Par Jean-Marie Brigant, Maître de conférences en droit privé à Le Mans Université et membre du THEMIS-UM

Alain Griset, Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, chargé des Petites et Moyennes Entreprises, est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour des irrégularités dans ses déclarations de patrimoine et d’intérêts. Après avoir recueilli et contrôlé les déclarations du ministre nommé en juillet 2020, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a décidé, en raison de la gravité des manquements constatés, de transmettre le dossier au Procureur de la République qui a engagé des poursuites pénales (HATVP, Communiqué de presse, 24 novembre 2020). A la veille de ce procès (initialement prévu le 22 septembre mais renvoyé au 12 octobre à la demande de l’intéressé), il apparaît judicieux d’apporter quelques précisions sur les obligations déclaratives des ministres et le risque pénal encouru en cas de non-respect.

En quoi consiste les déclarations de patrimoine et d’intérêts pour un ministre ?

Depuis l’entrée en vigueur des lois du 11 octobre 2013 relatives à la transparence de la vie publique, chaque membre du Gouvernement (et responsable public visé par le législateur) est tenu, dans les deux mois qui suivent sa nomination, d’adresser personnellement au Président de la HATVP une double déclaration – l’une de situation patrimoniale et l’autre d’intérêts (ce qu’a fait Monsieur Griset). Il s’agit là d’une obligation continue qui a « pour objectif de renforcer les garanties de probité et d’intégrité de ces personnes, de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre ceux-ci » (Cons. const., 9 oct. 2013, no 2013-676 DC, consid. 14).

D’un côté, la déclaration de situation patrimoniale vise « la totalité de ses biens propres ainsi que, le cas échéant, ceux de la communauté ou les biens indivis » (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 4, I et C. élect., art. LO 135-1). Plus concrètement, elle porte sur neuf catégories d’éléments limitativement énumérés par le législateur : les immeubles bâtis ou non bâtis ; les valeurs mobilières ; les assurances-vie ; les comptes bancaires courants ou d’épargne, les livrets et les autres produits d’épargne ; les biens mobiliers divers d’une valeur supérieure à un montant fixé par voie réglementaire (soit 10 000 €) ; véhicules terrestres à moteurs, bateaux et avions ; fonds de commerce, clientèle, charges et offices ; biens mobiliers, immobiliers et comptes détenus à l’étranger ; les autres biens (comptes courants de société) sans oublier le passif, y compris les dettes de nature fiscale (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 4, II et C. élect., art. LO 135-1). Cette obligation déclarative permet ainsi à la HATVP de s’assurer de la cohérence des éléments déclarés mais également de détecter un éventuel enrichissement illicite. Pour mener à bien cette mission de contrôle, la Haute autorité peut solliciter l’Administration fiscale pour obtenir des informations sur les éléments déclarés ou des documents précis.

De l’autre côté, la déclaration d’intérêts a pour objectif de recenser les différentes fonctions et activités exercées par les intéressés au cours des cinq dernières années en dehors de leurs fonctions publiques. Elle porte sur des éléments limitativement énumérés par le législateur et doit préciser pour chacun le montant des rémunérations, indemnités et gratifications perçues (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 4, III). Le contrôle de cette déclaration doit permettre à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique de vérifier qu’il n’existe pas de situation de conflit d’intérêts pouvant être pénalement sanctionnée (à l’instar du délit de prise illégale d’intérêts). Selon le législateur, « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction » (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 2, I).

Soulignons que dans le cadre de sa mission de contrôle de probité des membres du Gouvernement, la HATVP privilégie le dialogue avec le déclarant, ce qui donne lieu à des échanges par écrit et conduit in fine, dans la grande majorité des cas, à clôturer le dossier. Ce n’est que dans les cas les plus graves que la Haute autorité informe le procureur de la République en application de l’article 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 et de l’article 40 du Code de procédure pénale.

 

Qu’appelle-t-on un délit de déclaration irrégulière ?

 En principe, les déclarations des responsables publics doivent être exhaustives, exactes et sincères (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 4). Afin de garantir le respect des obligations de déclaration par les membres du Gouvernement, le législateur a introduit l’incrimination de délit de déclaration irrégulière à l’article 26. I de la loi du 11 oct. 2013 sur la transparence de la vie publique. Trois comportements sont incriminés par le législateur au titre du délit de déclaration irrégulière.

