Par Jérôme Herbet, avocat associé, cabinet Winston & Strawn

L’épidémie de coronavirus peut-elle constituer un changement ou un événement défavorable significatif (material adverse change/material adverse event) ? La question est évidemment au centre des préoccupations de tous ceux que l’épidémie de coronavirus a surpris, alors qu’ils étaient engagés dans une opération dont le principe avait été arrêté, mais dont la réalisation n’était pas intervenue au moment des premières annonces gouvernementales imposant des mesures de confinement, et la fermeture au public d’un certain nombre d’établissements dont l’activité était jugée non essentielle. Déjà, on peut lire que certains deals LBO sont remis en cause par la crise sanitaire en cours. Néanmoins, cette éventuelle remise en cause pourrait également résulter du jeu d’autres mécanismes ou principes juridiques, tels que la force majeure (article 1218 du code civil) ou l’imprévision (article 1195 du code civil), avec lesquels la clause de changement défavorable significatif présente certaines similitudes.

Qu’est ce qu’une MAC clause ?

Les clauses MAC sont nées de la pratique. Elles sont présentes dans la quasi-totalité des contrats soumis au droit anglo-saxon, et ont trouvé leur chemin dans bon nombre de contrats régis par le droit français.

Il est fréquent de trouver par exemple dans les contrats d’acquisition, de fusion ou de financement une clause dite « MAC » ou « MAE » : elle vise à tirer les conséquences d’un risque qui surviendrait entre la signature d’un contrat et la réalisation effective des obligations mises à la charge des parties, en permettant (à l’acquéreur ou au prêteur) soit de renégocier les conditions du contrat, soit le plus souvent d’en sortir (condition résolutoire). Elle peut également constituer une condition suspensive : la réalisation de l’opération sera alors subordonnée à la non-survenance, pendant la période intercalaire, d’un événement de nature à affecter l’économie de l’opération.

En matière de financement, par exemple, un événement défavorable significatif désigne fréquemment tout fait ou évènement, quelle que soit sa nature, cause ou origine affectant immédiatement ou à terme et de façon défavorable et significative la situation financière, juridique, le patrimoine ou l’activité de l’emprunteur ou sa capacité à satisfaire à ses obligations de paiement. La survenance d’un événement défavorable significatif constitue un « cas de défaut », qui a en général pour conséquences (i) la faculté pour le prêteur de rendre la dette exigible par anticipation, (ii) un renchérissement du coût du crédit tant que le cas de défaut demeure et (iii) la faculté pour le prêteur de refuser la mise à disposition d’un nouveau tirage. Dans un contrat d’acquisition, la survenance d’un événement défavorable significatif permet en général à l’acquéreur de ne pas mener à terme l’acquisition.

Il n’existe pas de clause-type en la matière : généralement, la définition de ce que constitue un changement défavorable significatif fait l’objet d’une négociation, tout autant que les conséquences à en tirer. En réalité, deux notions font l’objet d’une discussion : ce que constitue un changement défavorable en soi, et comment en apprécier le caractère significatif par ailleurs.

Au plan conceptuel, un changement défavorable significatif n’est pas très éloigné de la notion de « circonstance imprévisible » décrite à l’article 1195 du code civil. En cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat, qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. La conséquence n’est toutefois pas nécessairement la même. Le jeu de la clause MAC a le plus souvent pour objet de justifier la non-réalisation de l’obligation principale (acquisition ou mise à disposition des fonds), alors que le mécanisme de l’imprévision vise d’abord à permettre une renégociation contractuelle. Ce n’est qu’en cas de refus ou d’échec de la renégociation, que les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

L’introduction, dans le code civil, de l’article 1195 et de la théorie de l’imprévision qu’il illustre est récente, puisqu’elle résulte de la réforme du droit des obligations, issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La pratique avait donc, par le jeu des clauses MAC, déjà défini un cadre contractuel permettant de tirer les conséquences d’un changement de circonstances. Or, les dispositions de l’article 1195 du code civil n’étant pas d’ordre public, les parties à un contrat sont libres de les écarter, pour leur préférer le jeu des clauses MAC, dont les contours peuvent être plus précis, ou mieux adaptés à l’objet du contrat.

L’épidémie de Coronavirus est-elle susceptible de constituer un Material adverse change ?

Le droit des contrats français repose sur un principe essentiel : les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Les contrats déterminent les contours des obligations des parties, et s’interprètent à la lumière de leur commune intention.  Une clause MAC repose sur la survenance (ou non) d’un changement imprévu des parties au moment de leurs négociations. Cette condition est commune au mécanisme de l’imprévision (qui suppose un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat) et à la force majeure (qui suppose un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat).

