Par Christophe Lachièze, professeur de droit privé à l’Université Paris 8

Points-Clés

  • Le secteur du tourisme est durement touché par les conséquences de l’épidémie de covid-19
  • Afin de venir en aide aux professionnels, l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 instaure un dispositif dérogatoire temporaire concernant les effets de la résolution des contrats

Le secteur du tourisme est l’un des plus touchés par les conséquences de l’épidémie de covid-19. C’est pourquoi, en application de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (JO 24 mars 2020, texte n° 1 ; JCP G 2020, act. 369, Libres propos A. Levade), le Gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure (JO 26 mars 2020, texte n° 35). Conformément à l’article 1er du Code civil, l’ordonnance est entrée en vigueur le lendemain du jour de sa publication au Journal officiel, c’est-à-dire le 27 mars (sur cette ordonnance, V. not. J.-D. Pellier, Coronavirus : une ordonnance pour sauver les professionnels du tourisme : Dalloz actualité, 28 mars 2020).

L’ordonnance intervient dans un contexte d’urgence absolue. Si les professionnels du tourisme ont déjà eu à affronter par le passé certaines crises, on pense notamment à celle liée à l’éruption d’un volcan islandais au nom imprononçable (Eyjafjallajökull) en 2009, la crise sanitaire actuelle due au covid-19 est d’une gravité inédite. Et il n’est pas besoin de longs développements pour montrer à quel point les règles habituellement applicables à la force majeure, tant en droit spécial du tourisme (C. tourisme, art. L. 211-14, II, et III ; sur ce texte V. C. Lachièze, Droit du tourisme : LexisNexis, 2e éd. 2020, n° 318 et s.) qu’en droit commun des contrats (C. civ., art. 1218 et 1229), sont inadaptées pour faire face à cette crise. Les mesures restrictives de déplacement adoptées par de nombreux pays rendent impossible l’exécution des contrats du tourisme, qui sont donc résolus à l’initiative des professionnels eux-mêmes ou de leurs clients, en conséquence de quoi les professionnels sont obligés de rembourser les sommes perçues. Les professionnels se trouvent confrontés à un très grand nombre de demandes de remboursement, auxquelles ils ne peuvent faire face. Leur situation est d’autant plus critique qu’ils ne reçoivent pratiquement plus aucune commande (V. Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance : JO 26 mars 2020, texte n° 34). Le spectre d’une cascade de défaillances d’entreprises plane sur le secteur du tourisme.

L’objectif de l’ordonnance est de venir en aide aux professionnels du tourisme sans pour autant sacrifier les intérêts des voyageurs. Pour ce faire, l’ordonnance instaure un dispositif dérogatoire temporaire qui permet d’aménager les effets de la résolution du contrat lorsqu’elle est provoquée par les mesures prises pour lutter contre l’épidémie de covid-19.

Domaine d’application du dispositif

L’ordonnance délimite la durée de validité du dispositif (A) et les contrats auxquels il s’applique (B).

Durée de validité

Date d’entrée en vigueur et date butoir. – Le dispositif instauré par l’ordonnance s’applique aux résolutions de contrats provoquées par l’épidémie de covid-19 notifiées, soit par le client soit par le professionnel, « entre le 1er mars 2020 et une date antérieure au 15 septembre 2020 inclus » (Ord. n° 2020-315, art. 1er, I, al. 1). À cet égard, deux observations s’imposent.

La date d’entrée en vigueur du dispositif, qui est fixée au 1er mars 2020, ne cadre pas avec les dispositions de la loi d’habilitation qui permet au Gouvernement de prendre toute mesure « pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020 » (L. n° 2020-290, art. 11). La procédure de ratification de l’ordonnance pourra permettre au Parlement de corriger ce point.

