Après plusieurs reports, quelques réticences de Bercy et plusieurs mois de travail, l’Agence nationale du sport a été lancée officiellement le mercredi 24 avril. Cette agence doit valider la nouvelle gouvernance du sport français.

Décryptage par Mathieu Maisonneuve, professeur à l’Université d’Aix-Marseille.

« L’Agence nationale du sport n’est qu’un outil. Tout va donc dépendre, outre des moyens qui seront alloués, de l’usage que les différentes parties prenantes feront de cet outil. »

Quels sont le statut et le rôle de cette agence ?

L’Agence nationale du sport est un groupement d’intérêt public (GIP), c’est-à-dire une personne morale de droit public constituée par une convention, approuvée par arrêté interministériel, conclue ici entre l’État et des personnes morales de droit privé représentant le mouvement sportif, les collectivités territoriales, et les acteurs économiques. C’est une forme juridique adaptée à l’idée de gouvernance partagée du sport français à laquelle cette nouvelle agence doit donner corps.

Le Conseil d’État, en formation consultative, a toutefois émis des réserves sur ce choix. Dans la mesure le budget de l’Agence est pour l’heure quasi-exclusivement alimenté par le budget de l’État, notamment par le produit de trois taxes qui étaient jusque-là affectées au Centre national pour le développement du sport (CNDS) auquel l’Agence nationale du sport succède, la forme d’un l’établissement public administratif national, placée sous la tutelle de l’État, aurait pu se justifier. Il n’a pas été tenu compte de cet avis. Indépendamment de toute considération juridique, il est vrai que supprimer le CNDS, qui était précisément un tel établissement, pour le remplacer par une autre structure du même type, n’aurait symboliquement pas été du meilleur effet alors que la nouvelle agence est annoncée par ses promoteurs comme un élément central d’une « révolution » de la gouvernance du sport français.

L’objectif de l’Agence nationale du sport est, aux termes du préambule de sa convention constitutive, de « renforcer les capacités sportives de la Nation sur le fondement d’une gouvernance collégiale et concertée du sport tout en contribuant à la réduction des inégalités sociales et territoriales en France ». Son objet est plus précisément « de définir et d’atteindre des objectifs communs en matière de développement de la pratique sportive en France et du haut niveau ainsi que de la haute performance, notamment dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques à Paris en 2024 ». C’est ambitieux.

Concrètement, quels changements cela va-t-il apporter à la politique sportive actuelle ?

Il est encore un peu tôt pour le dire. L’Agence nationale du sport n’est qu’un outil, qui doit d’ailleurs être complété par d’autres, a priori par des « parlements locaux du sport » et des conférences territoriales des financeurs, qui en seraient la déclinaison au niveau régional ou métropolitain. Tout va donc dépendre, outre des moyens qui seront alloués, de l’usage que les différentes parties prenantes feront de cet outil. Si les choses se passent comme attendues, il devrait en résulter une politique sportive moins étatiste et plus participative, moins verticale et plus horizontale.

Schématiquement, la politique sportive en France était, depuis les années 60, décidée au ministère chargé des sports et mise en œuvre, notamment, par les directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, par les fédérations sportives agréées en exécution de conventions nationales d’objectifs, et par un établissement public administratif national – le CNDS – au travers des financements qu’il accordait. À l’avenir, le ministère devrait se concentrer sur ses missions régaliennes (sécurité des pratiques sportives, intégrité des compétitions sportives, relations internationales, etc.) et l’Agence nationale du sport déterminer la politique sportive en matière de développement des pratiques sportives et en matière de développement du haut niveau et de la haute performance sportive. Certes, le flou est parfois entretenu. Devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, la ministre des Sports déclarait par exemple que « l’Agence nationale du sport sera une agence de financement, d’appui et d’évaluation de programmes sportifs en faveur du développement des pratiques et de la haute performance ». Sa convention constitutive laisse toutefois entendre qu’elle a vocation à être plus que cela. Son objet est « de définir et d’atteindre des objectifs communs en matière de développement de la pratique sportive en France et du haut niveau ainsi que de la haute performance ». Surtout, cela ne cadre pas avec l’ambition affichée par ailleurs de mettre en place une gouvernance du sport « véritablement partagée », un « gouvernement ouvert ».

On peut très bien regretter que la politique sportive nationale soit pour partie déterminée par des puissances privées. On ne peut en revanche nier que l’Agence nationale du sport ne serait qu’une révolution de façade s’il ne s’agissait en réalité que d’une simple réforme du CNDS, lequel était plus un fonds de financement qu’une structure partenariale d’impulsion.

Cette agence ne fait pas l’unanimité. Pourquoi ?

L’Agence nationale du sport suscite effectivement des craintes. Certaines concernent le financement du « sport pour tous ». Dans son rapport sur le projet de loi finances 2019, la rapporteure spéciale sur la partie relative au sport les exprimait en ces termes : « le risque est fort que la future agence nationale du sport, qui se verra affecter une fraction importante des crédits de cette action, ainsi que des taxes préalablement affectées au CNDS, les utilise de manière fongible et privilégie l’accompagnement du haut niveau au détriment des pratiques sur l’ensemble du territoire et pour les publics les plus éloignés du sport ». Elle formulait même « d’extrêmes réserves sur la justification de ce projet, d’autant plus que les modèles étrangers où l’État se désiste de ses responsabilités n’ont généralement pas produit de résultats positifs ». Le risque ne peut être écarté, surtout dans la perspective des Jeux olympiques de Paris 2024. Mais s’il devait se réaliser et surtout perdurer, ce ne pourrait être, compte tenu de son poids dans la nouvelle agence, qu’avec la complicité de l’État. Le collège des représentants détient 30% des droits de vote au sein de l’Agence, et même 60% s’agissant des décisions relatives au haut niveau et à la haute performance. De plus, à la demande de ce collège, un projet de délibération ou de décision peut être soumis « à son avis conforme quand la question soulevée est susceptible de mettre gravement en jeu les intérêts de l’État ».

D’autres craintes sont plus prospectives encore et sont liées à un mouvement plus général de désengagement de l’État en matière sportive dont l’Agence ne serait que la première étape. Elles s’appuient notamment sur le rapport du Comité d’action publique 2022 qui proposait de créer une telle agence, mais aussi de supprimer progressivement le corps des conseillers techniques sportifs (CTS), qui sont des fonctionnaires ou des agents publics mis à disposition des fédérations par le ministère, et s’interrogeait sur l’opportunité de maintenir un ministère de plein exercice. L’Agence nationale du sport est déjà une réalité. L’avenir des CTS est en cours de discussion et soulève des questions. Une partie des crédits du ministère a été transférée à l’Agence. Au-delà des préconisations de ce rapport, le lien entre l’État et les fédérations sportives est en voie d’être profondément modifié. L’abandon de la tutelle du premier sur les secondes, il est vrai assez théorique, a été annoncé. Le système de l’agrément et de la délégation de service public, sur lequel repose traditionnellement les relations entre le ministère et le mouvement fédéral, sera probablement réformé. D’ores et déjà, les fédérations ne concluront plus des conventions d’objectifs avec la direction des sports du ministère, mais des conventions de performance et de développement avec la nouvelle agence. La crainte que le modèle français d’organisation du sport cesse d’être interventionniste, pour devenir, si ce n’est libéral, au moins mixte, n’est donc pas infondée. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Le nombre de médailles aux Jeux de Paris sera un élément de réponse, pas le seul.

Pour aller plus loin :

Par Mathieu Maisonneuve.