Pour savoir si l’épidémie de Coronavirus est susceptible de constituer un material adverse change, il faut donc analyser en quoi elle constitue un événement imprévu au moment où les parties ont contracté. Il s’agit d’une question factuelle à laquelle la réponse n’est pas nécessairement aussi évidente qu’il n’y paraît. A quel moment les parties pouvaient-elles (raisonnablement) s’attendre à ce qu’une épidémie apparaisse : la maladie est apparue en Chine en novembre-décembre 2019, les autorités chinoises ont placé la ville de Wuhan en quarantaine fin janvier 2020 et l’OMS l’a officiellement reconnu comme épidémie le 30 janvier 2020, mais les premières prises de position officielles de l’OMS au sujet du Coronavirus étaient antérieures à cette date, le gouvernement français n’a imposé des mesures exceptionnelles qu’à partir du 14 mars 2020 et l’état d’urgence sanitaire déclaré le 24 mars 2020… Par rapport à ce calendrier, à quelle date les parties ont-elles contracté ?

Par ailleurs, la clause MAC intègre un critère de matérialité : l’évènement imprévu doit avoir (ou être susceptible d’avoir) des conséquences défavorables significatives. Ici encore, il s’agira d’une question factuelle au regard du secteur d’activité de l’entreprise concernée, de son organisation, de la typologie de ses fournisseurs, etc.

Comme toute clause contractuelle, la mise en œuvre d’une clause MAC dépendra de la façon dont elle aura été rédigée et pourra s’avérer délicate, car il n’est pas rare que les conditions mêmes de son déclenchement n’aient pas été suffisamment précisées. La question du seuil ou des conditions qui justifient qu’un événement donné puisse être qualifié de significatif peut avoir été laissée en suspens. Ou les parties auront souhaité lui donner une certaine objectivité par référence à un critère financier. En règle générale, la clause MAC est construite de telle sorte que des événements « macroéconomiques » soient exclus. On raisonne davantage en termes « microéconomiques » et sont visés les événements affectant immédiatement et directement la cible (en cas d’acquisition) ou l’emprunteur (en cas de prêt).

Dès lors, rares sont les clauses MAC dont la rédaction permettra d’interpréter l’épidémie de coronavirus comme un événement défavorable significatif, en tant que tel. En revanche, les conséquences de l’épidémie de coronavirus pour une société donnée, compte-tenu de son activité, pourraient justifier le jeu d’une clause MAC.

Ainsi, les mesures décidées par le gouvernement en matière d’urgence sanitaire pourraient avoir pour conséquence de priver certains emprunteurs de chiffre d’affaires pour les semaines à venir, et obérer leur capacité à faire face à leurs remboursements. Les mêmes causes pourraient avoir des conséquences identiques sur les opérations d’acquisition en cours avant les mesures restrictives prises par le gouvernement, un acheteur pouvant décider de ne pas donner suite au vu des conséquences financières pour une cible des mesures gouvernementales.

Doit-on s’attendre à un développement du contentieux autour des clauses MAC ?

Par le passé, d’autres événements tels que les attentats de septembre 2001, la crise de 2008, ou d’autres épidémies ont eu des conséquences similaires à celles que nous connaissons.

A notre connaissance, il ne semble pas que les clauses MAC aient donné lieu en France à un important contentieux en France. C’est davantage la question de la force majeure qui a été analysée par les tribunaux. L’apparition de certains virus, notamment le virus H1N1 et la dengue, n’ayant pas été qualifiée de cas de force majeure par la jurisprudence française (Cour d’appel de Besançon, 8 janvier 2014, n°12/02291 ; Cour d’appel de Nancy, 22 novembre 2010, n°09/00003), notamment car la condition tenant au caractère imprévisible du phénomène ne se trouvait pas remplie (l’épidémie se développant lentement, on la voit venir et il peut être possible de s’adapter pour en minimiser les conséquences).

Au cas présent, cependant, les mesures prises par le gouvernement sont sans précédent, et entraînent des conséquences macroéconomiques autrement plus importantes que celles que d’autres épidémies que nous avons connues. Il est donc probable qu’une augmentation du contentieux autour du jeu des clauses MAC interviendra, avec sans doute pour thème central la question de savoir dans quelle mesure l’épidémie de coronavirus, apparue dès fin novembre 2019 en Chine, revêt le caractère imprévisible qui est au fondement de la clause MAC.

Aux Etats-Unis, la présence d’une clause MAC dans les opérations d’acquisition est courante, mais jusqu’à une décision Akorn vs. Fresenius rendue en 2018, la jurisprudence n’avait jamais affirmé qu’un acquéreur était en droit de ne pas donner suite à une opération en se fondant sur le jeu d’une telle clause. Elle avait plutôt décidé que l’opération devait se faire, nonobstant l’existence d’un événement défavorable significatif, mais à des conditions financières revues à la baisse. Akorn vs. Fresenius a marqué un tournant jurisprudentiel, qui pourrait ouvrir la voie à d’autres dans le contexte actuel.

 

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