Daniel Serres, Prêtre à Mulhouse

Le Club des juristes : Vous êtes à l’épicentre de la contamination du Covid 19 en France…

Daniel Serres : Nous en avons pris conscience de façon très progressive. Au moment du rassemblement évangélique dont on sait qu’il est à l’origine de nombreuses contaminations au coronavirus dans toute la France (17 au 21 février 2020), aucune mesure de restriction n’était donnée. Personne ne s’en doutait, pas même le Président de la République présent dans le même quartier le 17 mars ! Puis il y a eu les premiers malades, apparemment sans gravité, mais confinés. Au fur et à mesure des informations, nous apprenions l’étendue de la propagation liée à la simple participation à ce rassemblement. Nous ne pensions pas à une gravité de la maladie mais étions étonnés de sa puissance de contagion. Puis il y a eu les hospitalisations, les premiers morts. Le silence de pasteurs eux-mêmes malades et dans l’impossibilité physique de parler. Et surtout l’angoisse de paroissiens soignants qui nous confirmait qu’un drame commençait à se dérouler. Les premières mesures sanitaires sont venues, de façon croissante et parfois confuse pour ce qui nous concernait.

LCJ : C’est-à-dire ?

D.S. : Nous attendions les recommandations de notre évêque visant à adapter des recommandations sanitaires officielles et les traduire immédiatement en recommandations liturgiques précises : espacement des fidèles dans les bancs, arrêt de la communion sur la langue et des gestes de salutations ou de paix dans les célébrations.

Puis les messes ont été supprimées pour un dimanche. Une directive qui allait semble-t-il au delà de ce qu’indiquait le gouvernement. Chaque prêtre a célébré seul en donnant l’horaire aux paroissiens qui pouvaient s’y unir spirituellement. Nous pensions naïvement que le week-end suivant nous pourrions à nouveau célébrer normalement avec nos fidèles. Mais nous avons appris que la situation pouvait durer jusqu’en juin. Nous avons alors projeté des messes avec moins de 50 personnes. Nous avons imaginé un système de comptage des paroissiens, avec des portes pour entrer dans les lieux de cultes et d’autres pour en sortir. Nous avons aussi songé à intensifier les nombre de messes vu que les assemblées étaient plus petites.

Mais une nouvelle directive de l’évêché nous a demandé de maintenir l’absence de tout rassemblement dominical. Certains collègues ont trouvé ces mesures trop strictes d’autant que le site du gouvernement indiquait la possibilité de rassemblements cultuels pour 20 personnes maximum. Chacun a « inventé » des stratégies s’accommodant de l’une ou l’autre instance décisionnelle. Les instances religieuses semblaient plus restrictives encore que l’Etat. Jusqu’au moment où tout rassemblement cultuel mais aussi tout accueil de personnes au presbytère nous a été explicitement interdit par notre évêque. Le déplacement pour répondre à des demandes de sacrement de malade n’a été autorisé que sur avis médical. Evidemment, ce sacrement nécessitant un contact (imposition d’une onction d’huile sur la tête et les mains du malade) cela revenait à interdire la chose. Le confinement est arrivé quelques heures plus tard, mais l’évêché était déjà dans cette logique pour ses prêtres et agents pastoraux.

LCJ : Et les enterrements ?

D.S. : La confusion a été encore plus grande car il semble qu’une troisième instance se soit insérée dans les décisions : les maires des communes. L’Etat nous donnait la possibilité d’un rassemblement cultuel de moins de 20 personnes. L’évêché nous demandait de privilégier des célébrations au cimetière (donc sans interdire totalement l’église). Nous avons opté pour des prières au cimetière, d’autant que l’évêché demandait aussi des célébrations beaucoup plus courtes que les funérailles habituelles. Mais voilà qu’à certains endroits les mairies n’autorisaient plus l’accès au cimetière pour les familles et les célébrants. Du coup nous sommes revenus sur l’église comme lieu de célébration de funérailles, en toutes petites assemblées.

