Par Romain Rambaud, Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, Spécialiste de droit électoral

(http://blogdudroitelectoral.fr)

La question de la constitutionnalité du maintien du premier tour, et du report du second tour des élections municipales a été très controversée tout au long de la crise sanitaire. Le Conseil constitutionnel a jugé le 17 juin en QPC que les dispositions de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 sont conformes à la Constitution. Les élections pourront donc se tenir comme prévu le 28 juin prochain.

Le Club des juristes : Le Conseil constitutionnel a validé l’organisation des élections municipales en jugeant leur report au mois de juin conforme à la Constitution, à 11 jours du second tour. Enfin ?

Romain Rambaud : Effectivement, même si la solution rendue par le Conseil constitutionnel était sur le plan du droit la plus probable, on peut souligner que l’on a atteint avec ces élections municipales de 2020 un très haut niveau d’insécurité juridique. Cela s’explique d’abord par le fait que le Conseil constitutionnel n’avait pas été saisi a priori de la loi du 23 mars 2020, l’ensemble des pouvoirs publics ayant jugé qu’il était plus urgent de la mettre en œuvre immédiatement. Par la suite, le président du Conseil constitutionnel avait indiqué de façon parfaitement claire dans son interview au journal Le Figaro du 17 avril 2020 qu’il souhaitait que le juge constitutionnel puisse statuer sur ces questions. Des protestations électorales ont été formées devant les tribunaux administratifs, accompagnées de QPC, avec l’aide de l’association 50 millions d’électeurs notamment. Par deux arrêts du 26 mai 2020, le Conseil d’État a accédé à cette requête en renvoyant deux QPC différentes. La plus importante portait sur l’article 19 de la loi du 23 mars 2020, entérinant les résultats du premier tour et reportant le second tour au plus tard au mois de juin (n°2020-849 QPC). La deuxième portait sur l’article L. 262 du Code électoral, relatif au mode de scrutin dans les communes de 1 000 habitants et plus, en tant que celui-ci ne prévoit pas de seuil minimal de participation pour une élection à la majorité absolue au premier tour (n°2020-850 QPC).

On se concentrera sur la QPC n°2020-849, la plus connue et la plus attendue des deux, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a jugé s’agissant de la QPC n°2020-850 qu’il n’y avait pas lieu à statuer parce qu’il avait déjà acté de la constitutionnalité de ce mode de scrutin dans sa décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, puis de son application aux communes de 1 000 habitants et plus par sa décision n° 2013-667 DC du 16 mai 2013, sans admettre un changement de circonstances en raison de l’abstention notamment. La solution peut sembler sévère mais on peut penser que sur le fond le Conseil aurait jugé le mode de scrutin conforme à la Constitution, en raison d’une part de la marge de manœuvre dont dispose le législateur et d’autre part du caractère de scrutin de liste à la proportionnelle permettant, malgré la prime majoritaire, une distribution des sièges aux listes de candidats dès le premier tour.

LCJ : Concernant la constitutionnalité de la loi du 23 mars 2020, quel a été le raisonnement du Conseil constitutionnel ?

R.R. : Le raisonnement tenu par le Conseil constitutionnel est assez proche de celui qu’avait tenu le Conseil d’État dans son avis du 18 mars 2020 sur le projet de loi d’urgence.
En premier lieu, concernant l’article 19.I qui entérine le résultat des élections du 15 mars dans les 30 000 communes environ où elles furent acquises, en disposant que « Dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux (…) élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution », le Conseil considère que cet article se borne à préciser le maintien de ces résultats dans le contexte du report de l’élection pour les 5 000 autres communes. En cela, cet article n’a pas pour objet de valider rétroactivement les opérations électorales du premier tour. Les griefs tirés de la méconnaissance de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qui garantit la séparation des pouvoirs, ou des principes de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage, ne sont donc pas fondés, dans la mesure où ces dispositions ne font pas obstacle à ce que ces opérations soient contestées devant le juge de l’élection. Implicitement mais nécessairement, le Conseil constitutionnel juste ainsi que l’abstention en tant que telle, conformément à l’état du droit, n’a pas affecté la sincérité de l’élection de manière générale, conformément à sa position traditionnelle (Cons. const., n°98-2571 AN, 09 mars 1999, Alpes-Maritimes, 2e circ. ; CE, 17 dec. 2014, n°381500, El. Mun. de Saint-Rémy-sur-Avre ; CE, 22 juill. 2015, n° 385989, El. Mun. de Montmagny).

