Par Charlotte Dubois – Professeur à l’Université de Bourgogne – Membre du Centre Innovation et Droit (EA 7531) – Membre associé de l’Institut de criminologie de l’Université Panthéon-Assas
Le 14 avril 2021, dans l’arrêt Halimi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation déclarait irresponsable pénalement le toxicomane, pris d’une bouffée délirante et animé par des mobiles antisémites, qui avait défenestré sa voisine. L’arrêt avait provoqué une vive émotion et une vague de manifestations si bien que le Président de la République Emmanuel Macron et le Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avaient promis l’adoption d’une loi sur la question : c’est chose faite avec la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure et le décret du 25 avril 2022 qui vient la préciser. Cette nouvelle règlementation limite l’irresponsabilité pénale en cas de trouble mental résultant de la consommation de produits psychoactifs, crée trois délits d’intoxication volontaire et étend la circonstance aggravante de consommation de drogue ou d’alcool à différentes infractions : meurtre, tortures, actes de barbarie et violences mortelles.

Avant cette réforme de 2022, comment la loi et les tribunaux réglaient-ils la question de la responsabilité pénale de la personne privée de discernement ?  

Le droit pénal connaît des causes de non-imputabilité, c’est-à-dire des circonstances propres à l’auteur d’une infraction qui excluent sa responsabilité pénale. Parmi ces causes, l’abolition du discernement est prévue par l’article 122-1 alinéa 1er du code pénal : n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. Lorsqu’une telle abolition du discernement est constatée, la juridiction prononce une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Deux remarques au regard de la pratique judiciaire à cet égard. D’abord, le nombre de décisions d’irresponsabilité pénale prononcées annuellement (en 2019 par exemple) n’est pas négligeable (près de 10.000), mais limité en proportion (0.5% des 2 millions de personnes suivies annuellement par la justice pénale). Ensuite, près de la moitié de ces décisions d’irresponsabilité pénale été prises par une chambre de l’instruction et seulement 0.6% par une cour d’assises (dans le cadre d’une affaire criminelle). Force est ainsi de constater qu’il est particulièrement rare qu’un dossier criminel aboutisse à un arrêt d’irresponsabilité de la cour d’assises, la question étant le plus souvent traitée par les chambres de l’instruction.

Le second alinéa du même article 122-1 du code pénal prévoit qu’en cas de simple altération du discernement, la responsabilité pénale demeure mais la peine privative de liberté est réduite du tiers.

Une personne qui s’est volontairement intoxiquée est-elle désormais responsable ?

L’attachement au discernement pour asseoir la répression est trop fort pour remettre en cause l’article 122-1 du code pénal. Aussi le nouveau dispositif est-il subtil et très complexe.

Ce dispositif vise d’abord à limiter l’irresponsabilité pénale en cas d’intoxication volontaire. En effet, dans un cas seulement le bénéfice de l’irresponsabilité est écarté : est responsable l’auteur, privé de discernement, qui a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commette l’infraction. La solution rappelle l’arrêt de la Chambre des Lords dans l’affaire A-G for Northern Ireland v. Gallagher (1963) : Gallagher avait décidé de tuer son épouse et, à cette fin, acheté concomitamment un couteau et une bouteille de whisky pour s’en donner le courage. Les juridictions anglaises lui ont refusé le bénéfice de l’irresponsabilité, motif pris que l’intention criminelle était constituée alors que la personne était sobre.

Le nouvel article 122-1-1 prévoit une solution identique. Dès lors, il n’aurait pas permis de retenir une solution différente dans l’affaire Halimi : la consommation de stupéfiants n’avait pas été réalisée à dessein de tuer, le projet criminel n’ayant pas été muri.

De plus, une nouvelle disposition tranche la question des répercussions d’une altération (et non d’une abolition) du discernement, causée par une intoxication volontaire : dans cette hypothèse, la diminution de peine est refusée. La solution est heureuse car le régime de clémence au profit de celui dont le discernement est altéré s’articulait mal avec la sévérité (par le biais de circonstances aggravantes) prévue par le législateur, à l’encontre de celui qui commet certaines infractions sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants.

Par ailleurs, le nouveau dispositif s’est accompagné de la création d’infractions. Ainsi, celui qui aura tué dans ces conditions ne pourra toujours pas être condamné sous la qualification criminelle d’homicide volontaire ; en revanche, il pourra désormais faire l’objet d’une condamnation sur le fondement d’un nouveau délit d’atteinte à la vie résultant d’une intoxication volontaire.

Les conditions sont rigoureuses. D’abord, il faut que soient réalisés les éléments matériels de l’une des infractions prévues par le législateur : il peut s’agir d’un homicide volontaire, de tortures, actes de barbarie ou violences, ou encore d’un viol. Ensuite, les textes requièrent que la personne ait consommé les substances « en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à mettre délibérément autrui en danger ». Enfin, il faut que l’infraction ait donné lieu à une déclaration pénale d’irresponsabilité sur le fondement de l’article 122-1 alinéa 1er du code pénal.

Ces différentes infractions connaissent une cause d’aggravation, sorte de récidive intégrée : le quantum de la peine est augmenté (transformant parfois le délit en crime) lorsque les faits sont commis « par une personne qui a été précédemment déclarée pénalement irresponsable d’un homicide volontaire » si l’abolition du discernement pour les seconds faits a été « provoquée par la même consommation volontaire ».

Que peut-on penser de l’efficacité de ces nouvelles dispositions ?

Globalement, la loi est très décevante. Tout d’abord, d’un point de vue théorique, le mécanisme qu’elle propose ne convainc pas pleinement : la responsabilité est conditionnée à l’irresponsabilité ! De fait, en posant comme condition préalable aux nouveaux délits qu’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ait été prononcée, les nouveaux textes emportent un risque de confusion : l’auteur n’est pas assez discernant pour être coupable des crimes les plus graves mais l’est suffisamment pour être condamné sur le fondement des nouvelles incriminations.

En outre, le dispositif semble parcellaire et peu cohérent : pourquoi les violences ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours donnent-elles lieu à de nouvelles infractions là où les agressions sexuelles par exemple n’ont pas été envisagées par la loi ?

Ensuite, d’un point de vue pratique, l’effectivité des nouveaux textes est minime. Les conditions posées semblent excessivement strictes : par exemple, dans l’affaire Halimi, on peut douter du fait que Kobili Traoré avait connaissance du fait que sa consommation de stupéfiants était susceptible de le conduire à mettre délibérément autrui en danger ; les nouveaux textes n’auraient donc pas empêché l’irresponsabilité pénale.

Enfin, la cause d’aggravation ne convainc pas davantage. D’une part, l’aggravation ne joue que si « la même consommation volontaire » de substances a provoqué l’abolition. Est-ce à dire que si l’auteur a, la première fois, consommé telle drogue et, la seconde fois, telle autre, l’aggravation ne pourrait pas jouer ? D’autre part, l’aggravation n’est prévue que dans l’hypothèse où une première déclaration d’irresponsabilité pénale a été prononcée uniquement pour des faits d’homicide volontaire avant, dans les mêmes circonstances, de commettre un nouvel homicide, un viol ou des actes de torture. Pourquoi ne pas avoir étendu cette aggravation à quiconque aurait une première fois été déclaré irresponsable d’un viol par exemple avant de donner la mort dans les mêmes circonstances ?

En somme, cette loi réactionnelle, adoptée moins d’un an après la jurisprudence qu’elle entend combattre, semble manquer sa cible.

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]En savoir plus…[/vcex_button]