Président de Consultants Immobilier

Le Club des juristes : En quoi consiste l’activité de votre société et quelle clientèle s’adresse à vous ?

Roger Abecassis : Le groupe Consultants Immobilier existe depuis 26 ans désormais et est un acteur reconnu dans l’immobilier en France et à l’international. Notre clientèle s’échelonne du moyen au très haut de gamme en couvrant tout le spectre entre ces deux profils. Nous disposons notamment de 13 agences réparties dans l’Ouest parisien, à Neuilly, à Boulogne mais aussi à Levallois. A titre complémentaire, nous avons aussi des agences à Deauville ou en Floride, ce qui donne une perception complémentaire de celle que peut avoir un acteur uniquement parisien.

La société compte 73 collaborateurs répartis dans l’ensemble de nos agences et nous réalisons en temps normal environ 2 ventes par jour.

LCJ : Dans quelle mesure la crise sanitaire en cours a infléchi votre activité ?

R.A. : Il faut bien voir que la période que nous traversons constitue un cas inédit et sans précédent pour notre secteur. L’activité commerciale est tout simplement réduite à zéro aujourd’hui, et même si elle était possible de manière ponctuelle, il serait malvenu de notre part de prospecter dans les circonstances actuelles. La chaîne de construction aussi est quasiment à l’arrêt, de la promotion à la construction en passant par tous les corps de métiers (bureaux d’études, commerciaux, diagnostiqueurs) qui la composent.

L’effet collatéral de ce caractère inédit est qu’il est tout simplement impossible de prévoir si le marché va connaître une variation des prix et quelle sera son ampleur. Comment mesurer en effet ces données-là en l’absence totale de transactions ? Il nous faudra au moins deux semaines de reprise d’activité, avec un certain nombre de transactions concrétisées, pour faire les premières évaluations.

Concrètement pour nos collaborateurs cela a provoqué deux cas de figures :

  • Des mesures de chômage partiel pour une partie d’entre eux qui sont salariés ;
  • Le recours au fonds de solidarité pour nos agents commerciaux, qui bénéficient ainsi d’une aide défiscalisée de 1 500 euros.

Pour le groupe lui-même, l’activité est au point mort. Et pour cause : les visites ne sont, sauf exceptions, plus possibles, de même que les diagnostics énergétiques ou les déménagements. Et il faut garder à l’esprit que notre cycle économique est singulier comparé à d’autres acteurs économiques comme ceux de la distribution par exemple. Notre secteur ne peut pas redémarrer en quelques jours ou semaines, cela se compte en mois.

L’effet de l’arrêt d’activité est ainsi à double détente…

D’abord car toutes les ventes en cours sont reportées ou annulées, j’ai eu deux annulations par exemple ce matin), ce qui revient à une absence de chiffre d’affaires tant que le confinement est en cours. Ensuite car lorsque l’activité reprendra, le temps de réengager les processus de vente et de signer les premiers compromis, 3 à 4 mois vont s’écouler. Ce qui signifie concrètement qu’entre tout ce qui était en cours depuis début janvier, qui est gelé, ce qui ne se fait pas aujourd’hui et ce qui mettra des mois à redémarrer avant, c’est l’équivalent de 8 mois de chiffre d’affaires qui sont pour l’heure perdus. Dit autrement, on perd le chiffre d’affaires du passé récent, on gèle celui du présent et on ne peut plus préparer celui de l’avenir.

Pour les acteurs de l’immobilier, la capacité à résister à cette crise dépendra pour beaucoup des réserves de trésorerie constituées en amont, de la force de leur image de marque et de leur capacité à redémarrer sur des marchés immobiliers qui n’ont pas les mêmes caractéristiques selon que l’on soit dans une grande ville, dans le péri urbain, à la campagne… ou selon que l’on parle d’investisseurs ou de primo-accédants. A titre d’exemple, les petites agences en province pourraient payer un lourd tribut en raison de la situation actuelle. Les réseaux d’agences auront eux plus de chance de s’en sortir.

LCJ : Quelles perspectives se dessinent pour la reprise ?