En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel juge que le législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales, peut, à ce titre, déterminer la durée du mandat des élus composant l’organe délibérant d’une collectivité territoriale et donc reporter une élection, mais dans le respect des principes constitutionnels, qui impliquent notamment que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage, garanti par l’article 3 de la Constitution, selon une périodicité raisonnable. Par ailleurs, dans la mesure où le report du second tour des élections remet en cause l’unité de déroulement des opérations électorales, une telle modification du déroulement des opérations électorales n’est possible qu’à la condition qu’elle soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général et que, par les modalités qu’il a retenues, il n’en résulte pas une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage. En l’espèce, le juge estime que ces conditions sont respectées. Comme le Conseil d’État, il estime qu’éviter de contribuer « à la propagation de l’épidémie de covid-19, dans un contexte sanitaire ayant donné lieu à des mesures de confinement de la population » constitue un motif impérieux d’intérêt général. Il juge également que « le délai maximal ainsi fixé pour la tenue du second tour était, lors de son adoption, adapté à la gravité de la situation sanitaire et à l’incertitude entourant l’évolution de l’épidémie », ce qui rejoint l’analyse du Conseil d’État qui avait estimé qu’un délai de 3 mois restait proportionné. Enfin, il considère que les modalités adoptées garantissent le respect des principes constitutionnels, qu’il s’agisse de la consultation du conseil scientifique avant de déterminer si le scrutin peut être maintenu, du maintien du corps électoral (la non-modification des listes électorales de principe entre le premier et le deuxième tour), la consultation des listes d’émargement, etc. Celles-ci « contribuent à assurer, malgré le délai séparant les deux tours de scrutin, la continuité des opérations électorales, l’égalité entre les candidats au cours de la campagne et la sincérité du scrutin ».

Cette solution du Conseil constitutionnel est tout à fait bienvenue, celui-ci semblant si sûr de la solidité de son raisonnement qu’il n’a même pas jugé utile d’utiliser son traditionnel considérant d’auto-restriction selon lequel il ne dispose pas d’un « pouvoir d’appréciation de la même nature que celui du Parlement » (v. en dernière analyse la décision n° 2019-811 QPC du 25 octobre 2019 relative aux élections européennes). Cette décision, qui préserve la stabilité politique et évite d’ajouter une crise à la crise, est en phase tant avec les principes du droit électoral français qu’avec les standards internationaux, lesquels insistent sur la nécessité de préserver le consensus politique, lequel était réel en l’espèce.

LCJ : Et maintenant ? Le contexte de la crise sanitaire, notamment la question de l’abstention, pourrait-il malgré tout avoir un impact ?

R.R. : Il s’agit d’un autre aspect très intéressant de la décision du Conseil constitutionnel. Examinant la question de la participation, il considère que les « dispositions contestées ne favorisent pas par elles-mêmes l’abstention » mais qu’il « appartiendra, le cas échéant, au juge de l’élection, saisi d’un tel grief, d’apprécier si le niveau de l’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin ». Sur ce point, le Conseil constitutionnel est également en phase avec la jurisprudence, selon laquelle l’annulation des élections au motif de l’abstention, à ce stade largement théorique, ne s’envisage qu’au cas par cas lorsque des circonstances particulières sont présentes en l’espèce, telles que des manœuvres ou des pressions (Cons. const., n°2007-3742/3947 AN, 20 dec. 2007, Hauts-de-Seine, 10e circ. ; CE, 17 dec. 2014, n°381500, El. Mun. de Saint-Rémy-sur-Avre ; 22 juill. 2015, n° 385989, El. Mun. de Montmagny) ou en cas de circonstances exceptionnelles lorsqu’il existe une inégalité entre les candidats (Cons. const., n°80-892/893/894 AN, 19 janv. 1981, Cantal, 1re circ ; n°93-1279 AN, 1er juil. 1993, Wallis-et-Futuna). Toutefois, il semble par cette formulation assez large « ouvrir la porte » à des interprétations plus fortes de la part du juge électoral, incitant les tribunaux administratifs et le Conseil d’État à se saisir pleinement de la question. Les débats sur l’impact de l’abstention ne sont pas terminés !

 

Du même auteur :

 

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]S’abonner à la newsletter du Club des juristes[/vcex_button]