Par Dominique Perben, ancien garde des Sceaux, avocat au barreau de Paris, Betto Perben Pradel Filhol, expert du Club des juristes

La crise du coronavirus, loin d’être un précédent dans l’histoire de nos sociétés, nous a rappelé – et à juste titre – que nous appartenons à un monde où la notion de risque ne doit pas être envisagée comme un simple accident.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la pacification de l’Occident, sa reconstruction politique et économique – notamment pour l’Europe – nous ont amenés à envisager un monde régulé où technologie et progrès médical permettaient à chacun d’aspirer à une vie sans crainte majeure. La vague du Covid-19, au-delà de ses conséquences sanitaires dramatiques, remet aujourd’hui en question une partie de nos certitudes passées.

Boîte de Pandore

La crise sanitaire mondiale du Covid-19 est, à ce titre, une surprise stratégique à part entière. Elle met au défi les États, les sociétés, nos modèles économiques et nos modes de vie. La soudaineté et la célérité avec laquelle cette crise a frappé le monde ont pris au dépourvu nombre d’États, y compris ceux parmi les plus développés au monde.

La pandémie de Covid-19, telle la boîte de Pandore, n’a livré qu’une partie des conséquences auxquelles nos sociétés vont être confrontées. La stabilité économique, sociale, politique et sécuritaire de certains États dans le monde y compris en France et en Europe seront au cœur des enjeux de l’après-Covid-19. Face à cette éventualité, nous devons aller au-delà de la simple riposte sectorielle et renouer avec l’esprit d’une vision politique anticipatrice et innovante comme fil conducteur.

Dans l’histoire récente, nous avons déjà été confrontés à des situations de crise majeures – certes de nature différente – mais qui ont nécessité de notre part une adaptation rapide et novatrice pour préserver les intérêts de notre pays. L’exemple des chocs pétroliers ou bien celui de la crise financière de 2008 sont d’ailleurs là pour témoigner de notre capacité à embrasser la complexité, lorsque celle-ci touche aux intérêts fondamentaux de notre pays.

Libérer et rassurer

Jean-Pierre Chevènement a évoqué, à l’occasion d’une tribune récente, le besoin d’un retour de l’État stratège et de l’inscription des actions de l’État dans le temps long, je souscris pleinement à ce constat. J’ajouterai, toutefois, que si l’État doit rester le pivot de notre société du fait de sa capacité à incarner le rôle de garant et de protecteur de notre mode de vie, il doit également être le facilitateur de la libération des énergies au service de la reconstruction de notre pays.

Les circonstances exceptionnelles que nous traversons exigent – comme le souligne à juste titre le président de la République – une capacité de réinvention de l’État dans son organisation et ses modes d’action : c’est-à-dire de gagner en efficacité, en proximité, en lisibilité, sans pour autant remettre en cause les missions fondamentales de l’État.

En termes concrets, il nous faut tendre vers un modèle qui nous permette de concilier une capacité à libérer les énergies et une capacité à rassurer nos concitoyens, afin d’être en mesure de répondre aux défis présents et futurs auxquels la France doit faire face.

Pour la France et l’Europe, le Covid-19 est, certes, un moment de doute, de questionnement sur la force de nos sociétés ; mais il peut être aussi celui de la renaissance d’une ambition (politique, sociale, environnementale, industrielle, etc.).

Grands chantiers

La France comme l’Europe, de manière générale, disposent de nombreux atouts (industriels, scientifiques, économique, culturels, militaires, etc.) qui peuvent nous permettre de jouer un rôle majeur dans un monde post-Covid-19 ; et de proposer une voie alternative à celle que pourraient dessiner les deux grands que sont les États-Unis et la Chine.

Pour tendre vers cette ambition, il nous faut aller vers un diagnostic sans concession de l’état des forces et faiblesses de nos sociétés, et construire sur cette base des projets nationaux et européens d’ampleur. La crise du Covid-19 est en soi un pari sur le devenir de notre société : c’est pourquoi nous devons collectivement croire en nous et en notre avenir.

Les chantiers qui s’annoncent pour la France et l’Europe sont nombreux : du recouvrement de l’autonomie stratégique, en passant par la réindustrialisation de notre pays, de la mise en œuvre d’un continuum numérique sur l’ensemble de nos territoires ou de l’émergence d’une ambition économique verte et solidaire, chacun de ces sujets et bien d’autres encore sont autant de voies qui peuvent contribuer à la redynamisation de notre société.

Le plus grand défi pour les États, après la crise que nous venons de traverser, sera de proposer à nos concitoyens un cap précis et fédérateur qui puisse à la fois rassurer sur le temps présent et faciliter l’appréhension du futur notamment pour les jeunes générations, telle une passerelle entre le monde d’avant et le monde d’après.

Tribune initialement publiée sur le site des Echos.

 

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