fbpx
skip to Main Content

Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux : quelles règles pour un président-candidat ?

Par Anne Levade – Professeur de droit public à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne – Ecole de droit de la Sorbonne – Président de la Fondation Panthéon-Sorbonne et Président de l’Association Française de Droit Constitutionnel

D’après les informations qu’elle a elle-même fait connaître, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) a adressé, le 7 mars dernier, un message au mandataire du candidat Emmanuel Macron. Elle y réagissait à la diffusion sur le compte Twitter nominatif d’Emmanuel Macron de la « Lettre aux Français » par laquelle il déclarait sa candidature à l’élection présidentielle.

Quelle interdiction est faite à Emmanuel Macron par la CNCCEP quant à l’utilisation de son compte Twitter personnel et des réseaux sociaux ?

Sans que l’on puisse à proprement parler d’une interdiction, la CNCCEP demandait que ledit compte ne soit pas utilisé à des fins de propagande électorale dès lors qu’Emmanuel Macron en fait usage « de longue date et de façon prépondérante pour relayer des messages afférents à l’exercice de ses fonctions de Président de la République ». La Commission a donc invité le candidat à retirer la déclaration de candidature du compte et à s’abstenir d’utiliser ce compte pour diffuser des messages en lien avec sa candidature pendant la durée de la campagne, « ces messages ayant vocation à être diffusés sur le compte spécialement créé par le candidat et son équipe pour les besoins de la campagne en vue de l’élection présidentielle ».

De manière générale, Emmanuel Macron est appelé, comme tous les candidats à l’élection présidentielle exerçant par ailleurs des fonctions publiques, à la plus grande vigilance dans l’utilisation des réseaux sociaux. La CNCCEP a d’ailleurs formulé, le 28 février 2022, un « Avis sur l’utilisation par les candidats de comptes de réseaux sociaux tels que Twitter dans le cadre de la campagne en vue de l’élection du Président de la République ».

Quelle est la raison d’être de ces règles de régulation de la campagne présidentielle ?

La situation particulière d’Emmanuel Macron, qui est candidat à sa réélection, est intéressante car elle met en lumière deux justifications différentes des règles de régulation de la campagne présidentielle et, plus généralement, de toute campagne électorale.

La première tient à la nécessité, en démocratie, d’assurer autant que possible l’égalité entre les candidats. C’est ce qui explique les règles applicables en matière de financement des campagnes électorales ou de communication audiovisuelle et l’on sait, en ce dernier domaine, combien l’appréciation de l’égalité est délicate puisqu’elle conduit à distinguer plusieurs périodes pendant lesquelles sont successivement imposées l’équité puis la stricte égalité des temps de parole et des temps d’antenne des candidats.

L’exigence est aisément transposable aux réseaux sociaux et le fait que le nombre d’abonnés des comptes Twitter des candidats soit précisément connu facilite encore l’opération. Le compte Twitter @EmmanuelMacron est suivi par plus de 8 millions de personnes, nombre qu’aucun des autres candidats ne peut, sans nullement leur faire injure, prétendre atteindre. Il suffit de comparer le compte officiel de la campagne d’Emmanuel Macron (@avecvous) qui compte moins de 30 000 abonnés…

La seconde justification, qui a tout spécialement motivé l’avis de la CNCCEP du 28 février, renvoie à la situation particulière des candidats – et de leurs soutiens – lorsqu’ils sont titulaires de fonctions publiques : il s’agit de l’interdiction d’utiliser les moyens inhérents auxdites fonctions dans le cadre de la campagne.

La formule peut sembler vague et mérite d’être précisée.

D’une part, et la CNCCEP le rappelle, « l’utilisation de tous moyens publics dans le cadre de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle est strictement prohibée par la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel ». Concernant les réseaux sociaux, cela interdit que les sites et comptes officiels des institutions publiques diffusent tout message de propagande électorale.

D’autre part, et plus généralement, l’exercice des fonctions publiques est soumis au principe de neutralité du service public, expliquant, par exemple, la période de réserve à laquelle sont astreints les membres du Gouvernement depuis le 18 mars 2022. Il n’est évidemment pas question de les empêcher de prendre position en faveur d’un candidat mais de leur interdire de le faire dans l’exercice de leurs fonctions gouvernementales. Dit autrement, il ne doit pas y avoir de confusion entre l’exercice des fonctions publiques et les messages purement politiques en lien avec la campagne électorale.

Que penser de l’efficacité / opportunité de ces règles ?

Il ne semble pas qu’il y ait lieu de mettre en cause l’opportunité de ces règles. Elles sont de bon sens et poursuivent l’objectif assurément légitime de libre expression du suffrage.

La réponse est forcément plus nuancée lorsque l’on s’interroge sur leur efficacité.

En premier lieu, nul ne contestera qu’il y a une part de fiction à considérer que ces règles suffisent à ôter de l’esprit des électeurs le fait que tel ou tel soutien d’un candidat est l’actuel Premier ministre, le président d’une région ou le maire d’une grande ville. Il est bien sûr indispensable d’assurer que les moyens dont il dispose ès qualité ne sont pas utilisés à des fins électorales mais une campagne électorale est, par nature, le lieu d’un rapport de forces et, par conséquent, le poids respectif des candidats ainsi que celui de leurs soutiens ne peuvent, et c’est heureux, pas être neutralisés.

En second lieu, les réseaux sociaux constituent un véritable défi aux règles classiques en usage dans le cadre des campagnes électorales. La CNCCEP a rappelé à juste titre que la place croissante qui, depuis 2012, leur est accordée, « à plus forte raison dans un contexte où la pandémie rend plus difficile l’organisation de la campagne électorale selon des modes traditionnels, tels l’organisation de meetings ou de déplacements ».

Devenus des modes de communication à part entière, on sait aussi combien ils sont difficiles à contrôler. La CNCCEP a notamment annoncé qu’elle serait « particulièrement attentive » aux risques de « diffusion de fausses nouvelles ou propos diffamatoires, de manipulations par diffusion massive de messages ou d’ingérences étrangères ». Les contraintes qu’elle imposent directement aux candidats ne sont donc que la face émergée d’un iceberg dont les contours sont difficiles à identifier.

Back To Top
×Close search
Rechercher