Par Ludovic Malgrain, avocat associé, et Arthur Merle-Beral, avocat collaborateur, cabinet White & Case LLP

La crise sanitaire liée au coronavirus justifie une vigilance renforcée de la part des Directions Financières et Comptables des entreprises et des établissements bancaires qui doivent craindre une recrudescence des fraudes aux faux ordres de virements internationaux (FOVI).

Cette recrudescence constitue l’un des multiples effets d’aubaine de la pandémie de coronavirus et des mesures qu’elle a engendrées, notamment davantage de commandes en lignes, de réception de factures en lignes et de télétravail.

Certes, toutes les actions de sensibilisation internes avaient conduit depuis plusieurs années à réduire le nombre de ces fraudes au sein des grandes entreprises. Et très récemment, l’affaire dite du « faux Le Drian » – dans laquelle il était reproché à plusieurs prévenus d’avoir détourné environ 55 millions d’euros en se faisant passer pour M. Le Drian, alors ministre de la Défense, afin de payer une prétendue rançon pour des otages français en Syrie d’euros – a donné lieu à un jugement de la 13e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris aux termes duquel le principal prévenu a été condamné à 10 ans d’emprisonnement et 2 millions d’euros d’amende pour « escroquerie en bande organisée » et « association de malfaiteurs » et 1 an d’emprisonnement pour « prise de nom d’un tiers ». Dans ce même dossier, cinq autres prévenus ont été condamnés à des peines allant de 15 mois avec sursis à 7 ans d’emprisonnement.

Mais ces peines ne sont pas de nature à décourager les escrocs, tant les opportunités apparaissent nombreuses en cette période de crise.

Ceux-ci profitent en effet de la pandémie de coronavirus pour multiplier les actes malveillants. Ainsi, comme le révèle Le Monde, un grossiste en médicaments a commandé pour 6,6 millions d’euros de masques et de gel hydroalcoolique à une société fictive. Les escrocs ont usurpé l’identité d’un fournisseur habituel de ce grossiste, et ont offert de livrer rapidement une grande quantité du matériel voulu. Ils se sont ensuite « volatilisés » et les sommes détournées seraient désormais à Singapour.

Quels profils d’entreprises sont ciblés par les FOVI ?

Les entreprises industrielles sont les premières victimes de telles fraudes et les établissements bancaires par ricochet, puisque les virements litigieux sont in fine opérés par ces derniers de sorte qu’à défaut de la saisie des sommes virées frauduleusement dans les plus brefs délais dans un contexte d’enquête judiciaire internationale, les uns et les autres vont tenter de s’imputer la responsabilité civile du dommage.

En effet, en parallèle des enquêtes et procédures judiciaires internationales ouvertes pour tenter d’appréhender auteurs et complices, la situation sus-décrite, désormais juridiquement bien connue, donne lieu à un riche contentieux devant les juridictions civiles et commerciales entre les victimes des fonds détournés et leurs établissements bancaires ; les premiers reprochant aux seconds les manquements de leurs préposés à leurs obligations professionnelles, légales et contractuelles ; les seconds stigmatisant les défaillances d’organisations et de contrôle des départements comptables et financiers des entreprises.

A cet égard, rappelons que s’applique l’article 1937 du Code civil, qui dispose que « [l]e dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu’à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir. » C’est sur ce fondement que la responsabilité des établissements bancaires est retenue en cas d’opérations réalisées sur la base de fraudes aux FOVI. Néanmoins, les établissements bancaires peuvent s’exonérer de cette responsabilité lorsqu’il est prouvé que le titulaire du compte, donneur d’ordre apparent, a commis une faute ayant eu pour effet de permettre ou de faciliter l’émission d’un faux ordre de virement.

Compte tenu de la diversité des situations factuelles, la jurisprudence n’est pas uniforme et la solution du partage de responsabilités, qui contraint alors les entreprises et les établissements bancaires à supporter le coût de la fraude chacun à hauteur de 50%, est souvent retenue.

