Présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

Le Club des juristes : Quelles sont les missions de la présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ?

Sophie Jonval : Le Conseil national représente les 218 greffiers exerçant dans les 141 greffes de commerce, répartis sur l’ensemble du territoire français, et notamment nouvellement dans les départements et régions d’outre-mer.

En tant que présidente du CNGTC, j’ai notamment pour mission de représenter la profession auprès du Garde des sceaux, qui est notre ministre de tutelle. En effet, les greffiers des tribunaux sont des officiers publics et ministériels qui assurent, par délégation de l’État, des missions de service public fondamentales, à la croisée des mondes judiciaire et économique.

Outre notre activité judiciaire historique, nous agissons en faveur de la modernisation de la justice commerciale. Ma profession ayant pris très tôt le virage de la transition numérique, nous mettons cette expertise au profit de l’appareil judiciaire, en l’enrichissant de services et outils dématérialisés, favorisant son accessibilité et sa transparence.

Nous sommes par ailleurs teneurs de registre et notamment du premier d’entre eux : le registre du commerce et des sociétés qui regroupe 80% des acteurs économiques français. Nous sommes ainsi, en quelque sorte, les officiers d’état civil des entreprises : nous intervenons à chaque moment important de la vie des entreprises, de leur création à leur disparition, en passant par la résolution de leurs litiges et difficultés.

Outre une mission de contrôle et de formation de la profession, le Conseil national a pour objectif d’informer les citoyens sur les rôles, les missions et l’actualité des greffiers des tribunaux de commerce. J’assure pour ma part cette mission de porte-parolat auprès des pouvoirs publics, des organisations professionnelles, mais aussi auprès des médias, tel que vous aujourd’hui !

LCJ : Quels sont les mécanismes d’adaptation mis en place par les greffiers pour faire face à la situation liée à la crise du Covid-19 ?

S.J. : Notre premier objectif était de préserver la santé de nos collaborateurs, des justiciables, et des professionnels du monde judiciaire face à la crise sanitaire. Nous avons ainsi fermé dès le 17 mars l’ensemble des accueils physiques des greffes, tout en généralisant le recours au télétravail au sein de nos équipes. Cela nous a permis d’assurer la continuité de notre mission de service public, pour la justice commerciale comme pour les entreprises.

Ne pouvant dans un premier temps tenir d’audiences, nous nous sommes d’abord concentrés sur le traitement des urgences (procédures de mandat ad hoc et de plans de cession, référés…). L’adoption de la loi d’urgence nous a ensuite donné un cadre légal pour accompagner les entreprises avec de nouvelles solutions adaptées à la situation. L’ordonnance du 27 mars émise par la Chancellerie nous a notamment permis de simplifier la tenue d’audiences, avec par exemple la possibilité de recourir à un système de visioconférence. Nous avons dans la foulée recommandé à l’ensemble des greffiers et des juges consulaires de s’appuyer sur une seule et même solution sécurisée : Tixéo. Recommandé par la CNIL et certifié par l’ANSSI, cet outil français nous permet de garantir le respect de la confidentialité nécessaire à la sécurité des affaires.

En outre, nous avons pu nous appuyer largement sur les plateformes en ligne développées et mises à disposition par la profession : Infogreffe, pour le traitement de toutes les formalités RCS des entreprises, et la diffusion de l’information légale issue du registre du commerce et des sociétés ; le Tribunal Digital, pour la saisine à distance de la juridiction commerciale et le suivi en ligne des dossiers et procédures en cours, mais aussi la sollicitation d’un entretien de prévention ; et MonIdenum, qui permet au dirigeant d’entreprise de créer son identité numérique, mais aussi d’obtenir gratuitement son Kbis numérique, pour notamment bénéficier des mesures de soutien instaurées par le gouvernement. L’ensemble de nos missions s’est ainsi maintenu pendant toute la durée du confinement.

LCJ : La tenue du RCS vous permet d’être au plus près de l’activité économique du pays. Quel impact de la crise avez-vous pu observer sur les entreprises ces dernières semaines ?

