Par Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit international à l’Université de Versailles (Paris Saclay)

Quelles sont les obligations internationales des États en matière de santé publique ?

Elles sont nombreuses, et figurent dans divers instruments internationaux, dont on ne peut évoquer ici que les principaux. Le Pacte international sur les droits civils et politiques (1966) garantit, de manière très générale, dans son article 6, le « droit à la vie ». Le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels, adopté la même année (1966), est pour sa part beaucoup plus précis, qui contraint notamment les États à prendre les mesures nécessaires pour assurer « la prophylaxie et la traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies » (art. 12§2). En outre, la « Constitution de l’Organisation mondiale de la santé » (1946) – qui, en dépit de son nom, est un traité international – impose à chaque État membre de l’organisation de transmettre des « rapports » relatifs aux « progrès réalisés pour améliorer la santé de sa population » et aux « mesures prises en exécution des recommandations que l’Organisation lui aura faites ». (Art. 61 et 62).

Enfin – et surtout dans le cadre de la crise actuelle – le Règlement sanitaire international (RSI), adopté en 1951 mais dont la dernière version date de 2005, impose aux États membres de l’OMS de très nombreuses obligations afin de « prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux » (Art. 2). Ces obligations sont, notamment, des obligations de surveillance et de notification de « tout événement survenu sur son territoire pouvant constituer une urgence de santé publique de portée internationale » (Art. 6§1).

La Chine est-elle tenue par ces obligations et les a-t-elle violées ?

La responsabilité d’un État ne peut être engagée que s’il a commis un fait internationalement illicite. Puisque le droit international n’oblige que ceux qui y consentent, cela oblige à vérifier d’abord si la Chine est tenue par les obligations qui viennent d’être décrites, avant de s’interroger sur leur éventuelle violation.

En l’espèce, la Chine a signé le Pacte sur les droits civils et politiques en 1998, mais ne l’a jamais ratifié : elle n’est donc pas tenue par les obligations qu’il contient. Elle a, cependant, signé le Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels en 1997 et l’a ratifié en 2001 : elle se doit par conséquent de le respecter, de même que la Constitution de l’OMS et le Règlement sanitaire international, puisqu’elle est membre de l’Organisation depuis sa création en 1946.

Il apparaît en outre assez manifeste que la Chine a violé les obligations contenues dans ces instruments. Les mesures prises pour lutter contre la maladie ont été inexistantes dans un premier temps – elles ont plutôt consisté à faire taire les premières alertes – et la notification de l’épidémie à l’OMS, le 31 décembre 2019, soit plusieurs mois, semble-t-il, après les premiers cas, a été trop tardive. Ce n’est pas à dire que la Chine soit la seule responsable, mais elle l’est pour sa part assez certainement au regard des informations aujourd’hui disponibles.

Comment la responsabilité de la Chine pourrait-elle être engagée ?

Sur le fondement des instruments qui ont été évoqués jusqu’à présent, trois possibilités principales d’engagement de la responsabilité de la Chine sont théoriquement envisageables : la voie juridictionnelle internationale, la voie juridictionnelle interne ou, enfin, certaines options non-juridictionnelles. Les dernières sont les plus probables.

Les voies juridictionnelles, internationales ou internes, sont assez certainement vouées à l’échec, pour deux raisons : d’une part, la Chine ne reconnaît pas la compétence de la Cour internationale de Justice, ce qui exclut la compétence de celle-ci ; d’autre part, si une action devait être intentée devant des juridictions internes hors de la Chine, comme cela est déjà le cas au Missouri, elle se heurterait à l’immunité de juridiction dont jouissent les États sur le fondement de la coutume internationale. Reste donc la voie non-juridictionnelle, qui peut prendre elle-même plusieurs formes : si des sanctions du Conseil de Sécurité sont hors de propos puisque la Chine dispose, en sa qualité de membre permanent, d’un droit de véto, il est possible aux États d’adopter, de manière unilatérale, des sanctions – économiques notamment – visant l’État auquel une violation du droit international est imputable. Ce sont de telles sanctions qui ont été adoptées, par exemple, par les USA et l’Union européenne après l’annexion de la Crimée par la Russie, et qui pourraient donc être adoptées contre la Chine suite à la pandémie actuelle.

 

Lire aussi : « Covid-19 et droit international : quelles « sanctions » contre la Chine (suite et fin) ? »

 

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