Pour éviter que le coronavirus ne constitue plus avant une aubaine pour les fraudeurs et que le contentieux qui en découle ne se multiplie en période de crise à un moment où les trésoreries sont particulièrement tendues, revenons sur le mode opératoire des fraudes aux FOVI, le risque de diversification de ces fraudes compte tenu du contexte actuel et la nécessité de continuer à sensibiliser en interne.

En quoi la crise sanitaire actuelle vient faciliter la commission de cette infraction ?

Le mode opératoire de cette escroquerie consiste généralement à cibler un employé du département Trésorerie, Comptabilité ou Finances de l’entreprise, au travers d’un contact téléphonique ou d’un email prétendument adressé par le président, le directeur général, le directeur financier – celui qui dispose, pour l’employé ciblé, d’une autorité incontestable – ou par un tiers dont la probité ne saurait être mise en cause (exemple de l’affaire « Le Drian ») voire par un fournisseur habituel dont on ne saurait a priori se méfier.

En effet, via Internet, les escrocs sont en mesure d’obtenir de très nombreuses informations sur leurs cibles (LinkedIn, Facebook, rapports publics, interviews, etc.) : c’est ce que l’on appelle l’ingénierie sociale.

C’est dans ce contexte que va s’instaurer une certaine confiance entre l’employé et le fraudeur.

Le motif du virement sollicité apparaît dans les e-mails suivants. Et, dans la période de crise actuelle où, comme le rappelle Le Monde, « la peur ambiante, associée à l’élan de solidarité en faveur du monde médical et de la recherche, offre un terreau fertile aux malfaiteurs »1, les motifs fallacieux sont multiples.

Aux traditionnels, « OPA confidentielle », « approvisionnement exceptionnel », etc. viennent désormais s’ajouter « achat de masques », « achat de gel hydroalcoolique », « dons aux hôpitaux », « dons au personnel soignant », « aide aux sans-abris », etc. Toutes les entreprises, quel que soit leurs secteurs d’activités (pas uniquement celles du secteur médical et paramédical), peuvent y être confrontées.

In fine, il est demandé à l’employé de préparer un ordre de virement international à retourner par e-mail pour signature, puis à transmettre à l’établissement bancaire, dont la robustesse des procédures de contrôle est alors mise à rude épreuve entre l’urgence invoquée par leurs interlocuteurs, l’ingéniosité des escrocs et la vraisemblance des ordres de virements.

Par ailleurs, profitant du confinement qu’impose la situation actuelle, les techniques des fraudeurs pourraient se diversifier et on peut par exemple craindre que l’envoi de fausses factures se multiplie. La véracité de l’objet de ces factures sera alors d’autant plus difficile à contrôler que nombre d’employés ne peuvent plus communiquer en direct et de visu mais par email.

Quelles actions préventives concrètes pour les entreprises ?

Dans ce contexte, la sensibilisation des équipes Conformité, Trésorerie, Comptabilité et Finances de l’entreprise est l’unique moyen d’endiguer la recrudescence des fraudes aux FOVI et leur diversification.

Cette sensibilisation est essentielle afin de ne pas mettre plus en péril encore la continuité voire la survie de l’activité économique des entreprises car les sommes détournées atteignent parfois des montants de plusieurs millions d’euros.

À ce stade, le confinement rendant impossible la mise en place de formations en présentiel, la solution de formations à distance via du e-learning ou des vidéos doit être envisagée.

À cet égard, il peut également être utile de se référer aux neuf réflexes de sécurité édités en octobre 2018 par la Fédération française bancaire en collaboration avec la Police judiciaire. Ces principes, qui ont montré leur efficacité, demeurent mais doivent être rappelés avec insistance à l’approche des congés de fin de semaine, des vacances scolaires, des ponts du mois de mai et, a fortiori, tant que durera le confinement.

C’est seulement à cette condition qu’il sera fait échec aux tentatives de fraudes.

 

[vcex_divider color= »#dddddd » width= »100% » height= »1px » margin_top= »20″ margin_bottom= »20″]

 

[1] Ibid., note n°3.

 

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]S’abonner à la newsletter du Club des juristes[/vcex_button]