Par Pierre Esplugas-Labatut – Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole – Adjoint au maire de Toulouse en charge des affaires juridiques
La démission, mercredi 10 mai, de Yannick Morez, maire de Saint-Brévin en Loire Atlantique, menacé par l’extrême droite pour avoir porté un projet de centre d’accueil pour demandeurs d’asile pose la question de la protection des élus, spécialement locaux.

Juridiquement, comment la protection des élus est-elle assurée ?

Il n’a malheureusement pas fallu attendre la démission du maire de Saint-Brévin pour organiser une protection juridique spécifique des élus face à des menaces, injures ou violences. À la suite, par exemple, d’annonces du chef de l’Etat (discours du président Emmanuel Macron au Congrès de l’Association des maires de France à Versailles le 18 novembre 2021) ou de rapports parlementaires faisant état d’une situation détériorée, des réformes ponctuelles destinées à renforcer la protection des élus se sont succédé. Sans doute, une réforme plus globale à venir pourrait-elle s’inscrire dans le cadre d’un statut général de l’élu local attendu et si souvent annoncé.

En l’état, la protection principale et ancienne dont les élus bénéficient résulte du dispositif classique de « protection fonctionnelle » applicable à tout agent public à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Ce dispositif est applicable expressément au maire et à l’élu municipal ayant reçu délégation  en tant qu’élu de proximité, considérés comme potentiellement les premiers visés par ce type d’exactions. Il est également accordé aux présidents de conseil général ou de conseil régional ainsi qu’aux vice-présidents et conseillers départementaux et régionaux ayant reçu délégation. La protection fonctionnelle est alors accordée par l’assemblée délibérante qui apprécie souverainement si les faits en cause sont susceptibles d’entraîner l’application de ce dispositif.

Toutefois, le juge administratif a pu considérer que l’octroi de ce type de protection relève d’un principe général du droit qui trouve à s’appliquer à tous les agents publics quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions. Ce dispositif est même désormais étendu, sur leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des maires ou des élus municipaux les suppléants ou ayant reçu délégation. Cette protection a été renforcée par l’obligation pour toutes les communes de souscrire un contrat d’assurance visant à couvrir les frais résultant des obligations de la commune pour la protection fonctionnelle de ses élus). Dans les communes de moins de 3500 habitants, les coûts occasionnés par ces contrats sont même appelés à être compensés par l’Etat.

La protection fonctionnelle susceptible d’être accordée a pour effet d’apporter un soutien majeur à l’élu victime de menaces, injures ou violences. L’aide la plus courante est naturellement la prise en charge par la collectivité des frais de justice et d’avocat. Elle peut aussi revêtir d’autres formes et consister, par exemple, en l’indemnisation d’éventuels dommages directement par la collectivité ou encore la publication de communiqués ou de droits de réponse.

Face à la hausse des violences contre les élus, faut-il renforcer les sanctions ?

L’arsenal de sanctions susceptibles d’être prononcées en cas de menaces et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique existe, a déjà été renforcé et n’est d’ailleurs pas sans sévérité. Ainsi, par exemple, il est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférés à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public De même, lorsqu’un outrage est adressé à une personne dépositaire de l’autorité publique, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses missions, cet acte est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende

Toutefois, dans l’affaire de la démission du maire de Saint-Brévin, c’est moins l’insuffisance des sanctions qui est pointée que le dénuement de l’élu face à des menaces et à des agressions. Sur ce point, dans le but de rompre son isolement judiciaire, la loi a été très récemment modifiée en donnant la possibilité aux associations d’élus, aux collectivités locales, au Sénat, à l’Assemblée nationale et au Parlement européen de se porter partie civile afin d’accompagner les élus victimes d’agression ou leurs proches.

Le maire de Saint-Brévin critiquait également pour justifier sa démission le manque de soutien de l’Etat. La réponse à apporter résulte alors plus de comportements pro-actifs que de nouvelles modifications du droit positif. À ce sujet, le gouvernement a adopté différentes circulaires destinées à mieux accompagner les élus locaux. Celles-ci appellent en particulier les parquets à apporter une « réponse pénale systématique et rapide », à éviter des simples rappels à la loi, à privilégier le défèrement notamment en cas de réitération de comportements, à appliquer la procédure de comparution immédiate ou encore à requérir des peines d’interdiction de séjour ou de paraître sur le territoire de la commune. Au-delà de ces mesures précises, l’objectif poursuivi par ces textes est que les autorités de l’Etat, parquets et forces de l’ordre, prennent en compte par un suivi personnalisé la situation particulière d’un élu comme personne dépositaire de l’autorité publique particulièrement exposée en tant que telle à des agressions.

Comment mieux lutter contre les violences dont peuvent être victimes les élus ?

De nouveau, la réponse n’est pas nécessairement à rechercher dans une énième modification du droit existant et un renforcement des sanctions qui existent déjà et qui ne sont d’ailleurs pas dénuées de sévérité. Il est banal de dire que la violence à l’égard des élus est l’expression plus générale de la violence de la société et d’une crise vis-à-vis de l’autorité, sous quelque forme que ce soit.

Une fois ce constat pessimiste dressé, une hypothèse de travail à développer pourrait consister à améliorer l’effectivité des textes applicables. Le rapport précité du sénateur Philippe Bas pointait ainsi un faible nombre de plaintes, de condamnations, le fait que dans la grande majorité des cas les maires, qui sont les premiers visés, ne bénéficiaient d’aucune protection fonctionnelle, notamment dans les petites communes. Il reste également à évaluer si les consignes résultant des circulaires précitées du Garde des Sceaux visant à systématiquement engager des poursuites en cas d’infractions dont sont victimes les élus seront suivies d’effets. Sans doute, les préfectures, qui sont les interlocuteurs naturels pour l’Etat des élus locaux, doivent-elles s’engager davantage auprès d’eux en les assistant juridiquement ou psychologiquement dans leurs démarches, voire en n’hésitant pas à accorder une protection physique en cas de menaces ou intimidations. Une réponse peut passer encore par un renforcement des pouvoirs des élus locaux eux-mêmes, spécialement les maires, notamment en leur conférant un pouvoir de sanction propre qui leur permettrait d’infliger des amendes en cas de constat d’infractions.

Il reste que l’ensemble de ces démarches, aussi pertinentes soient-elles, n’a de chances de succès que si les citoyens eux-mêmes adoptent des comportements plus responsables et respectueux vis-à-vis de personnes qu’ils ont désignées. Mais c’est alors plus une question d’ Éducation que de Droit.

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