Par Bertrand-Léo Combrade, Maître de conférences en droit public, Université de Picardie-Jules Verne

Le 4 mai dernier, le journaliste français Olivier Dubois est apparu sur une vidéo dans laquelle il déclare être retenu en otage par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une organisation terroriste affiliée à Al-Qaïda très active au nord du Mali. S’adressant aux autorités françaises et à ses proches, il leur a demandé de faire « tout ce qui est en leur pouvoir » pour le faire libérer. Cette triste actualité est l’occasion de s’interroger sur la marge de manœuvre dont dispose la France lorsqu’elle est confrontée à ce type d’enlèvement.

Pourquoi Olivier Dubois a-t-il été enlevé ?

Parce que le GSIM a besoin de financer ses activités dans le Sahel (recrutements de nouveaux membres, attentats, attaques de camps militaires…). Même si, officiellement, aucune contrepartie n’est exigée contre sa libération, il est probable que l’organisation réclame le versement d’une rançon. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les interventions militaires en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et dans le Sahel ont provoqué une extension des zones sur lesquelles aucune autorité nationale n’est pleinement en mesure d’exercer sa souveraineté. La déstabilisation politique provoquée par ces conflits a favorisé l’essor d’organisations autonomes qui prennent le contrôle de ces régions. Certaines d’entre elles sont inscrites sur des listes d’organisations terroristes établies par un Comité du Conseil de sécurité des Nations Unies (Résolutions 1267, 1989 et 2253 concernant l’État islamique d’Irak et du Levant, Al-Qaïda et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés). Cette inscription permet de prendre des sanctions, parmi lesquelles figure le gel des avoirs. Afin de continuer à se financer, ces groupes doivent contourner ces mesures en privilégiant les activités favorisant la collecte d’argent liquide. À ce titre, le kidnapping contre rançon se présente comme un commerce particulièrement lucratif. Ainsi la presse se fait-elle régulièrement l’écho d’enlèvements de centaines d’autochtones, comme ces 500 garçons d’une école secondaire du Nigéria kidnappés par Boko Haram en décembre 2020. L’enlèvement d’un ressortissant étranger est toutefois perçu comme autrement plus rentable puisqu’il pourrait rapporter plus de dix millions de dollars. C’est ce qui explique le rapt d’Olivier Dubois qui vient, malheureusement, compléter la longue liste des français enlevés par des organisations terroristes depuis une vingtaine d’années.

Quelle est la position officielle de la France lorsqu’elle est confrontée à ce type d’enlèvement ?

Que son issue soit heureuse ou tragique, la doctrine de la France est systématiquement rappelée : en cohérence avec l’article 421-2-2 du code pénal qui incrimine largement le financement du terrorisme et plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies (2161 du 17 juin 2014, 2170 du 15 août 2014), elle « ne paye pas de rançon ». Pour autant, cela ne signifie pas que les otages français soient abandonnés à leur triste sort, faute de quoi la France méconnaitrait le droit à la vie protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui oblige chaque État membre à « adopter une attitude active en vue de protéger la vie des personnes relevant de sa juridiction » (Cour EDH, 9 juin 1998, LCB c/ Royaume- Uni, JCP 1999. I. 105, n° 7). Dès lors qu’un Français est porté disparu, une unité du Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères « est chargée de soutenir, d’orienter et d’accompagner les familles dans l’accomplissement des démarches administratives, voire judiciaires ». Le Parquet national antiterroriste, quant à lui, est systématiquement saisi sur le fondement des articles 224-4 et 421-1 du code pénal qui érigent en infraction le fait d’enlever une personne pour obtenir le versement d’une rançon. Enfin, en lien avec les autorités locales, par le biais d’intermédiaires et le cas échéant en déléguant cette mission à des opérateurs privés, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) s’efforce d’entrer en contact avec l’organisation à l’origine de l’enlèvement. Si la France n’est pas censée donner suite à une demande de versement de rançon, d’autres contreparties peuvent être envisagées en échange de la libération d’un otage. Sans revenir sur les conditions de libération de l’humanitaire française Sophie Pétronin en octobre 2020, dans laquelle les autorités françaises n’auraient pas été directement impliquées, il convient de rappeler que, le 27 juillet 1990, le Président de la République François Mitterrand a gracié cinq individus condamnés par la justice française à la réclusion criminelle à perpétuité en échange de la libération des derniers otages français détenus au Liban. Lorsque la France, par la voix du chef de l’État, n’entend pas céder au chantage d’une organisation terroriste, en considération des renseignements dont elle dispose, la DGSE peut proposer de conduire une opération de sauvetage. Qu’elle soit menée par des membres du Service action de cette direction sous la forme d’opérations clandestines ou par des forces spéciales en uniforme dans le cadre d’opérations militaires extérieures, l’issue d’une telle opération est par essence aléatoire. Le 22 juillet 2010, par exemple, l’assaut est donné sur un camp Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) pour libérer l’otage français Michel Germaneau. Ce dernier, introuvable, décède quelques jours plus tard.

La France peut-elle contrevenir à sa doctrine officielle ?  

Il n’existe pas de preuve formelle que la France verse ou laisse verser des rançons à des organisations terroristes. Pour autant, dès lors que la libération d’un otage est obtenue sans recours à la force, des voix se font entendre pour dénoncer un tel versement. « François Hollande dit que son pays ne paye pas de rançons aux terroristes, alors qu’en réalité, il le fait », regrettait le Président Obama en 2014. Plusieurs stratégies peuvent être mises en œuvre en vue de procéder à la transaction. D’abord, la France peut laisser un autre État prendre en charge le versement, quitte à lui verser ensuite une compensation implicite au titre de l’aide au développement ou par le biais de la signature d’une convention fiscale généreuse (D. Moisan, Rançons. Le business des otages, Fayard, 2013, p. 214). Ensuite, le secteur privé peut être mis à contribution, en pratique la société ou l’organisme humanitaire dans lequel est employé l’otage qui a, le plus souvent, contracté une assurance « Enlèvement contre rançon ». Enfin, il n’est pas exclu que les ressources publiques soient directement mises à contribution en ayant recours aux fonds spéciaux mis à la disposition du Gouvernement (G. Davet et F. Lhomme, Un Président ne devrait pas dire ça…, Stock, 2016, p. 927). Ces fonds, dont le régime est prévu à l’article 154 de la loi de finances pour 2002, peuvent être utilisés par le pouvoir exécutif sans que celui-ci n’ait à en assumer la responsabilité devant l’ensemble de la représentation nationale. En dépit des critiques qu’il peut susciter, le choix de verser une rançon à une organisation terroriste a peu de chance de donner lieu à des poursuites. En tout état de cause, sur la scène internationale, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France reste libre d’utiliser son droit de veto pour s’opposer à une sanction qui irait à l’encontre de ses intérêts. Dans l’ordre juridique interne, les personnes et organismes susceptibles de faire l’objet de poursuites pourraient, quant à eux, invoquer l’état de nécessité prévu à l’article 122-7 du code pénal. À moins que l’enquête ne révèle le caractère fictif de l’enlèvement, cette disposition apparaît susceptible de fonder une décision de classement sans suite.

Ainsi, le sort d’Olivier Dubois apparaît moins dicté par des considérations juridiques que par un choix politique : payer ou ne pas payer.

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