Tout d’abord, l’infraction peut consister dans le fait, pour un responsable public « de ne pas déposer l’une des déclarations prévues à ces mêmes articles » (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art. 26, I.). En l’espèce, cette infraction d’omission ne peut être ici reprochée au Ministre chargé des Petites et Moyennes Entreprises qui a bien effectué ses déclarations de patrimoine et d’intérêts.

Ensuite, le délit est caractérisé par le fait « d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts » (L. no 2013-907, 11 oct. 2013, art. 26, I). Il s’agit de réprimer les seules omissions significatives, au regard du montant omis ou de son importance dans le patrimoine considéré. Or, sur ce point, la justice estime que M. Griset ayant omis de déclarer des participations financières détenues dans un plan d’épargne en actions (PEA), ainsi que le compte espèces associé, pour un montant total de 171 000 euros. Il s’agirait de sommes confiées par le bureau de la Confédération nationale de l’artisanat des métiers et des services (CNAMS) du Nord à son président de l’époque : Alain Griset. Selon le Président de la HATVP, cette omission avait pour but « d’empêcher la révélation de faits susceptibles de recevoir la qualification pénale d’abus de confiance ».

Enfin, l’infraction peut consister dans le fait de « fournir une évaluation mensongère de son patrimoine » (L. n° 2013-907, 11 oct. 2013, art 26, I. et C. élect., art. LO 135-1). Il s’agit d’un chef d’accusation qui est aussi reproché au Ministre qui repose ici sur une action et non sur une abstention contrairement aux deux premiers comportements incriminés.

Par ailleurs, le délit prévu par l’article 26 de loi transparence de 2013 est une infraction intentionnelle qui suppose donc la démonstration d’un dol général qui requiert non seulement la conscience mais également la volonté de ne pas se conformer à l’obligation de déclaration d’intérêts et de patrimoine. Sur cet aspect, il est indiqué dans les médias que le ministre des PME a rapidement évoqué « une maladresse », assurant avoir remboursé la somme. Il comptait profiter de ce procès pour « montrer (sa) bonne foi ». Toutefois, en pratique, la preuve du caractère intentionnel va se déduire du comportement matériel adopté mais également de la qualité de professionnel de l’auteur des faits. En ce sens, l’affaire Benguigui a confirmé la grande facilité pour le juge pénal à caractériser l’élément moral du délit : « la conscience qu’avait la prévenue de l’omission de déclaration était d’autant plus claire qu’aux dates considérées, les services du Premier ministre l’avaient alertée et qu’elle signait elle-même ses deux déclarations en toute connaissance de cause » (Cass. crim., 22 nov. 2017, no 16-86.475).

Quelles sont les peines encourues pour ce délit ?

 Le fait pour un membre du Gouvernement de ne pas déposer ses déclarations, d’omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou bien encore de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En outre, le législateur a prévu la possibilité pour le juge pénal de prononcer deux peines complémentaires : d’une part, l’interdiction d’exercer une fonction publique qui peut être définitive ou temporaire et d’autre part, l’interdiction des droits civiques. A cet égard, cette peine d’inéligibilité ne doit pas être sous-estimée par les responsables publics pour deux raisons. La première tient au fait que cette privation des droits civiques peut être prononcée pour une durée de dix ans au plus à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement au moment des faits alors qu’en principe, il est prévu une durée de cinq ans en cas de condamnation pour un délit (C. pén., art. 131-26 et 131-26-1). La seconde raison est que le prononcé de cette peine complémentaire d’inéligibilité n’est pas facultatif pour la juridiction pénale mais obligatoire à l’encontre de toute personne coupable du délit de déclaration irrégulière prévu à l’article 26 de la loi du 11 octobre 2013 (C. pén., art. 131-26-2, 12°). Cette double différence de traitement s’explique par la volonté du législateur de renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. À titre de comparaison, Yasmina Benguigui, ancienne ministre déléguée à la Francophonie, avait été reconnue coupable du délit de déclaration irrégulière de patrimoine et condamnée à deux mois d’emprisonnement avec sursis, 5 000 € d’amende et un an d’inéligibilité (Cass. crim., 22 nov. 2017, n° 16-86.475).

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