La date d’expiration du dispositif, qui est fixée au 15 septembre 2020, mérite également quelques explications. On ne saurait présumer que tous les contrats portant sur des voyages ou des prestations dont l’exécution est programmée avant le 15 septembre seront résolus (comp. J.-D. Pellier, art. préc.). Il faut en effet garder à l’esprit que le dispositif a été adopté dans le but de faire face aux résolutions de contrat provoquées par la crise sanitaire et, s’agissant d’un dispositif dérogatoire, il est d’interprétation stricte. Le dispositif n’est donc applicable, jusqu’au 15 septembre, qu’aux contrats dont l’exécution est rendue impossible par l’épidémie, ce qui appelle une appréciation au cas par cas. Et le dispositif ne sera plus applicable après le 15 septembre 2020, sauf bien-sûr si la situation sanitaire contraint le Gouvernement à le proroger.

Contrats concernés

Le dispositif dérogatoire instauré par l’ordonnance s’applique à la plupart des contrats du tourisme, non seulement ceux qui sont réglementés par le Code du tourisme () mais aussi ceux qui relèvent du droit commun ().

1° Contrats réglementés par le Code du tourisme

Intermédiaires. – L’ordonnance (Ord. n° 2020-315, art. 1er, I, 1°) vise les contrats « mentionnés au II et au 2° du III de l’article L. 211-14 du code du tourisme ». Quels sont les contrats concernés ? L’article L. 211-7 du Code du tourisme (figurant en tête de la section 2 qui comprend l’article L. 211-14) indique qu’il s’agit des contrats par lesquels un intermédiaire (agent de voyages notamment) commercialise des forfaits touristiques ou des services de voyage (sur ces notions, C. tourisme, art. L. 211-2, I et II. – C. Lachièze, Droit du tourisme, préc., n° 82 et s. et n° 191 et s.). Sont exclus cependant, selon le même article L. 211-7, la réservation et la vente de titres de transport sur ligne régulière et la location de meublés saisonniers, ainsi que les forfaits touristiques et les services de voyage « vendus dans le cadre d’une convention générale conclue pour le voyage d’affaires ». L’ordonnance n’évoque pas la prestation de voyage liée ; celle-ci n’entre pas dans le domaine d’application du dispositif sauf lorsque le professionnel a manqué à son obligation d’information envers le client (sur la prestation de voyage liée, V. C. Lachièze, Droit du tourisme, préc., n° 197 et s.).

2° Contrats relevant du droit commun

Prestataires. – L’ordonnance (Ord. n° 2020-315, art. 1er, I, 2°) vise les contrats « portant sur les services, mentionnés au 2°, au 3° et au 4° du I de l’article L. 211-2 [du Code du tourisme], vendus par des personnes physiques ou morales produisant elles-mêmes ces services ». Les contrats concernés sont ceux par lesquels un prestataire commercialise des services portant sur l’hébergement non résidentiel, la location de voitures particulières ou tout autre service de voyage qu’il « produit » lui-même (comprenez : qu’il exécute lui-même). Ces contrats relèvent du droit commun et notamment des articles 1218 et 1229 du Code civil s’agissant de la force majeure. En revanche, les contrats portant sur le transport de passagers sont exclus de l’application du dispositif instauré par l’ordonnance. Cette exclusion s’explique par le fait que ces contrats sont réglementés par le droit international et le droit de l’Union européenne (V. not. PE et Cons. UE, règl. n° 261/2004, 11 févr. 2004 : JOUE n° L 46, 17 févr. 2004, p. 1).

L’ordonnance (Ord. n° 2020-315, art. 1er, I, 3°) vise également les contrats portant sur des prestations assurées par des associations, notamment celles organisant sur le territoire national des séjours de mineurs à caractère éducatif dans le cadre de l’article L. 227-4 du Code de l’action sociale et des familles.

Clients finaux. – Reste une question, qui est importante. L’ordonnance prévoit que le dispositif s’applique à l’égard des « clients » sans plus de précision, or ce terme peut désigner les « clients finaux » (les voyageurs) mais aussi les « clients intermédiaires » (par exemple, les agents de voyages qui louent des chambres d’hôtel pour les intégrer dans des forfaits touristiques qui seront vendus à des voyageurs). par exemple, les agents de voyages). Il nous semble ici encore que le texte appelle une interprétation stricte, ce qui conduit à réserver l’application du dispositif aux seuls « clients finaux ».

 

Lire aussi : « Covid-19 : un dispositif exceptionnel pour aider les professionnels du tourisme – contenu du dispositif »

 

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