Administrateur Judiciaire, associé fondateur d’AJIRE Administrateurs Judiciaires

Quelles sont les fonctions habituelles d’un administrateur judiciaire ?

L’administrateur judiciaire est le professionnel réglementé, légalement habilité à assister les opérateurs économiques ainsi qu’à gérer les biens et activités d’autrui. Professionnel du droit et du chiffre, il est par ailleurs spécialiste du retournement des organisations économiques. Certains d’entre eux, par leurs compétences spécifiques, se sont spécialisés dans le traitement de l’anticipation de la défaillance en mettant en œuvre des procédures confidentielles et amiables tels les mandats ad hoc et conciliations. Toute proportion gardée, l’administrateur judiciaire est une sorte de médecin urgentiste aux soins des organisations qui connaissent une forme d’affectation de leurs activités, de leurs financements ou de leur profitabilité.

Dans quelle mesure la situation sanitaire actuelle et ses conséquences économiques impactent-elles les interventions des administrateurs judiciaires ?

Sur le plan micro-économique, la majeure partie des opérateurs sera affectée par le confinement quasi généralisé. Et ceux qui n’auront pas été mis à l’arrêt subiront a posteriori les conséquences macro-économiques de cette crise, laquelle aura nécessairement des conséquences inévitables sur les grands agrégats (revenus, investissements, consommation).

Les administrateurs judiciaires doivent, dès maintenant, en intégrer les principales conséquences pour mener à bien l’analyse des situations auxquelles ils se trouveront confrontés.

Mais de manière inédite, l’absence totale de produits et l’agrégation corrélative de dettes à la fois anciennes et nouvelles vont rendre inopérants toute une série d’effets de leviers traditionnels touchant aux pratiques de gestion, à la restructuration et au refinancement des entreprises. Ceci va amener les administrateurs judiciaires à revoir en profondeur les paradigmes de retournement afin de préserver les entreprises, leurs activités et les emplois. Plus que jamais les administrateurs judiciaires vont devoir, aux côtés des conseils traditionnels de l’entreprise, avocats ou auditeurs, coordonner les actions à mettre en œuvre, optimiser les leviers et sécuriser l’ensemble des parties, notamment sur le plan juridique.

Les mesures prises au soutien des entreprises vous semblent-elles à la hauteur de l’ampleur de la crise ?

L’ordonnancement médiatique des effets d’annonce a permis d’organiser le confinement des acteurs économiques sans résistance majeure. En revanche, les opérateurs économiques commencent à entrevoir la dichotomie, perceptible au quotidien, entre les effets d’annonce et leur mise en œuvre.

En effet, tous les agents économiques ne seront probablement pas éligibles au chômage partiel et pour les plus chanceux l’Agence des services et des paiements qui agit pour le compte de l’État pourrait être confrontée à des délais de versement de l’allocation d’activité partielle qui nécessiteront que les employeurs fassent l’avance des salaires. De même, et malgré les annonces relatives à la mise à disposition de 300 milliards d’euros par l’État afin de garantir les nouveaux prêts souscrits, la majeure partie des opérateurs économiques font d’ores et déjà l’amer constat que les établissements financiers ne se comportent pas en prêteurs sur gage.

En effet, contrairement aux différents teasers qui ont circulé et aux publicités diffusées sur les différents médias, la dispensation de crédit par les banques ne présente aucune automaticité et seuls les meilleurs dossiers, dont les fondamentaux et les perspectives, ne seront pas dégradés par la crise sanitaire seront éligibles aux comités de crédit.

L’ordonnance n°2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises, dite « ordonnance procédures collectives », présente le mérite de traiter de quelques délais de procédure et de plans, sans toutefois offrir de réels moyens à la hauteur des secousses systémiques qui vont affecter les agents économiques. Plus préoccupant encore, plutôt que d’analyser la situation pour acter les bonnes décisions, l’ordonnance du 27 mars 2020 pourrait avoir des effets insidieux… En effet, elle gèle au 12 mars 2020 l’appréciation de la situation des entreprises quant à leur état de cessation des paiements. Comme si en période de crise sanitaire on ne mesurait la température d’un malade uniquement à son entrée à l’hôpital, sans faire de suivi quotidien. Aussi, concernant les entreprises, il eut été préférable, plutôt que de confiner provisoirement l’état de cessation des paiements, d’inviter les opérateurs à une analyse poussée sur leur situation et de renforcer corrélativement les leviers de retournement des procédures amiables et collectives du livre VI du Code de commerce.

