Par Olivier Duhamel, Président de la Fondation nationale des sciences politiques, membre du Club des juristes

Le lundi 29 juin, au lendemain du second tour des élections municipales, le président de la République, comme il s’y était engagé, a donné sa « réponse aux membres de la Convention Citoyenne pour le Climat », une semaine après que celle-ci a présenté ses 149 propositions. Le chef de l’État s’était engagé, le 10 janvier 2020, non pas comme il est souvent dit par erreur à reprendre les propositions de la Convention, mais à les soumettre « sans filtre, soit aux votes du Parlement, soit à référendum, soit d’application réglementaire directe ». S’agissant des suites référendaires, Emmanuel Macron a précisé ses intentions qui peuvent être classées en trois catégories selon que cette procédure est écartée, souhaitée ou envisagée.

1. Les réferendums écartés

Le président de la République ne retient pas deux propositions référendaires.

La première concerne une révision du Préambule érigeant la protection de l’environnement en principe constitutionnel supérieur. « Vous proposez (…) de réécrire le préambule de la Constitution en plaçant l’environnement au-dessus de nos valeurs, de nos autres valeurs fondamentales. Comme je vous l’ai dit en janvier, de là où je suis, je suis garant de nos institutions et mon rôle, c’est de veiller à tout ce qui pourrait mettre en cause l’équilibre des pouvoirs et les valeurs qui fondent la République. Or, tel que proposé, la rédaction pour le préambule menace de placer la protection de l’environnement au-dessus des libertés publiques, au-dessus même de nos règles démocratiques. Et c’est pourquoi je ne souhaite pas reprendre cette proposition parce que je considère qu’elle serait contraire à notre texte constitutionnel, à l’esprit de nos valeurs. (…) Il est essentiel de (…) ne pas mettre un droit de la nature au-dessus des droits humains parce que je crois que ce n’est pas cohérent avec le projet et la philosophie des Lumières qui portent notre République. » Il est permis de croire que sur ce point le chef de l’État a été alerté par les objections tant de plusieurs publicistes – dans les deux sens, XVIIIe siècle et juridique, du terme –, que du Premier ministre lui-même.

La seconde demande référendaire écartée vise l’introduction dans notre droit d’un crime d’écocide. « Sur la question, enfin, de la création d’un crime d’écocide, je pense que c’est une notion extrêmement structurante pour la protection des écosystèmes et la défense de l’écologie et la biodiversité pour aujourd’hui et demain. (…) La mère des batailles sur ce point est d’abord internationale. Il faut faire en sorte d’inscrire ce terme dans le droit international pour que les dirigeants qui sont chargés par leurs peuples de protéger le patrimoine naturel et qui faillissent délibérément rendent compte de leurs méfaits devant la Cour pénale internationale. Soyez en sûr, je porterai donc ce combat au nom de la France dans les instances multilatérales… ». Le chef de l’État ne récuse donc pas la notion d’écocide, il botte en touche internationale.

2. Le réferendum constitutionnel souhaité

« Vous proposez la réécriture de l’article premier de notre Constitution et vous proposez d’introduire les notions de biodiversité, d’environnement, de lutte contre le réchauffement climatique dans notre texte fondamental. Je suis favorable à cette proposition. Je veux ainsi que nous puissions engager d’abord à l’Assemblée nationale et au Sénat, sur la base de votre proposition, un texte en vue d’une réforme constitutionnelle. Je souhaite la voir aboutir d’ici fin 2021 et je suis prêt à recourir au référendum si celui-ci était alors constitutionnellement possible après le vote des chambres dans le cadre strict de notre Constitution. »

Sur le fond, cette proposition, parfois critiquée, recueille un assez large consensus – ce qui ne signifie pas qu’elle aboutira certainement, tant les préoccupations politiques exogènes interviennent fortement dans tout processus de révision constitutionnelle.

Sur la forme, ou, plus exactement, la procédure, le plus intéressant est de relever qu’Emmanuel Macron ne reprend pas à son compte l’interprétation pour le moins audacieuse de deux de ses prédécesseurs en matière de révision constitutionnelle, le général de Gaulle et François Mitterrand. Le fondateur de la Ve République a considéré, tant en 1962 qu’en 1969, que l’article 11 lui permettait de réviser la Constitution par référendum direct, nonobstant l’article 89 qui exige un vote conforme préalable des deux assemblées et malgré les objections de la grande majorité des juristes. Quant au pourfendeur initial de la Vème, devenu président de la République et candidat à sa réélection, il renversa la jurisprudence classique de la gauche, opposée au référendum constitutionnel par la voie directe de l’article 11, dans l’entretien accordé à l’auteur de ces lignes dans le numéro 45 de la revue Pouvoirs publié en avril 1988. Précisons pour l’Histoire que le directeur de cabinet du Président, Jean-Claude Colliard, par ailleurs professeur de droit public, était allé dire au chef de l’État, lors de sa relecture des épreuves de l’entretien, qu’il y avait une erreur, vu son opposition permanente à cette utilisation détournée de l’article 11. François Mitterrand lui répondit qu’il n’y avait aucune erreur et qu’il disait là ce qu’il voulait dire…

