Le 24 octobre, la France est devenue le premier pays de l’Union européenne à transposer la directive sur le droit d’auteur, adopté par le Parlement européen fin mars.
La veille, une tribune publiée dans plusieurs médias dénonçait la manière dont Google envisageait de contourner l’esprit de la directive. Ses signataires, éditeurs de presse, ont décidé d’assigner l’entreprise devant l’Autorité de la concurrence en invoquant un abus de position dominante.

Décryptage par Valérie Laure Benabou, Professeur de droit à l’université d’Aix-Marseille.

« En ne reproduisant plus que le titre et un lien, Google fait jouer les exclusions de la protection et n’a pas à s’acquitter d’une rémunération »

Qu’est-ce que le droit voisin des éditeurs de presse ?

La loi du 24 juillet 2019 entrée en vigueur le 24 octobre 2019 transpose l’article 15 de la directive droite d’Auteur dans le Marché Unique numérique (DANUM) relative à l’instauration d’une protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne. Selon le titre même, celle-ci tend à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse. On entend en général par droit voisin, un droit d’autoriser ou d’interdire certains actes d’exploitation économique d’un objet intellectuel conféré à des « auxiliaires » d’une création protégée par le droit d’auteur, même si la catégorie est en réalité plus large.

En l’espèce, la nouvelle loi établit à l’article L 218-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction et la communication au public totale ou partielle des publications de presse, sous une forme numérique, par un service de communication au public en ligne.
Ce droit est conféré, pour une durée de deux ans aux éditeurs de presse et, en France, aux agences de presse bien que ces dernières ne fussent pas visées par la directive. L’objectif de la disposition était de mettre en capacité les éditeurs, à l’aide d’un droit propre (et non en tant que cessionnaires des droits d’auteur des journalistes), de négocier les conditions de l’utilisation des publications de presse par les agrégateurs de presse et autres moteurs d’actualité, notamment sous la forme de reprise d’extraits.

Au terme d’un lobbying intense autour de la directive, le périmètre initial du droit a toutefois été réduit de sorte qu’il ne s’applique pas aux utilisations, à titre privé ou non commercial, de publications de presse faites par des utilisateurs individuels, ni aux actes d’hyperliens, ni en ce qui concerne l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d’une publication de presse. Cette exclusion de la directive est inscrite dans l’article L. 211-3-1 du CPI sous la forme d’une exception au droit voisin. La loi française a précisé que cette « exception » ne peut affecter l’efficacité des droits reconnus et que tel serait le cas notamment lorsque « l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s’y référer ».

Comment Google entend-elle se mettre en conformité avec la directive ?

Dans un post de blog publié le 25 septembre, Google a annoncé comment elle entendait se « mettre en conformité » avec la loi nouvelle en précisant qu’elle procédera à des changements dans la manière dont les résultats d’actualité apparaîtront dans ses différents services, en France. À compter du 24 octobre, l’aperçu de l’article constitué d’extraits éventuellement accompagnés d’une petite vignette ne sera plus affiché, sauf pour l’éditeur de presse à indiquer que tel est son choix. De la sorte, les spécifications des services de Google se placent, par défaut, en deçà du seuil d’utilisation visé par le droit voisin.

L’entreprise communique également sur les bénéfices que la presse retire de l’exposition des contenus par Google. Elle a précisé avoir modifié son service afin d’augmenter la granularité des options possibles permettant de sélectionner plus finement la visibilité de ces contenus. Google fait par ailleurs valoir que, en Europe, elle « est à l’origine de plus de 8 milliards de visites par mois sur les sites des éditeurs de presse, ce qui représente plus de 3 000 visites chaque seconde » et ajoute que chaque clic renvoyé vers les grands éditeurs de presse représentait un potentiel de revenus supplémentaires compris entre 4 et 6 centimes d’euro. Elle précise enfin qu’elle a investi 300 millions de dollars sur trois ans dans la Google News Initiative, programme d’aide aux éditeurs à franchir la transition numérique et améliorer la lutte contre les fake news.

Certains éditeurs de presse considèrent que ces règles détournent l’esprit de la directive. Pourquoi ?

En dépit de cette apparente bonne volonté, cette annonce a déchainé la colère de ceux qui y vont vu une forme de défi à l’application effective du droit voisin. Contrairement à ce l’on a pu lire dans la presse, Google n’a jamais affirmé qu’elle n’appliquerait pas la loi. Mais sa déclaration a été interprétée, à juste titre, comme une fin de non-recevoir à toute demande de paiement au titre du droit voisin. En effet, en ne reproduisant plus que le titre et un lien, Google fait jouer les exclusions de la protection et n’a, dès lors, à s’acquitter d’aucune autorisation et d’aucune rémunération.

Par ailleurs, en indiquant que le service pourrait proposer davantage de visibilité au bon vouloir des éditeurs, l’entreprise joue la stratégie de la division en espérant que certains préféreront renoncer à toute redevance en concédant une licence à titre gratuit en contrepartie d’une meilleure exposition de leurs contenus. C’est cette tactique qu’elle avait déjà déployée en Allemagne lorsque ce pays avait introduit un tel droit et qui avait conduit notamment Axel Springer à militer pour la création d’un droit voisin à l’échelle de l’Union afin d’augmenter la pression sur le géant du web. Il semble que Google n’ait, pour l’heure, pas renoncé à sa position.

Au-delà de l’ire provoquée par la réponse de Google dans le monde politique et la presse française, cette dernière a déjà organisé sa riposte au sein d’un collectif en assignant Google devant l’Autorité de la concurrence, demandant à ce qu’elle prononce des mesures conservatoires avec effet rétroactif, à l’encontre de ce qui pourrait s’apparenter à un abus de position dominante. Selon la plainte, les éditeurs sont en état de dépendance économique vis-à-vis de Google car de 40 % à 60 % de leur audience numérique proviennent de ce moteur de recherche et le duopole Google-Facebook concentre 90 % de la publicité digitale tandis que les éditeurs de presse ont perdu la moitié de leurs ressources publicitaires en dix ans. L’Autorité de la concurrence avait devancé le mouvement en ouvrant de son propre chef une enquête exploratoire sur le sujet. La lutte commence.

Pour aller plus loin :

Par Valérie Laure Bénabou.