Le jeudi 31 octobre, la Chambre des représentants a adopté une résolution formalisant l’instruction préalable à l’éventuelle mise en accusation (impeachment) du président des États-Unis, Donald Trump – perspective étudiée, en septembre, par Wanda Mastor pour le Club des juristes. Si elle était adoptée, cette mise en accusation conduirait au procès du président américain devant le Sénat. Selon la majorité démocrate à la Chambre des représentants, le président aurait violé la Constitution en « privatisant » la politique étrangère américaine afin de se faire réélire. Il aurait, en effet, fait retarder la matérialisation d’une aide américaine en Ukraine afin de la conditionner à l’organisation, par le président ukrainien Volodymyr Zelensky, d’une enquête sur Joe Biden, possible opposant à Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2020, ainsi que sur les activités professionnelles menées en Ukraine par son fils, Hunter Biden.

Décryptage par Julien Jeanneney, Professeur de droit public à l’université de Strasbourg

« La résolution de la Chambre des représentants permet de donner un cadre et une légitimité à la mise en accusation de Donald Trump »

Quels sont le rôle et le pouvoir de la Chambre des représentants ?

La Chambre des représentants est la chambre basse du Parlement fédéral des États-Unis – le Congrès – dont le Sénat est la chambre haute. Ses membres sont élus tous les deux ans par les citoyens des États, selon une répartition entre États proportionnelle au nombre de leurs habitants – alors que chaque État n’élit que deux sénateurs.

La principale compétence de la Chambre des représentants est législative. Elle exerce, avec le Sénat, « tous les pouvoirs législatifs accordés » par la Constitution des États-Unis, dans une double limite. D’une part, pour garantir la compétence législative des États fédérés, le domaine de la loi fédérale est circonscrit – ce carcan ayant été très vite assoupli par la Cour suprême fédérale, à la faveur de la théorie des « pouvoirs implicites » de la Fédération et d’une interprétation extensive de la clause habilitant le Congrès à « réglementer le commerce avec les nations étrangères, entre les divers États et avec les tribus indiennes ».

D’autre part, le législateur fédéral doit respecter les droits et libertés garantis par différents amendements à la Constitution américaine. La Chambre des représentants partage l’initiative des lois fédérales avec le Sénat, sauf en matière financière, pour laquelle sa compétence est exclusive. Les propositions de lois adoptées par le Congrès (bills) ne deviennent des lois (statutes) qu’après leur promulgation par le président, ou lorsque son éventuel veto a été contrecarré.

La Chambre des représentants se voit également attribuer d’autres compétences, dont l’exercice est beaucoup plus rare – en matière d’élections présidentielles, de remplacement du vice-président ou de suspension, temporaire ou définitive, du président de ses fonctions. Parmi ces dernières, il en est une qui suscite, en ce moment, un intérêt singulier. La Chambre des représentants détient, à titre exclusif, la compétence de mise en accusation [impeachment] du président, du vice-président et de « tous les fonctionnaires civils des États-Unis » pour « trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs » – préalable nécessaire à leur jugement par le Sénat fédéral américain.

Que dit la résolution ? Qu’a voté la Chambre des représentants ?

La résolution adoptée jeudi s’inscrit dans une triple temporalité.

Elle se tourne, premièrement, vers le passé. Elle formalise la procédure ouverte fin septembre, afin d’établir s’il existe des fondements suffisants pour que la Chambre des représentants mette en accusation le président, en lui donnant un cadre et une légitimité. Elle prescrit à plusieurs de ses commissions de prolonger les enquêtes déjà engagées dans cette perspective. Elle autorise également la mise en ligne des comptes rendus des auditions jusqu’alors menées à huis-clos par la Commission du renseignement, dans la limites des règles relatives à la communication des documents confidentiels.

La résolution s’ancre, deuxièmement, dans le présent. Elle habilite la Commission du renseignement à procéder désormais à des auditions publiques. Elles seront organisées, dès cette semaine, par son président démocrate, Adam Schiff, ainsi que par le principal membre de l’opposition républicaine en son sein (ranking minority member), Devin Nunes. Ils bénéficieront tous deux de la possibilité d’interroger les témoins. Pendant les premiers jours des auditions, Devin Nunes pourra, en outre, demander à Adam Schiff d’inviter des témoins à se présenter, à produire des documents ou à fournir des informations, au besoin sur injonction (subpœna), et il pourra former un recours devant la Commission, en formation plénière, en cas de refus opposé par ce dernier.

