Par Marthe Bouchet – Professeure de droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord
 

Les médias ont largement relayé depuis quelques jours les faits qui auraient été commis par Hiromi Rollin, à l’encontre d’Alain Delon, ancien acteur et immense star du cinéma français. L’affaire a suscité de nombreuses réactions, dénonçant notamment le sort peu enviable réservé par le système français à nos aînés, ainsi que la faiblesse des exigences applicables à ceux qui les accompagnent. D’un point de vue pénal, celle qui est présentée comme « la régisseuse », « la compagne » ou « la dame de compagnie » d’Alain Delon, a été précisément visée par deux plaintes distinctes, envisageant un florilège de qualifications pénales.

Quelles sont les qualifications pénales envisagées ?

La première plainte a été déposée par les trois enfants de l’acteur, lequel s’y est joint par une déclaration signée. Elle vise des faits de harcèlement moral, de détournement de correspondances, et de maltraitance animale.

Le harcèlement moral, puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, est une infraction dont l’élément matériel est exigeant. Défini par l’article 222-33-2-2 du code pénal, il sanctionne des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime, se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale, et le tout assorti de l’intention correspondante. En l’espèce, il faudra démontrer que Madame Rollin a eu des comportements répétés – les enfants évoquent son attitude autoritaire et menaçante, sa volonté d’isoler l’acteur – qui ont dégradé les conditions de vie d’Alain Delon, au point que sa santé physique ou mentale s’en trouve altérée. Il faudra enfin s’assurer que la mise en cause a accompli ces actes en toute connaissance de cause et volontairement.

Le détournement de correspondance, plus spécifique, implique d’ouvrir, de supprimer, de détourner, de retarder ou de prendre frauduleusement connaissance de correspondances adressées à des tiers (art. 226-15 C. pén.). Il vise à saisir, selon les enfants de la star, le fait que Madame Rollin filtrait les appels et les courriers destinés à Alain Delon. La peine encourue pour ces faits est d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La maltraitance animale (art. 521-1 C. pén.) enfin est invoquée parce que la mise en cause aurait battu le chien de l’acteur, Loubo. Ce délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende en l’absence de circonstance aggravante.

La seconde plainte, déposée par Anthony Delon exclusivement, ajoute l’abus de faiblesse et la séquestration de personne vulnérable. Ces qualifications sont nettement plus graves au regard de la peine encourue. La séquestration, notamment, est un délit puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsqu’elle a duré moins de sept jours. Et au-delà de cette durée, elle devient un crime, puni de vingt ans de réclusion criminelle. Il faudra néanmoins démontrer que la mise en cause a bien privé l’acteur de sa liberté d’aller et venir. L’abus de faiblesse est quant à lui puni trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Sa caractérisation nécessite l’exercice de pressions graves et répétées à l’encontre d’une personne vulnérable, ce qui pourrait être le cas d’Alain Delon – au regard de son âge (87 ans) et de son état de santé – pour conduire cette personne à accomplir un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables. Il faudrait ici établir que l’acteur a accompli un tel acte, en raison des pressions exercées à son encontre par sa dame de compagnie.

Toutes ces qualifications seront appréhendées dans le cadre de l’enquête de police judiciaire. Il reviendra aux enquêteurs et aux magistrats de réaliser un travail de tri, afin que les qualifications les plus pertinentes soient retenues. On notera toutefois que, dès lors qu’elles visent des faits distincts, ces différentes qualifications sont susceptibles de se cumuler, à condition que l’ensemble des éléments constitutifs de chaque infraction soient bien réunis. La situation est différente pour les qualifications qui auraient vocation à s’appliquer aux mêmes faits – un même comportement de Madame Rollin pourrait par exemple être retenu au titre du harcèlement moral et au titre de l’abus de faiblesse. En ce cas, la chambre criminelle admet désormais le cumul, sauf qualifications incompatibles (meurtre et homicide involontaire par exemple), redondantes (l’une est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre) ou encore lorsqu’une qualification est spéciale et l’autre générale.

Quoi qu’il en soit, dans tous les cas de cumuls, la peine encourue par la mise en cause ne pourra pas être supérieure au maximum légal le plus élevé, pour chaque peine de même nature (privation de liberté et amende).

Quelle est l’avancée de la procédure à ce stade ? 

Les plaintes déposées ont entraîné l’ouverture d’une enquête préliminaire. Cette enquête sera menée par la brigade et la section de recherche de Montargis, et placée sous l’autorité du procureur de la République de la même ville. Elle ne pourra durer plus de deux années, à compter du premier acte d’enquête, sauf renouvellement, sous conditions, pour un an. Il reviendra aux enquêteurs de mettre ce temps à profit pour apporter la preuve de la commission des différentes infractions.

Il faut toutefois noter que la mise en cause envisage elle aussi de déposer plainte pour violences volontaires, notamment contre les gardes du corps d’Alain Delon, qui l’auraient violentée le 5 juillet afin de la forcer à quitter la villa de l’acteur. Elle aurait même obtenu un certificat médical attestant de blessures correspondant à cinq jours d’ITT. Les violences volontaires ayant entraîné une ITT inférieure à huit jours correspondent à une simple contravention, punie de 1500 euros d’amende. L’avocat de la suspecte a cependant évoqué des violences volontaires aggravées, ce qui ferait basculer cette contravention en délit.

Madame Rollin a par ailleurs fait savoir, par l’intermédiaire de son avocat, qu’elle contestait l’intégralité des faits qui lui sont reprochés.

Quels sont les enjeux probatoires de cette affaire ?

Le point crucial de cette enquête sera sans doute de nature probatoire. Le harcèlement moral ou l’abus de faiblesse notamment, sont des infractions qu’il n’est pas évident de prouver. La charge de la preuve pèse, en application du principe de présomption d’innocence, sur l’autorité de poursuite. On peut penser que les témoignages de l’acteur, de ses proches, et de la suspecte seront ici déterminants.

Par ailleurs, Anthony Delon a évoqué l’existence d’enregistrements attestant de la véracité des accusations portées contre la mise en cause. A cet égard, il faut rappeler que le principe de liberté de la preuve, qui gouverne la procédure pénale, signifie notamment que les parties privées – la solution est autre pour les autorités publiques – peuvent soumettre des preuves obtenues de façon déloyale, tels que des enregistrements réalisés à l’insu de l’auteur des propos. Ces preuves seront recevables dans le cadre de l’enquête pénale, à condition d’être contradictoirement débattues, et le juge pénal pourra les apprécier selon son intime conviction. Seule réserve : l’auteur de ces enregistrements est susceptible de faire ultérieurement l’objet de poursuites pénales, par exemple pour atteinte à l’intimité de la vie privée en l’espèce – comme ce fut le cas du majordome et des journalistes qui avaient procédé à des enregistrements clandestins dans l’affaire Bettencourt (Crim. 31 janv. 2012, n° 11-85.464).