Emmanuel Macron ne s’inscrit pas dans cette lignée mais revient à la lecture stricte de la Constitution, qui n’autorise sa révision que par la voie de l’article 89, laquelle exige l’accord de l’Assemblée nationale et du Sénat avant l’adoption définitive en Congrès ou par référendum (le vote conforme et non la simple consultation comme l’on peut lire étrangement dans Le Monde du 30 juin). Ce faisant, le président de la République se conforme tant à l’interprétation faite par le Conseil d’État en 1962 que par celle, à n’en guère douter, du Conseil constitutionnel qui a renforcé son contrôle en amont du recours au référendum.

3. Les réferendums envisagés

Troisième et dernière catégorie : les référendums législatifs possibles. Il peut sembler, à première vue, surprenant que le président de la République évoque « la possibilité » de procéder à un référendum. Cette « possibilité » existe par définition. Le propos n’est cependant pas dénué d’intérêt. Que dit exactement Emmanuel Macron ?

« Sur l’ensemble de vos propositions vous avez souhaité qu’elles passent par le Parlement. Je vous ai dit que c’est ce que nous allions faire avec ces groupes de travail et ces textes de loi. Mais si les choses ne devaient pas avancer assez vite, dans le cadre du suivi auquel je veux vous associer, et si nous pensons que c’est pertinent, je souhaite laisser ouverte la possibilité en 2021 de procéder à un référendum avec plusieurs questions et y attacher les textes pour que dans le cadre de l’article 11 de notre Constitution nous puissions décider d’un référendum. Je vous ai fait confiance, vous avez été à la hauteur de cette confiance. Ensemble nous pouvons aussi, au moment où nous le choisirons sur des sujets qui peut-être bloqueraient, de faire confiance aux Français. Je le crois très profondément. C’est pourquoi je veux ici aujourd’hui laisser cette option ouverte. »

Ces précisions remplissent une double fonction. La première, dissuasive, vise à inciter l’Assemblée nationale à ne pas rechigner ni traîner dans l’adoption des projets de loi qui lui seront soumis. Soit.

La seconde, beaucoup plus intéressante pour notre sujet, réside dans l’énoncé de la possibilité d’un « référendum à plusieurs questions ». Si un tel référendum devait advenir, nul doute que les juristes, comme à chaque fois qu’ils le peuvent, se diviseraient. Les publicistes assez systématiquement anti-Macron (il en existe) objecteront que la Constitution ne le permet pas. D’autres, plus ouverts, souligneront que ce qui n’est pas interdit est autorisé, pour peu qu’une loi en fixât les conditions de mise en œuvre. Notons simplement que pour les publicistes s’inscrivant dans la tradition gaulliste, il serait étonnant qu’ils objectassent, puisqu’en 1969 plusieurs proches du général de Gaulle ont tenté de le convaincre de poser deux questions et non une seule, dissociant la réforme des régions de celle du Sénat, afin d’éviter l’échec annoncé. Le Général refusa puisqu’il voulait mettre en jeu sa responsabilité personnelle, ce qui le conduisit comme chacun sait, à quitter le pouvoir. Emmanuel Macron ne reprend pas cette conception gaullienne, plébiscitaire à la lettre, ultra-démocratique selon ses partisans. Il s’inscrit au contraire dans la lignée du référendum « déplébiscitarisé » qui fut celle de François Mitterrand comme de Jacques Chirac lors des référendums sur l’Europe de 1992 et 2005. Le président de la République envisage de franchir un cran supplémentaire dans le désengagement de responsabilité via le référendum à questions multiples, espérant qu’ainsi un patchwork de « oui » et de « non » évite tout désaveu. Les opposants dénonceront une manœuvre, et certains appelleront tantôt au boycott, tantôt aux « non » généralisés. Les partisans loueront une nouvelle étape dans le perfectionnement de nos pratiques citoyennes. Quant aux esprits libres, qui existent encore, ils apprécieront selon l’idée qu’ils se font de la démocratie.

 

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