité social et économique ainsi que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Voilà qui devrait rassurer et éviter tout détournement des dérogations. Ces entreprises peuvent aussi attribuer le repos dominical par roulement.

A l’employeur placé dans cette situation de hausse d’activité de récompenser aussi un engagement humain exceptionnel. L’incitation à verser la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat est renforcée par des règles assouplies, la possibilité de moduler la prime pour récompenser plus spécifiquement les salariés ayant travaillé pendant l’épidémie et un plafond d’exonération augmenté pour certains (Ord. n. 2020-3885 du 1er avril). Mais cela ne suffira pas toujours. Constat est fait que sont en première et deuxième ligne de front, plus exposés que d’autres, des salariés dont les rémunérations sont parmi les plus faibles. Il ne faudra pas faire l’impasse sur la revalorisation salariale de ces soldats de l’économie réelle.

 

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