Premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence

Si l’autorité judiciaire est indépendante dans la fonction de juger, elle est néanmoins comprise dans les administrations de l’État et elle est donc soumise à l’article L 2151-4 du Code de la défense qui prévoit le caractère obligatoire du Plan de Continuité d’Activité (PCA) qui « doit permettre d’assurer les activités au niveau le plus élevé et le plus longtemps possible » (circulaire fonction publique du 26 août 2009).

Le Club des juristes : En quoi consiste votre responsabilité de chef de cour zonale ?

Éric Négron : Comme tous les ministères, le ministère de la Justice dispose d’une organisation hiérarchique de défense et de sécurité qui concerne à la fois les juridictions administratives et judiciaires, ainsi que les établissements de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. Cette organisation repose sur quatre niveaux avec :

  • un Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité qui est la Secrétaire générale du ministère de la Justice Véronique Malbec avec en soutien une cellule d’appui ;
  • des chefs de cour zonaux (premier président et procureur général) au nombre de 7 pour la métropole (Aix-en-Provence, Bordeaux, Douai, Lyon, Metz, Paris et Rennes) et de 4 pour l’outre mer (Fort de France, Nouméa, Papeete et Saint-Denis de la Réunion) ;
  • les 25 cours d’appel non zonales, les 8 cours administratives d’appel, les 9 directions interrégionales des services pénitentiaires et les 9 directions interrégionales de la protection judiciaire de la jeunesse ;
  • les 164 tribunaux judiciaires, les 42 tribunaux administratifs, les 187 établissements pénitentiaires et les structures de la protection judiciaire de la jeunesse.

Conformément aux dispositions de l’article R 122-24 du code de la sécurité intérieure, les chefs de cour de la zone de défense et de sécurité exercent les fonctions d’autorités correspondantes du ministre de la Justice auprès du préfet de zone de défense et de sécurité. Ces chefs de cour zonaux doivent animer et coordonner la préparation et la mise en oeuvre des politiques de défense et de sécurité des activités judiciaires et veillent à leur cohérence avec le dispositif zonal.

Les chefs de cour zonaux ont, pour les assister dans cette mission, leurs secrétaires généraux qui sont les délégués zonaux à la défense et à la sécurité, ainsi que des chargés de mission qui en pratique, sont au quotidien les correspondants de la cellule d’appui du HFDS, du secrétariat général de la zone de défense, des secrétaires généraux des cours d’appel non zonales, des juridictions administratives et des directions interrégionales de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse. Le chef de cour zonal échange des questions stratégiques avec son préfet de région, le secrétaire général de la zone de défense et ses collègues des cours administratives et judiciaires.

Ces échanges ont porté depuis le début de la crise sur le contenu des PCA, en particulier, la question du maintien des contentieux, sur la sécurité des magistrats et fonctionnaires de justice, des avocats et des justiciables, sur l’information du public quant aux services juridictionnels maintenus et sur la dotation des agents en masques et gel hydroalcoolique.

LCJ : Comment circule l’information entre le ministère et les cours ?

E.N. : Comme l’exige l’article L 1142-7 du Code de la défense, « Le ministre de la justice assure en toutes circonstances la continuité de l’activité pénale ainsi que l’exécution des peines. Il concourt, par la mise en œuvre de l’action publique et l’entraide judiciaire internationale, à la lutte contre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ».

Pour mieux mesurer l’impact du coronavirus sur le fonctionnement de nos juridictions et établissements, la HFDS a demandé dès le 27 février 2020 aux chefs de cour zonaux de lui faire remonter quotidiennement des informations sur les cas d’agents infectés, leur prise en charge ainsi que la situation des services. Le 28 février 2020, des consignes concernant les personnels connaissant une mesure d’isolement ou de maintien à domicile nous ont été adressées. Il s’agissait dans ce contexte de faciliter l’accès des agents au télétravail et en cas d’impossibilité, de les placer en autorisation spéciale d’absence.
Au niveau national, la ministre de la Justice a tenu informées les organisations professionnelles de magistrats et de fonctionnaires en réunissant le comité technique ministériel, les chefs de cour en faisant de même avec la commission permanente d’études.

Le 3 mars 2020, des affichettes ont été diffusées avec les consignes de bonne pratique et les « gestes barrières » à respecter impérativement. Le même jour, il a été précisé que pour toute personne habitant dans une zone de circulation active (cluster) ou revenant d’une zone à risque, il n’y avait pas de consigne de confinement ou de quatorzaine systématique.

Le 5 mars 2020, il nous a été demandé de différer les déplacements à l’étranger, le 9 mars les mêmes restrictions touchant les voyages des magistrats et fonctionnaires de l’outre-mer. Le 6 mars 2020, une foire aux questions (FAQ) a été créée sur le site Intranet du ministère de la Justice pour répondre à toutes les questions des agents.