S.J. : Nous avons deux indicateurs principaux pour mesurer la manière dont les entreprises ont été impactées par la crise : le nombre d’entreprises créées sur la période, et de procédures collectives ouvertes pour les entreprises en difficulté.

Pour permettre à chacun de suivre les données propres à son territoire ou son secteur d’activité, nous avons ouvert l’an passé notre Observatoire Statistique, un outil de suivi de l’activité économique accessible en ligne à tout moment. Pour mettre en perspective ces données économiques, nous nous sommes par ailleurs associés à l’institut d’étude Xerfi, avec lequel nous réalisons un bilan annuel complet de l’activité entrepreneuriale du pays.

Nous avons dès lors souhaité disposer d’une analyse spécifique des données recueillies par les greffes des tribunaux de commerce pendant la période de confinement, du 16 mars au 30 avril. Et les résultats sont sans appel : l’entrepreneuriat a subi un coup de frein brutal, avec un effondrement de 54 % du nombre de créations d’entreprises par rapport à la même période en 2019, soit 27 000 immatriculations au RCS. Les entrepreneurs n’ont plus confiance en l’avenir, et qui pourrait s’en étonner, au regard de la situation d’extrême incertitude dans laquelle nous sommes plongés ?

À l’inverse, le nombre de procédures collectives ouvertes sur la période, offrant traditionnellement une photographie de l’ampleur des difficultés rencontrées par les entreprises, a lui aussi chuté. Cette évolution est à mettre au crédit de l’inévitable ralentissement de l’activité de la justice commerciale du fait du confinement, et ce malgré les dispositions prises permettant de tenir des audiences en visioconférence, et aux entrepreneurs d’effectuer des demandes d’ouverture de procédure collective en ligne.

Pour nous, acteurs de la justice commerciale, comme pour les chefs d’entreprise, le temps est suspendu en raison des mesures gouvernementales mises en place pour aider les entreprises en cette période de grande difficulté. Il est encore tôt pour mesurer toute l’ampleur de l’impact qu’aura cette crise sur l’activité du pays, et à terme, sur l’envolée redoutée du nombre de défaillances d’entreprises.

LCJ : Quelles sont vos préconisations pour l’avenir de votre activité ?

S.J. : Cette crise a eu un effet d’accélération considérable des innovations, spécifiquement dans le domaine numérique. La situation de confinement qui s’est imposée nous a permis de vérifier très concrètement notre agilité, en mettant très rapidement de nouvelles solutions de travail à distance pour assurer la continuité de nos missions de service public, et bien sûr, de constater l’importance de disposer d’outils numériques fiables et performants. Grâce aux investissements considérables réalisés par la profession depuis de nombreuses années, nos plateformes en ligne mises à disposition de toutes les entreprises, avec des parcours 100% dématérialisés, ont plus que jamais montré leur utilité en permettant aux entrepreneurs d’effectuer sur Infogreffe toutes leurs formalités sans avoir à se déplacer au greffe, et de saisir leur tribunal de commerce à distance avec le Tribunal Digital. Plus que jamais, nous avons constaté l’importance du rôle social résultant de nos missions d’accompagnement des entreprises et des justiciables.

Si nous restons attachés au maillage territorial de notre profession, qui nous permet d’être au plus près de l’ensemble des usagers du service public de la justice, sans jamais exclure les victimes d’une implacable fracture numérique, nous souhaitons inscrire dans la durée certaines nouvelles pratiques numériques, bénéficiant à l’accessibilité et à la transparence de la vie économique et judiciaire de notre pays. Un nombre croissant d’acteurs ont pu découvrir et adopter les outils et services digitaux développés par les greffiers des tribunaux de commerce, et je m’en félicite ! Nous souhaitons maintenant que cette dynamique vertueuse, orchestrée avec l’ensemble des professionnels du droit, se poursuive, afin que la justice commerciale continue sa modernisation au bénéfice de tous.

 

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