Président de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI

Le Club des juristes : Quel va être l’impact de la pandémie sur l’arbitrage commercial international, et en particulier sur l’arbitrage CCI ?

Alexis Mourre : Il est trop tôt pour apprécier si la situation actuelle aura un effet sur l’ampleur du contentieux arbitral international, que l’on raisonne à la hausse ou à la baisse. Il est certain que les opérateurs économiques seront confrontés à des inexécutions contractuelles en cascade, et que de nombreux contentieux soulèveront des problèmes d’adaptation du contrat ou de force majeure. Il reste à savoir s’il en résultera un accroissement du nombre d’arbitrages. Il est probable qu’à court terme, les difficultés de trésorerie des entreprises et les difficultés organisationnelles auxquelles celles-ci sont actuellement confrontées entraîneront, en sens inverse, un report de l’introduction d’un certain nombre de procédures. On devrait toutefois assister, à moyen terme, à un accroissement du contentieux, auquel la CCI se prépare d’ores et déjà.

L’autre aspect de la question est bien sûr l’impact de la situation actuelle sur les procédures en cours. De très nombreuses audiences ont d’ores et déjà été retardées, ce qui entraîne souvent des délais importants, compte tenu du nombre de reports auxquels les arbitres sont confrontés et des engorgements de calendrier que ceux-ci entraînent. Nous assistons aussi, cependant, à un effort collectif de la communauté arbitrale internationale pour repenser les méthodes de travail auxquelles nous sommes habitués, et en particulier l’organisation d’audiences personnelles. De telles audiences, compte tenu du nombre élevé de participants concernés, en particulier dans les affaires complexes, du fait que ceux-ci viennent souvent d’un grand nombre de pays différents, ainsi que de la nécessité d’organiser des services de transcription et d’interprétation, sont une source considérable de complexité et de coûts. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’importance que les parties attachent à la présence personnelle des arbitres, des témoins et des experts lors de ces audiences. C’est en effet parfois la première occasion de contact personnel entre les parties et les arbitres, et on ne peut également nier que la présence des témoins et des experts assure une immédiateté et une interaction qui permet au tribunal de tirer le meilleur profit de l’audience. C’est ainsi que, même dans la situation que nous vivons actuellement, il est fréquent que les parties préfèrent subir des délais importants plutôt que de renoncer à une telle audience personnelle. Cela étant, les mentalités sont peut-être en train de changer. Dans une affaire CCI très importante, qui implique des enjeux considérables, les parties ont récemment accepté, en raison de l’épidémie, d’interrompre l’audience au bout d’une semaine et de tenir la deuxième semaine d’audience en utilisant la plateforme Zoom. De l’avis de toutes les personnes concernées, cette seconde semaine d’audience, au cours de laquelle de nombreux experts ont été interrogés et contre-interrogés par les parties et par le tribunal, s’est déroulée dans des conditions très satisfaisantes.

LCJ : Comment se déroulent de telles audiences virtuelles ?

A.M. : Les technologies de communication électronique, comme le montre l’exemple auquel je viens de me référer, ont remarquablement évolué, en sorte qu’il est aujourd’hui possible de conduire des audiences complexes de façon entièrement virtuelle. La CCI s’est depuis longtemps intéressée à ce sujet, et a produit en 2017 un rapport très complet et très innovateur sur l’usage des technologies de l’information dans l’arbitrage. Il est aujourd’hui possible de réunir virtuellement et de façon complètement interactive un grand nombre de participants situés dans de multiples pays et souvent de multiples fuseaux horaires différents. Il existe de nombreuses plateformes électroniques permettant de relever ce défi, et notamment le maniement de documents, l’interprétation simultanée ou consécutive et la transcription en temps réel de l’audience. Les arbitres peuvent par exemple disposer d’un contrôle sur l’orientation des caméras, leur permettant de vérifier que les personnes se trouvant aux côté des témoins sont bien celles  qui ont été autorisées à participer à l’audience et qu’elles n’interagissent pas avec le témoin de façon contraire aux règles de procédure applicables. De telles plateformes permettent aussi à des groupes de participants, comme les conseils d’une partie ou le tribunal lui-même, d’organiser des conversations en aparté.

Il reste que les arbitres devront vérifier si le règlement d’arbitrage et autres règles procédurales applicables permettent d’organiser une audience virtuelle. Le Règlement d’arbitrage de la CCI, par exemple, n’impose pas que l’audience se tienne de façon personnelle. Les arbitres peuvent donc parfaitement décider, dans les circonstances appropriées, que l’audience se déroulera de façon virtuelle, et ce même en l’absence d’accord entre toutes les parties.

LCJ : La CCI a-t-elle pris des mesures particulières pour faire face à la pandémie ?

A.M. : Nous avons deux priorités absolues. La première est d’assurer la sécurité de notre personnel. La seconde est d’assurer la continuité des services de la Cour et du Secrétariat. La Cour tient en moyenne deux ou trois sessions par semaine, au cours desquelles sont notamment débattus les projets de sentence, discutées les questions tenant à la nomination et à la confirmation des arbitres, décidées les demandes de récusation et fixés les honoraires et les frais de l’arbitrage. L’intégralité de ces réunions s’est déroulée comme prévu, et il en ira de même tant que l’urgence sanitaire à laquelle nous sommes confrontés perdurera. Les activités du Secrétariat de la Cour se poursuivent également, alors que l’essentiel de notre personnel se trouve en télétravail. Tout cela a demandé un important travail d’organisation, compte tenu notamment du fait que nos activités d’administration des arbitrages se déroulent dans cinq villes différentes, Paris bien sûr, mais aussi New York, Sao Paulo, Singapour et Hong Kong. Je dois rendre hommage à notre Secrétaire Général Alexandre Fessas et à son équipe pour la rapidité avec laquelle ils ont dès le mois de janvier réagi à la situation. La pandémie a en revanche affecté un certain nombre d’autres activités non essentielles de la Cour, telles que les conférences et séminaires de formation, qui ont été pour la plupart reportées à des dates ultérieures. Cela étant, certains de ces évènements pourront être organisés de façon virtuelle. Nous y travaillons.

Un aspect important des activités de la Cour dans cette période est l’assistance que nous donnons aux parties qui nous en font la demande, en particulier pour l’organisation d’audiences virtuelles et pour minimiser autant que possible les délais et perturbations causées par la pandémie. Nous avons ainsi mis en place une plateforme de communication permettant aux arbitres, aux parties et  leurs conseils de réaliser toutes les étapes de la procédure, comme le dépôt de la demande d’arbitrage, d’être en contact permanent avec le Secrétariat de façon virtuelle. La Cour encourage également les parties, pour éviter tout retard inutile, à s’accorder pour que la notification de la sentence puisse se faire par voie électronique. Cette possibilité a d’ailleurs été introduite dans la Note de la Cour aux arbitres et aux parties dès 2016. Nous en voyons aujourd’hui l’utilité. Lorsque les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, ou lorsque la lex arbitri ne permet pas une notification de la sentence par voie électronique, la Cour fait tout son possible pour que les difficultés causées par la pandémie soient minimisées, en assistant les arbitres et les parties et en procédant aux notifications dans les meilleurs délais.

 

À lire : Information technology in international arbitration, 2017 ICC Commission report

 

 

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