On a pu et on peut constater une fluidité de l’information entre le niveau central et les juridictions et services, la HFDS nous adressant par l’Intranet toutes les données utiles, pratiques et pertinentes (au 25 mars 2020 au matin, nous en étions au 20e bulletin COVID-19). De même, la secrétaire générale du ministère de la justice et le directeur des services judiciaires sont disponibles à tout moment pour répondre aux interrogations des chefs de cour. Des visio-conférences sont également organisées régulièrement avec les 22 chefs de cour zonaux par la garde des sceaux, ministre de la Justice et par la HFDS. Les chefs de cour en font de même avec les chefs des tribunaux judiciaires qui leur font remonter via la messagerie professionnelle toutes les questions non résolues par la FAQ, les organisations syndicales exerçant une vigilance positive pour le respect de la santé des magistrats et fonctionnaires de justice.

LCJ : Comment est assurée la continuité de l’activité juridictionnelle ?

E.N. : C’est par la voie d’un courriel adressé par la HFDS le dimanche 15 mars 2020 à 16h29 que tous les agents du ministère de la Justice ont été informés par Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la Justice, de la fermeture des juridictions dès le lendemain le lundi 16 mars 2020 pour éviter la propagation du virus.

Les PCA avaient déjà été élaborés au niveau des cours d’appel zonales. La première quinzaine du mois de mars 2020 nous a permis de les actualiser en fonction du risque pandémique Coronavirus et de faire établir par chaque tribunal judiciaire un plan de continuité d’activité. La HFDS a communiqué une trame et des modèles de PCA qui ont été très utiles à cette rédaction qui a été faite avec l’assistance des chargés de mission zonale.

La première tâche pour un premier président de cour d’appel et un président de tribunal judiciaire a été le 16 mars au matin d’établir la liste des magistrats n’entrant pas dans les catégories définies par le Haut Comité de Santé Publique comme « personnes fragiles ou personnes vulnérables » : personnes âgées de plus de 70 ans ce qui exclut des magistrats honoraires et des magistrats à titre temporaire, patients présentant une insuffisance rénale ou cardiaque, diabétiques, les femmes enceintes, les personnes avec des traitements de chimiothérapie…

Les ordonnances de roulement qui fixent les audiences et les compositions des chambres d’une juridiction ont été suspendues par la mise en œuvre des PCA. Les sessions de cour d’assises ont été stoppées.

De nouvelles ordonnances de roulement ont ainsi été rédigées fixant la liste des magistrats mobilisables ainsi que les audiences maintenues avec la composition des formations de jugement dans les contentieux énumérés dans le message de la garde des sceaux, ministre de la Justice en date du 15 mars 2020.

Pour une cour d’appel, compte tenu de la pyramide des âges, 50 % des magistrats sont mobilisables car nous avons étendu la notion de personnes vulnérables aux conjoints et proches parents souffrant des pathologies fragilisantes. Plus de 50 % des magistrats mobilisables (36 sur 60) participent aux formations de jugement pérennisées dans le PCA.

Les chambres de l’instruction ont maintenu leurs audiences détention avec un flux en progression compte tenu de l’augmentation des demandes de mise en liberté présentées devant les juges d’instruction. Les audiences de fond se déroulent uniquement pour statuer sur les ordonnances de mise en accusation avec détenu et les nullités pouvant mettre en cause le titre de détention.

Les chambres correctionnelles ne se réunissent que pour les dossiers détenus, ce qui est fréquents pour les chambres JIRS (juridiction interrégionale spécialisée) dans les affaires de criminalité organisée.
Les chambres de l’application des peines statuent également sur les aménagements de peine qui peuvent conduire à un élargissement de détenu, avec pour objectif de faire baisser la pression dans nos prisons compte tenu de la suppression des parloirs et des activités pour limiter la propagation du virus.

Les chambres civiles, commerciales et sociales et des mineurs sont disponibles pour les référés d’urgence, mais elles ne sont que très rarement saisies. Les chambres de la famille sont prêtes à statuer sur les appels des ordonnances de protection et les conflits familiaux urgents. Les chambres de l’urgence tiennent chaque jour leurs audiences de rétention administrative pour les étrangers et d’hospitalisation sous contrainte.

Pour éviter que la charge du PCA ne repose que sur les magistrats pénalistes, l’ordonnance de roulement et les tableaux de service ont prévu le doublement des formations de jugement avec des suppléants à chaque poste et une rotation des magistrats civilistes, commercialistes et travaillistes dans les formations pénales. Ce sont ainsi près de 40 magistrats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui sont mobilisables chaque jour sur un effectif réel de 125 magistrats dont 60 sont disponibles, assistés par 40 greffiers sur un effectif réel de 195.

Cette polyvalence des magistrats n’est malheureusement pas la même pour les fonctionnaires de justice, les greffiers civilistes ne pouvant qu’exceptionnellement apporter leur aide à leurs collègues pénalistes faute de connaissance de la procédure et de maîtrise des logiciels de gestion.

La mobilisation des cours et tribunaux est donc totale pour maintenir les contentieux de la liberté et de la détention. Les magistrats et fonctionnaires de justice sont volontaires et solidaires pour exécuter les PCA. Nous regrettons de ne pouvoir leur fournir des masques qui sont réservés au personnel de santé et nous déplorons l’absence d’outils nomades performants pour effectuer un télétravail efficace.
Cette crise pandémique fait suite à une grève des avocats qui a considérablement perturbé le fonctionnement des juridictions françaises. La réaction républicaine des magistrats et fonctionnaires de justice confirme leur attachement à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation.

 

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