Quels dispositifs pourraient selon vous faire preuve d’efficacité dans le contexte actuel ?

Le confinement qui s’est étendu à l’économie emporte trois conséquences pour les opérateurs concernés.

D’abord, l’impossibilité de procéder au règlement des dettes constituées antérieurement à la cessation provisoire d’activité du fait de l’absence de recettes. Ensuite, l’agrégation de dettes complémentaires durant la période d’inactivité ou de sous-activité et enfin, une dégradation probable du crédit inter-entreprises, faute de confiance et/ou de disponibilité au moment de la reprise d’activité.
À l’instar d’une pandémie, le risque majeur se situe dans le caractère systémique qui est à craindre compte tenu de l’arrêt quasi généralisé sur le plan national et international des activités économiques. Tout comme les médecins urgentistes, les administrateurs judiciaires ont besoin de masques, de respirateurs et de médications adaptées. Dans ce contexte, il pourrait être nécessaire de manière transitoire et sous contrôle du juge de « dé-contractualiser » et de légaliser transitoirement certains leviers afin de les intégrer aux procédures préventives. À titre d’exemple, la gravité de la situation pourrait justifier de généraliser en procédure amiable, la suspension des poursuites, l’arrêt du cours des intérêts et de l’interdiction de certains paiements. Ces mesures exceptionnelles, habituellement propres aux procédures collectives, pourraient concerner, pour des durées différentes, les dettes qui auraient dû être réglées durant l’état d’urgence sanitaire, les dettes complémentaires qui se seront agrégées pendant cette même période ou encore celles qui résulteront de la relance des activités au terme du confinement. Afin de leur donner leur pleine mesure, ces mesures pourraient être adaptées en fonction de l’impact de la crise sanitaire par secteur d’activité et profiter collectivement à des branches entières d’activités.

Réfléchir à l’ouverture de procédures amiables de groupe, qui bénéficieraient à tout un secteur d’activité, comme cela peut être le cas dans le cadre d’actions de groupe ou de class action, constitue aussi une piste intéressante.

L’ampleur de la situation actuelle doit nous conduire à disposer de remèdes adaptés et se doter de véritables respirateurs artificiels pour certains opérateurs économiques. Cela requiert un cadre sécurisé juridiquement pour les procédures amiables (conventionnelles sous contrôle du juge) qui pourrait justifier d’ailleurs se voir renforcé par des dispositifs permettant d’automatiser, sous réserve de ratios financiers, la délivrance de concours financiers nouveaux sous garantie de l’État (lignes RT ou LCC opérées par BPI) ou directement co-financés par BPI FRANCE (prêts Atout ou Rebond). À cette occasion, l’attribution quasi mécanique de nouveaux concours financiers en procédure préventive pourrait légitimement s’accompagner d’une réécriture des dispositions de l’article L642-12 relatives au transfert de la charge des sûretés en cas de plan de cession, afin de faire bénéficier les apporteurs de financements nouveaux, en procédure préventive, du transfert de la charge des sûretés, plutôt que de continuer à en faire bénéficier de manière anachronique les créanciers de la old money (ce qui constitue un frein à la sauvegarde des acteurs économiques en plan de cession).

Ainsi repensées, les procédures amiables en deviendraient plus efficaces par une légalisation tendant au maintien des couvertures des assurances crédit pendant toutes les négociations amiables puis, de manière conventionnelle dans le cadre de protocoles négociés au terme des procédures préventives. Enfin, à l’instar des comités de créanciers dans les procédures collectives, il apparaît nécessaire d’envisager de se défaire de la règle de l’unanimité pour rejoindre celle de la majorité quant aux abandons ou conversions de créances (par exemple en obligations subordonnées). D’ailleurs, dans de nombreuses branches d’activité, il est d’ores-et-déjà acquis que la dette ancienne présentera rapidement un caractère insurmontable.
Cette légalisation provisoirement coercitive à l’égard des créanciers doit être généralisée pour ne pas engendrer des effets dominos, à moins que la seule issue ne consiste à organiser une sorte de procédure collective nationale… Car à bien y regarder, le redressement judiciaire, dont les effets négatifs de la publicité seront très largement neutralisés par la situation actuelle, ne souffre que d’une seule insuffisance  : celle ne pas être éligible aux garanties ou aides d’État et par conséquent, aux financements nouveaux.

Il apparaît urgent d’y remédier, au moins de manière transitoire.

 

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