Hélène Thouy, fondatrice et tête de liste du parti animaliste pour les élections européennes, a pointé du doigt certains dysfonctionnements électoraux survenus le 26 mai pendant les élections européennes. Avec un score de 2.17% des voix, le parti a créé la surprise mais l’avocate estime néanmoins que les anomalies qui se sont produites ne permettaient pas d’avoir un score représentatif de ce qu’ils auraient dû récolter. Le 7 juin dernier, Hélène Thouy a décidé de saisir le Conseil d’État.

Décryptage par Romain Rambaud, professeur à l’Université Grenoble Alpes.

« L’annulation totale du scrutin ne serait possible que si la sincérité du scrutin a été altérée, c’est-à-dire que les résultats de l’élection auraient pu être différents sans ces irrégularités »

Pourquoi le Parti a-t-il saisi le Conseil d’État ?

La liste « Parti animaliste » aux élections européennes, ayant pour tête de liste Hélène Thouy, a obtenu d’après la proclamation officielle des résultats opérée le 29 mai 2019 par la commission nationale de recensement, prévue à l’article 22 de la loi du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, 490 074 voix (JORF n°0125 du 30 mai 2019). Cela représente environ 2,17 % des suffrages exprimés. Hélène Thouy estime cependant que des fraudes électorales ont affecté le scrutin. Le 26 mai, après les résultats, elle dénonçait sur BFM TV une « fraude massive », considérant : « Nous avons reçu des centaines de signalements d’électeurs, qui n’avaient pas de bulletins dans leur bureau de vote. Le Parti animaliste a payé pour avoir des bulletins dans tous les bureaux de vote, sauf que certaines préfectures se sont octroyé le droit […] de ne pas (y) mettre des bulletins. Par exemple, dans l’Hérault, sur 343 communes, seules 21 ont reçu des bulletins de vote de la préfecture. C’est une honte ! ».

Que dénonce le parti animaliste ? Sur quels fondements s’appuie-t-il ?

D’après les informations publiées dans la presse, la requête, déposée le 7 juin, s’appuierait sur les dispositions du Code électoral qui régissent la distribution des bulletins dans les bureaux de vote par les commissions de propagande. L’article 17 de la loi de 1977 prévoit que 15 jours avant la date des élections, il est institué dans chaque département une commission chargée d’assurer l’envoi et la distribution de tous les documents de propagande électorale. Chaque liste de candidats désigne un mandataire qui participe aux travaux de cette commission avec voix consultative. L’article 6 du décret du 28 février 1979 prévoit que les candidats tête de liste, après avoir fait valider leur propagande électorale par la commission de propagande de Paris, remettent aux Présidents des commissions départementales de propagande les exemplaires imprimés de leur circulaire et une quantité de bulletins au moins égale au double du nombre des électeurs inscrits. Ces documents (profession de foi et bulletins de vote) constituent ce que l’on appelle la « propagande officielle », laquelle n’est remboursée que si les listes obtiennent au moins 3% des suffrages exprimés (art. 18 de la loi de 1977).

Les listes qui ne sont pas certaines d’obtenir ce résultat peuvent bénéficier d’une facilité offerte par le Code électoral. L’article R. 34 prévoit que la commission départementale de propagande, normalement, d’une part adresse à tous les électeurs du département une circulaire et un bulletin de vote de chaque liste et d’autre part envoie dans chaque mairie les bulletins de vote de chaque liste, destinés aux bureaux de vote, en nombre au moins égal à celui des électeurs inscrits. Cependant, lorsque les listes n’ont pas les moyens financiers de fournir ces documents dans les quantités demandées, l’article R. 34 prévoit que le candidat « peut proposer une répartition de ses circulaires et bulletins de vote entre les électeurs » et qu’à « défaut de proposition ou lorsque la commission le décide, les circulaires demeurent à la disposition du candidat et les bulletins de vote sont distribués dans les bureaux de vote en proportion du nombre d’électeurs inscrits ».

Hélène Thouy accuse les commissions de propagande d’avoir volontairement mal acheminé les bulletins dans les bureaux de vote, tandis que le ministère de l’Intérieur et les préfectures font valoir soit des dysfonctionnements isolés soit l’application stricte du principe du prorata vis-à-vis du nombre d’électeurs inscrits : c’est le cas pour l’Hérault où seules les 21 communes les plus peuplées ont été approvisionnées en raison, semble-t-il, du nombre trop limité de bulletins déposés à la commission de propagande. Pour en savoir davantage, il faudrait avoir accès au dossier.

Ces dysfonctionnements pourraient-ils remettre en cause les résultats ?

Cela semble impossible. Tout d’abord, la commission nationale de recensement, dans sa décision de proclamation des résultats, a rejeté l’hypothèse d’une « fraude électorale massive » délibérée : elle a « constaté que, dans un nombre limité de bureaux de vote, les bulletins de quelques listes avaient été mis à la disposition des électeurs avec retard ou avaient pu venir à manquer au cours de la journée ; dans tous les cas cependant, les retards initiaux ou les délais de réapprovisionnement ont été faibles et ne révèlent aucune anomalie ni aucune manœuvre de nature à justifier que soient écartés les résultats d’un bureau de vote ayant été affecté par ces incidents ».

La liste animaliste est d’ailleurs loin d’avoir été la seule à subir ces dysfonctionnements… Certes, cette appréciation ne lie pas le juge, mais on peut penser que la commission de recensement a effectué un travail sérieux. Ensuite, la structure du contentieux électoral ne permet pas de penser que, en l’espèce, il soit possible pour cette raison de remettre en cause les résultats de l’élection. En effet, l’annulation totale du scrutin ne serait possible que si la sincérité du scrutin a été altérée, c’est-à-dire que les résultats de l’élection auraient pu être différents sans ces irrégularités. Or, dans la mesure où il est nécessaire de réaliser 5% des suffrages exprimés pour être admissible aux sièges et obtenir au moins un élu (art. 3 de la loi de 1977), la sincérité du scrutin ne pourrait être altérée que si les irrégularités considérées auraient pu permettre à la liste animaliste de franchir ce seuil… mais dans le cadre d’une circonscription nationale, cela se compterait en centaines de milliers de voix, et non pas en centaines ! On pourrait imaginer, sinon, que la liste animaliste souhaite démontrer qu’elle aurait pu atteindre le seuil de 3% des suffrages exprimés pour obtenir le remboursement… mais elle semble là aussi trop loin de ce score et en toute hypothèse, une telle demande ne relèverait pas du juge électoral. Leur recours semble donc voué à l’échec.

 

Pour aller plus loin :

Par Romain Rambaud.