Par Michel Degoffe – Professeur de droit public à l’Université Paris Cité

Lundi 4 juillet, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire a déclaré que l’Etat devait renforcer les contrôles afin que les vendeurs de produits alimentaires ne profitent pas du contexte d’inflation pour appliquer des augmentations indues aux consommateurs. Le ministre souhaite ainsi vérifier que les augmentations constatées depuis quelques mois dans la distribution (+5.7% en juin sur les produits d’alimentation par exemple) sont justifiées, s’assurer qu’aucune « marge inacceptable » n’est effectuée et sanctionner les « profiteurs de la crise inflationniste ». Il a indiqué que l’Etat allait renforcer les contrôles afin de vérifier que les dispositifs de la loi Egalim « profitent vraiment aux agriculteurs et non à des acteurs intermédiaires ». Cependant, il ne faut pas donner une importance disproportionnée à de tels propos. Le 16 décembre de l’année dernière, le ministère de l’Industrie avait déjà annoncé un tel renforcement, la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) accentuant ses investigations sur les pratiques des centrales d’achats internationales. En 2020, la DGCCRF a fait 10 000 contrôles. Il sera donc difficile de faire plus. Par ses propos, le ministre veut sans doute montrer qu’il comprend l’inquiétude des consommateurs.

Quel est l’objet des lois Egalim dont Bruno Le Maire a déclaré vouloir vérifier la bonne application ?

L’objectif de ces lois (loi 30 octobre 2018, loi du 18 octobre 2021) est de garantir des revenus décents aux agriculteurs. Depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986, le prix des biens, produits et services est librement fixé par le jeu de l’offre et de la demande et il est mis fin au système de contrôle des prix. Mais, les économistes ont démontré que la concurrence n’était pas toujours parfaite. Ainsi, les agriculteurs sont dans une relation déséquilibrée vis-à-vis des centrales d’achat. Le dispositif Egalim souhaite rééquilibrer cette relation en faveur de l’agriculteur en lui demandant de préciser quel est le prix qui lui permet de supporter ses coûts et d’obtenir une rémunération raisonnable. Les organisations professionnelles devaient élaborer des « indicateurs de référence » permettant d’évaluer les coûts. La loi voulait également encadrer les promotions.  Le recours à la médiation puis les sanctions sont passibles quand cette relation plus égalitaire n’est pas respectée.

Le résultat n’ayant pas été pleinement convaincant, la loi de 2021 a renforcé ces dispositions en prévoyant notamment que le contrat de vente d’un produit agricole (conclu entre l’agriculteur et les centrales d’achat par exemple) est nécessairement écrit et pluriannuel ce qui doit assurer une certaine visibilité au producteur. La médiation n’ayant pas eu le succès escompté, la loi de 2021 crée un comité de règlement des différends commerciaux agricoles qui peut adresser des injonctions assorties éventuellement d’astreintes exigeant des parties qu’elles concluent un contrat conforme aux dispositions des articles L. 631-24 et L. 631-24-2 du code rural (ces articles prévoient que les contrats sont écrits, pluriannuels, avec une durée minimale…).

Préserver les revenus des agriculteurs, lutter contre l’inflation … Les buts poursuivis par le gouvernement ne s’entrechoquent-ils pas ?

C’est à craindre, en effet. D’un côté, depuis le vote de ces lois, l’Etat cherche à garantir une rémunération équitable à l’agriculteur, de l’autre la flambée récente des prix crée des tensions sociales que le gouvernement cherche à apaiser de diverses façons, comme le démontrent les propos de Bruno le Maire qui veut multiplier les contrôles, notamment des marges effectuées par certains distributeurs.

La problématique est la suivante : la loi Egalim souhaite protéger le prix de la matière première agricole (art. L. 441-1-1-III du code rural). Or dans la fixation du prix par l’agriculteur aux intermédiaires et notamment aux centrales d’achat, le coût de cette matière première est un élément non négociable. Mais, celle-ci augmente nécessairement puisque l’agriculture utilise pour la produire des intrants (énergie, engrais, matériels utilisés pour la production d’un bien) qui subissent des hausses inattendues : + 40% pour le gazole non routier, +40% pour les engrais azotés, + 40% pour les aliments du bétail. Ce constat permet de comprendre qu’il serait absurde de bloquer les prix des produits pour protéger le consommateur contre la hausse des prix : si l’agriculteur ne peut pas répercuter cette hausse sur le prix de vente des produits agricoles, il est condamné à mettre la clé sous la porte. La raréfaction des producteurs pourrait alors relancer la hausse des produits agricoles. L’un des objectifs de la loi Egalim est, on vient de le dire, de garantir à l’agriculteur que ses coûts de production seront répercutés dans le prix de vente de son produit. Le consommateur ressentira donc nécessairement cette hausse ce que le ministre veut éviter.

Dans un premier temps d’ailleurs, le gouvernement ne s’est pas préoccupé du sort des consommateurs mais de ceux des agriculteurs. Les contrats de vente obligatoires entre l’agriculteur ou le producteur et leur premier acheteur ont d’ailleurs été négociés avant l’augmentation du prix des intrants. Dès le début de la crise ukrainienne qui a eu des effets inflationnistes sur le prix des matières premières, les ministres de l’agriculture et de l’économie ont demandé aux partenaires de renégocier ces contrats.

La situation actuelle n’a rien d’étonnant. Les communes sont, par exemple, confrontées au même dilemme : faut-il répercuter l’augmentation du prix des produits alimentaires sur le tarif de la cantine alors que les parents souffrent déjà de l’inflation ? La commune peut sortir de ce dilemme en faisant supporter cette hausse par le contribuable. L’artifice est plus délicat sur un marché libre.

Afin de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs, le ministre peut-il inciter les grandes surfaces à multiplier les offres promotionnelles ?

Afin de protéger l’agriculteur, la loi encadre les offres promotionnelles sur les produits agricoles. Pour les produits agricoles mentionnés à l’article L. 443-2, le lait et les produits laitiers, les avantages promotionnels ne peuvent dépasser 30 % de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris (art. L. 441-4 du code de commerce). Le législateur a introduit cette disposition dans la loi Egalim à la suite de l’émoi provoqué en 2018 par la super-promotion de -70% sur le Nutella qui avait provoqué un afflux dans le magasin. Les promotions du type « un produit acheté, un produit offert » sont désormais interdites. En revanche, demeurent possibles, les promotions du type « deux produits achetés, un produit offert ». La loi a également suscité des contournements consistant à offrir un produit différent de celui acheté (« une boîte de foie gras achetée, une boîte de confit de canard offerte »).

Les tensions inflationnistes de ces dernières semaines ont incité Bruno Le Maire à proposer d’autoriser les super-promotions sur les produits alimentaires jusqu’à moins 50%. Une telle proposition entre en conflit avec la loi Egalim comme l’a souligné, dans un jeu à front renversé, le président de Système U : le représentant de la grande surface rappelle que de telles promotions peuvent satisfaire le consommateur mais mettent en péril le revenu des agriculteurs. L’opposition des syndicats agricoles a d’ailleurs conduit le ministre à abandonner cette proposition.

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