La résolution se projette, troisièmement, dans l’avenir. Elle encadre la préparation de l’éventuelle mise en accusation du président par la Chambre des représentants. La Commission des affaires judiciaires, compétente pour rédiger l’acte de mise en accusation destiné au Sénat, est, elle aussi, habilitée à organiser des auditions. Ces dernières seraient menées par son président démocrate, Jerrold Nadler, et par le principal membre de l’opposition républicaine, Doug Collins, dans des conditions équivalentes. Par ailleurs, les présidents de commissions de la Chambre qui disposeraient de documents pertinents dans la perspective de la mise en accusation sont désormais autorisés à les transférer à la Commission des affaires judiciaires.

 

Quelles pourraient être les suites de cette résolution ?

Si la Chambre des représentants finissait par voter l’acte d’accusation, cela déclencherait, devant le Sénat, une procédure dont la forme serait juridictionnelle, et la substance, politique. Quatre acteurs y joueraient un rôle déterminant : a) l’accusation – plusieurs membres de la Chambre des représentants (House managers) ; b) la défense – les avocats de Donald Trump ; c) la présidence du Sénat – exercée, dans ce cadre, par le président de la Cour suprême, John Roberts ; d) le jury – le Sénat réuni en formation plénière, qui compte 53 républicains, 45 démocrates et 2 indépendants.

S’il est improbable, à ce stade, que le Sénat vote, à la majorité qualifiée des deux tiers, la condamnation et la destitution de Donald Trump, cette procédure ouvrirait néanmoins des perspectives intéressantes, à un double titre.

En premier lieu, il n’est pas impossible que les sénateurs soient moins « polarisés » politiquement que leurs collègues de la chambre basse. Les représentants républicains ont tous voté, jeudi, contre la résolution. Ils se sont montrés plus soudés que par le passé – une centaine de représentants républicains s’apprêtait à voter en faveur de la mise en accusation du président républicain Richard Nixon lorsqu’il a démissionné, en 1974, et plus de trente représentants démocrates ont voté en faveur de la procédure lancée contre le président démocrate Bill Clinton en 1998. Les enjeux, pourtant, seraient probablement différents devant le Sénat. Le procès conduirait à exposer en détail le comportement du président américain devant les téléspectateurs. Il est révélateur, à cet égard, que certains sénateurs républicains, à l’instar de l’ancien candidat républicain à la présidence Mitt Romney, aient déjà pris position publiquement contre Donald Trump.

En deuxième lieu, la destitution n’épuise pas les effets politiques potentiels de cette procédure. Même si Donald Trump n’était pas destitué, sa popularité pourrait, à l’aube de la campagne présidentielle, être érodée par la diversité des chefs de poursuite invoqués à son encontre et discutés publiquement devant les deux chambres du Congrès : a) le détournement de pouvoir – l’usage de pouvoirs constitutionnels à des fins personnelles, électorales ; b) l’extorsion – le blocage de l’aide américaine destinée à l’Ukraine afin de contraindre son président ; c) la dissimulation – des indices auraient été détruits, selon un lanceur d’alerte ; d) l’outrage envers le Congrès (contempt of Congress) – si l’entourage du président refuse de répondre aux injonctions de venir témoigner ; e) l’atteinte à l’obligation constitutionnelle de veiller « à ce que les lois soient fidèlement exécutées » ; f) la méconnaissance de la clause de la Constitution prohibant l’acceptation d’« émoluments » de la part « d’un roi, d’un prince ou d’un État étranger ».

Pour les parlementaires démocrates, tout l’enjeu est aujourd’hui de construire une accusation précise et convaincante, face à des parlementaires républicains qui chercheront probablement à détourner l’attention du public. Cette procédure n’a pas fini de susciter l’intérêt.

Pour aller plus loin :

Par Julien Jeanneney.