Par Christophe Lachièze, professeur de droit privé à l’Université Paris 8

Points-Clés

  • Le secteur du tourisme est durement touché par les conséquences de l’épidémie de covid-19
  • Afin de venir en aide aux professionnels, l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 instaure un dispositif dérogatoire temporaire concernant les effets de la résolution des contrats

Le dispositif instauré par l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure ne concerne pas les conditions de la résolution des contrats, mais seulement ses effets et plus précisément les restitutions dues par les professionnels.

Par dérogation aux dispositions du droit du tourisme (C. tourisme, art. L 211-14) et du droit commun (C. civ., art. 1218 et 1229), le professionnel a la possibilité d’imposer au client une phase préalable de négociation dont l’objectif est de permettre la conclusion d’un nouveau contrat portant sur une prestation identique ou équivalente à celle du contrat résolu. La procédure se décompose en trois étapes : le professionnel attribue un avoir au client (A) puis lui propose une prestation de remplacement (B) que celui-ci peut accepter ou refuser (C).

A. – Délivrance d’un avoir en lieu et place du remboursement

L’ordonnance (Ord. n° 2020-315, art. 1er, II) prévoit que le professionnel « peut proposer, à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir ». La délivrance d’un avoir a pour effet immédiat de suspendre l’obligation de restitution qui pèse sur le professionnel. C’est l’objectif essentiel de l’ordonnance : offrir un délai aux professionnels confrontés à un très grand nombre de demandes de remboursement en raison de l’épidémie de covid-19.

Pour le professionnel, la délivrance d’un avoir est une simple faculté : il a parfaitement le droit de rembourser immédiatement le client. Le client, en revanche, n’a aucun choix à ce stade : en dépit de la formulation du texte, l’avoir n’est pas proposé mais imposé au client.

Le montant de l’avoir délivré au client est égal à celui de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu (Ord. n° 2020-315, art. 1er, III, al. 1er), ce qui signifie que si le client n’a versé qu’une partie du prix du voyage lorsque le contrat est résolu, il ne peut être tenu de payer le solde. Le professionnel conférant un avoir au client l’en informe sur un support durable (notion définie : C. tourisme, art. L. 211-2, V, 2°) au plus tard 30 jours après la résolution du contrat ou, si le contrat a été résolu avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance (27 mars 2020), au plus tard 30 jours après cette date d’entrée en vigueur (Ord. n° 2020-315, art. 1er, III, al. 2). Aucune sanction n’est prévue en cas de manquement à cette obligation d’information. Le professionnel pourrait être regardé comme ayant renoncé à se prévaloir du dispositif dérogatoire de sorte que le client retrouverait la faculté de solliciter un remboursement immédiat.

Enfin, l’ordonnance (Ord. n° 2020-315, art. 1er, III, al. 3) prévoit que la garantie financière des agents de voyages et autres opérateurs de la vente de voyages et de séjours qui couvrait le contrat initial s’il s’agissait d’un contrat relevant du Code du tourisme (sur la délimitation de ces contrats, V. ci-dessus I, B, 1°) couvrira également l’avoir octroyé à la suite de la résolution de ce contrat, ainsi que le contrat de remplacement s’il s’agit également d’un contrat relevant du Code du tourisme.

B. – Proposition d’une prestation de remplacement

Le professionnel doit proposer une nouvelle prestation au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution (Ord. n° 2020-315, art. 1er, V).

La proposition adressée par le professionnel au client marque le point de départ du délai de validité de l’avoir, qui est de 18 mois (Ord. n° 2020-315, art. 1er, V). Durant cette période, le client ne peut exiger aucun remboursement (Ord. n° 2020-315, art. 1er, III).

Cette proposition doit répondre à un certain nombre de conditions (Ord. n° 2020-315, art. 1er, IV) : elle doit être identique ou équivalente à la prestation prévue par le contrat résolu ; son prix ne doit pas être supérieur à celui de cette prestation ; enfin elle ne doit donner lieu à aucune majoration tarifaire autre que celle que, le cas échéant, le contrat résolu prévoyait. Si le client refuse cette proposition, le professionnel peut lui adresser d’autres propositions mais au même prix. Il est bien précisé que les professionnels ne peuvent proposer une prestation dont le prix est différent qu’« au client qui le leur demande » (Ord. n° 2020-315, art. 1er, VI).

C. – Acceptation ou refus de la proposition par le client

Dans l’hypothèse où le client accepte une prestation de remplacement dans le délai de validité de l’avoir, un nouveau contrat est conclu. L’ordonnance (Ord. n° 2020-315, art. 1er, VI) précise que, lorsque le prix de la prestation de remplacement est différent de celui de la prestation prévue par le contrat résolu (ce qui suppose une demande du client), le prix à acquitter au titre de cette nouvelle prestation « tient compte de l’avoir » ce qui se traduit, suivant le Rapport au Président de République, de la façon suivante : en cas de prestation de qualité et de prix supérieurs, le client doit payer une somme complémentaire ; en cas de prestation d’un montant inférieur au montant de l’avoir, le professionnel conserve le solde de cet avoir qui est utilisable selon les modalités prévues par l’ordonnance jusqu’au terme de la période de validité de l’avoir et sera remboursé s’il n’a pas été utilisé à cette date.

Dans l’hypothèse où le client n’a pas accepté une prestation de remplacement dans le délai de validité de l’avoir, à savoir 18 mois, le professionnel procède au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu (Ord. n° 2020-315, art 1er, VII). Le dispositif aura au moins permis au professionnel de disposer d’un délai avant de rembourser les sommes versées.

Conformément au principe de la liberté contractuelle le client est libre de conclure ou non un nouveau contrat. Traditionnellement les juges sont très réticents à voir dans le refus de s’engager contractuellement un abus de droit et, en dépit des considérations de politique économique et sociale qui animent l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020, on imagine mal la jurisprudence instaurer ici un contrôle de l’abus de droit.

En conclusion, on peut observer que l’ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020 combine rupture et continuité. Elle instaure un dispositif d’exception qui déroge aux règles du droit du tourisme comme aux règles du droit commun des contrats mais, pour cela, elle met en œuvre les méthodes les plus classiques du droit du tourisme, en ouvrant au professionnel certaines prérogatives exorbitantes et en favorisant autant que possible la négociation entre les parties afin de permettre la poursuite de la relation contractuelle (sur les méthodes du droit du tourisme, V. C. Lachièze, Droit du tourisme, préc., n° 31 et s.). Au cœur de la tourmente, l’ordonnance reste fidèle aux principes du droit du tourisme.

 

Lire aussi : « Covid-19 : un dispositif exceptionnel pour aider les professionnels du tourisme – domaine d’application »

 

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