Mais une nouvelle directive de nos instances religieuses nous a imposé le cimetière, mettant clairement fin à la possibilité d’ouvrir nos lieux de culte. Restait comme possibilité le parking du cimetière ! Finalement, la ville a à nouveau permis l’entrée au cimetière de proches en très petits comités. Ordres et contrordres arrivaient en quelques heures et les Pompes Funèbres elles-mêmes ne savaient plus à qui se conformer. Actuellement nous reprenons donc des célébrations au cimetière avec pour contraintes le respect des distance de sécurité entre les personnes présentes et une durée très restreinte. Pourtant les familles sont très reconnaissantes pour ces quelques minutes passées avec elles dans la violence de l’épreuve. Souvent elles n’ont pu accompagner le défunt dans ses derniers instants et il est mort « seul » à l’hôpital. Certains n’ont parfois pas pu le voir parce que le cercueil était déjà fermé à leur arrivée… Le prêtre est là pour mettre un peu d’humanité et d’espérance dans ce contexte si dur.

LCJ : Que fait un prêtre confiné ?

D.S. : Il prie et passe énormément de temps au téléphone et sur les mails pour être encore et toujours ce qui est un aspect important de son ministère : un homme de communion. Communion entre les fidèles et avec Dieu. Cette question est très personnelle et peut-être d’autres confrères y répondraient différemment.

Il y a d’abord eu pour moi une violente panique. D’abord à cause des rumeurs (qui se sont malheureusement confirmées) sur la situation indescriptible vécue à l’hôpital de Mulhouse. En même temps, les premiers paroissiens gravement malades, et pas tous âgés… La violence de la maladie chez des personnes plus jeunes que moi (chefs scouts, catéchistes,…) m’a ébranlée. Puis il y a eu les premiers morts parmi nos connaissances, nos équipes de travail.

En même temps des paroissiens travaillant dans les services de santé commençaient à craquer. Ils appelaient le prêtre, pour se confier, pour avouer leur peur, leur volonté de partir en courant. Le prêtre est homme de confidence mais il est lui-même vulnérable. Dans cette première phase, le prêtre confiné faisait ce que font tous les mulhousiens : il se terrait paniqué et guettant le moindre de ses symptômes dans sa personne.

LCJ : Vous êtes toujours dans cet état d’esprit ?

D.S. : Pour ma part c’est désormais moi qui prend des nouvelles ou qui envoie des petits messages au personnel de santé si éprouvé. Chaque matin je prends en photo une fleur du petit jardin du presbytère et l’envoie avec un mot d’encouragement en précisant qu’ils n’ont pas besoin de répondre. J’ai décidé de laisser mon téléphone allumé la nuit et ils savent qu’ils peuvent me joindre. Ils ont énormément besoin d’écoute. Je n’ai pas de réponse aux questions qui les habitent. Je les aide à se sentir moins lâches et coupables de ne pas être des héros, alors qu’en réalité ils le sont. J’essaye de les aider à apprivoiser ce sentiment bien normal de vouloir sauver sa peau, d’être révolté par la mort. Dans leur métier, la mort a toujours été pour eux l’ennemi à combattre. Et c’est elle qui semble gagner à présent. Certains ont été formés pour accompagner des personnes en fin de vie, mais les circonstances les empêchent de mettre en œuvre ce qu’elles savent faire en temps normal. Plus assez de personnel, trop de malades, trop de décès, trop vite… Il y a un effet loupe de l’hôpital sur les cas désespérés qui leur donne la conviction que le virus tue plus que les statistiques ne le montrent.

Enfin, nous sommes en train de voir comment reprendre contact avec les paroissiens avec les nouvelles technologies malgré le confinement. Les cloches signalent aux fidèles les temps où nous célébrons la messe et les offices ici au presbytère. Plusieurs attendent les cloches pour s’unir spirituellement à nous. Le mail bien sûr tourne à plein régime, et peut-être bientôt la vidéo… Mettre nos homélies en ligne, nos offices, donner des intentions de prière, partager joies et peines… Progressivement, cela se cherche. Les scouts montent un projet de service aux personnes dans l’urgence. Je n’ai pas encore compris exactement comment se concrétisera ce projet (l’une des chevilles ouvrières de la chose va me l’expliquer mais elle est elle-même très malade du Covid). Ces initiatives comme celle qui fait applaudir chaque soir les gens à leur fenêtre pour manifester leur reconnaissance au service de santé sont spectaculaires dans une époque que l’on qualifie facilement d’individualiste. Mettre de la compassion, de la communion et de l’espérance en étant confiné… Un vrai challenge !

 

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