R.A. : Il faut d’abord garder à l’esprit que la reprise ne se fera pas de la même façon si le déconfinement a lieu avant juin ou après. D’un point de vue calendaire, la situation sera « rattrapable » sans trop de dommages si nous sommes dans la première hypothèse, bien plus critique en revanche si la seconde venait à se produire. Cela tient au fait que mai, juin et juillet sont des mois très importants pour notre activité et qui correspondent à des pics de transactions. En revanche si le marché ne redémarrait qu’en septembre, après 6 mois sans activité, nous assisterions probablement à une baisse des prix dans tous les domaines et surtout, pour ce qui relève de l’évaluation des biens, nous devrions presque repartir d’une feuille blanche…

A l’évidence, la reprise se fera sur des temps différés mais on peut déjà poser un cadre commun : un phénomène d’épargne accru pour préparer l’avenir est déjà en cours. En période de crise, les gens liquident principalement leurs valeurs mobilières pour reconstituer une épargne liquide, mais aussi quelques valeurs immobilières. Je pense par exemple aux résidences secondaires qui vont être particulièrement concernées, malgré la valeur sentimentale qu’elles emportent parfois pour leurs propriétaires. Le nombre de biens en vente va fortement augmenter, sauf qu’un afflux de biens en période de demande contractée dégagera moins d’épargne pour les vendeurs, si tant est qu’ils arrivent à vendre. Autre exemple que l’on peut prendre, les français qui ont des propriétés à l’étranger, prenons le cas de la Floride que je peux citer, vont probablement les vendre et rapatrier les fonds. Mais là encore ils seront confrontés à une offre forte et une demande faible.

Concernant les rythmes de reprise, ils seront fonction du marché et du profil de l’acheteur ou du vendeur. Les investisseurs privés déjà propriétaires d’un bien à titre personnel, même s’ils ont vu la valeur de leurs placements mobiliers qui leur servaient d’apports fondre, investiront dès la reprise. A fortiori dans des zones à forte attractivité comme les grandes villes peuvent l’être. La situation sera tout autre pour les propriétaires de biens loués à des commerçants en province dont les locataires ne peuvent pas forcément payer les loyers aujourd’hui, et qui ne trouveront pas aisément repreneur si les locataires mettent la clé sous la porte. Ou encore pour des activités comme celles des restaurateurs, des organisateurs d’événements, etc. pour qui la reprise ne sera pas du tout évidente avec le maintien des mesures de distanciation et les gestes barrières.

LCJ : Les mesures prises depuis le début de la crise sanitaire par le gouvernement vous paraissent-elles suffisantes ?

R.A. : Quoiqu’on puisse lire sur le sujet, le gouvernement a réagi avec pragmatisme et célérité. Et cette reconnaissance doit aussi s’adresser aux banques qui, dans mon cas, ont immédiatement proposé le gel des crédits professionnels jusqu’à septembre, donnant ainsi une bouffée d’air et permettant de faciliter la mise en pause de notre structure.

Au quotidien, c’est aussi l’intelligence de beaucoup d’acteurs qu’il faut saluer, y compris sur des sujets encore très flous comme celui des loyers. L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 fixe par exemple toute une série de conditions pour pouvoir différer, sans risque juridique, le paiement de son loyer mais de très nombreuses interrogations demeurent chez les particuliers comme chez les professionnels. Et c’est donc la bonne intelligence qui joue entre les acteurs, à l’image de ces bailleurs qui ont adopté un moratoire sur les loyers pour reporter les échéances. La question de l’annulation des loyers demeure et je pense qu’il faudra en passer par le cas par cas et par la négociation. On peut envisager de couper la poire en deux sur les montants mais il n’est pas certain que cela soit toujours possible.

Reste une décision qui n’aura pas vraiment donné sa pleine mesure et qui se trouve dans le décret n° 2020-395 du 3 avril 2020 : l’acte notarié à distance. Dans les faits, les notaires avaient déjà mis en place la signature à distance des actesde vente (une procuration par mail suffisait au notaire). Pour la signature des promesses de vente, l’idée était bonne mais dans un marché à l’arrêt… les promesses signées ne seront pas légion.

L’aspect qu’il ne faut pas mettre de côté, c’est le risque de contentieux en sortie de crise… Mais il faudra faire preuve de mesure dans tous les domaines. Par exemple le bailleur et le locataire ont tout intérêt à bien s’entendre. Si le locataire est sérieux et pérenne, le bailleur a tout intérêt à essayer de trouver un terrain d’entente car il n’est pas dit qu’il trouve un autre locataire s’il perd celui qu’il a actuellement.

Je demeure optimiste pour la reprise néanmoins. Lorsque cette épreuve sera surmontée, il y aura sans doute une volonté de reconstruire, de vivre fortement à nouveau. Et de ce point de vue, la pierre reste un investissement d’une vie, qu’on utilise en l’occupant chaque jour et qui résiste mieux aux chocs économiques que beaucoup d’autres placements. Enfin, et même si les banques sont aujourd’hui concentrées sur le soutien aux entreprises, elles n’oublieront pas les particuliers à la reprise.

 

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