Par Thibaut Fleury-Graff, Professeur de droit international à l’Université de Versailles (Paris Saclay)

Un État peut-il adopter unilatéralement des « sanctions » contre un autre État ?

Comme nous l’avons expliqué dans un précédent billet, les recours juridictionnels contre la Chine du fait de la violation de certaines de ses obligations internationales dans le cadre de pandémie actuelle sont peu probables. La voie de ce que l’on appelle habituellement les « sanctions » est donc la plus probable, et elle est d’ores et déjà évoquée par certains États, au premier rang desquels les États-Unis. Le recours aux sanctions est à la fois classique et fréquent dans les relations internationales : l’UE et les USA ont, par exemple, adopté de telles sanctions à l’encontre de la Russie du fait de l’annexion de la Crimée. Les sanctions des États-Unis contre l’Iran sont également bien connues.

Il faut toutefois distinguer, pour être précis, deux types de mesures qui peuvent être adoptées, même si le terme de « sanction » est souvent le seul retenu. En droit international, les « sanctions » désignent, à la rigueur du terme, les mesures que peuvent adopter certaines Organisations internationales à l’encontre de leurs membres – telles que celles que peut adopter, en vertu de l’article 41 de la Charte, le Conseil de Sécurité des Nations Unies afin de maintenir ou rétablir la paix internationale : sanctions commerciales, restrictions financières, embargos, etc. Mais les « sanctions » auxquelles la Chine pourrait faire face en l’espèce sont plutôt ce que l’on appelle des « contre-mesures » – même si, encore une fois, les termes sont souvent confondus. Il s’agit de mesures adoptées unilatéralement par un ou plusieurs États contre un autre État, du fait des violations du droit international commise par celui-ci. Leur spécificité est de pouvoir constituer elle-même des violations du droit international. Le droit de la responsabilité internationale de l’État dispose en effet que « l’illicéité du fait d’un État (…) à l’égard d’un autre État est exclue si, et dans la mesure où, ce fait constitue une contre-mesure prise à l’encontre de cet autre État (…) » (art. 22 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite).

Quelles sont les conditions de licéité de ces « sanctions » ?

Un État n’est pas libre d’adopter toute mesure illicite au seul prétexte qu’il répondrait ce faisant à une première violation. On peut identifier, pour simplifier, trois conditions principales à la licéité de ces contre-mesures :

  1.  l’État qui souhaite adopter de telles mesures doit établir une première violation. Il lui appartient de démontrer que l’État visé par la mesure a manqué à ses obligations internationales ;
  2. Les contre-mesures « doivent être proportionnées au préjudice subi, compte de la gravité du fait internationalement illicite et des droits en cause » (art. 51 des Articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite) ;
  3. Enfin, certaines contre-mesures sont interdites : tel est le cas des représailles – c’est-à-dire de la riposte armée, interdite par la Charte des Nations Unies, sauf s’il s’agit de repousser, au titre de la légitime défense, une agression armée – mais également des mesures qui violeraient les droits fondamentaux de l’homme ou les normes impératives (interdiction de la torture ou de l’esclavage, notamment) du droit international (Art. 50).

On notera enfin que certains régimes internationaux spécifiques interdisent le recours aux contre-mesures lorsqu’une violation de ce régime est alléguée. Tel est le cas notamment dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce : en vertu du Mémorandum d’Accord sur le règlement des différends (art. 23.1), les États parties s’engagent à recourir à l’Organe de règlement des différends mis en place dans le cadre de l’organisation en cas d’allégation de violation des règles de l’OMC.

En l’espèce, quelles « sanctions » pourraient-elles être adoptées contre la Chine ?

Il est exclu en l’espèce que le Conseil de Sécurité adopte des sanctions contre la Chine : en tant que membre permanent de cet organe, la Chine y opposerait son véto. Qui plus est, l’OMS n’a pas été dotée par ses membres d’un pouvoir de sanctions : elle ne pourra pas agir sur ce terrain. Reste donc la voie des contre-mesures. Celles-ci pourront prendre la forme de mesures économiques – restrictions aux exportations vers la Chine ou aux importations en provenance de celle-ci, rétablissement ou hausse de tarifs douaniers… – ou financières – gels ou saisies d’avoirs notamment. Elles peuvent également consister en des restrictions à la circulation des personnes, telles que des interdictions de territoire pour certains responsables politiques ou hommes d’affaires chinois. Les États optent en effet, dans la plupart des cas, pour une panoplie de mesures, destinées tant à « punir » l’État qu’à réparer les conséquences des faits illicites commis. La seule façon pour la Chine d’échapper à de telles mesures est donc désormais de démontrer qu’elle n’a commis aucun fait illicite : elle s’y emploie activement, avec un succès qui risque cependant d’être limité.

 

Lire aussi : « Covid-19 et droit international : la Chine peut-elle être tenue juridiquement responsable de la crise sanitaire ? »

 

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