Par Adrien Giraud, avocat associé, Latham & Watkins

Outres son impact sanitaire, la pandémie liée au Covid-19 produit des effets dévastateurs sur des pans entiers de l’économie européenne. En effet, les mesures prises par les pouvoirs publics pour endiguer la propagation du virus ont un impact direct sur de nombreux secteurs de l’économie : le spectacle (annulations, etc.), la restauration/hôtellerie et le commerce du rue en général (fermetures administratives), le transport aérien (travel ban américain et désormais européen), etc. De nombreux autres secteurs sont atteints au moins indirectement, ne serait-ce que par la baisse de consommation liée aux mesures de confinement.

Pour protéger les entreprises contre les effets néfastes de leurs propres mesures sanitaires, les pouvoirs publics européens élaborent de nombreuses mesures de soutien à l’économie. En France, notamment, l’ambition est forte – « quoi qu’il en coûte » est le maître mot – et, de fait, les moyens employés sont importants (un paquet de pas moins de 45 milliards d’euros a déjà été prévu, accompagné de garanties de prêts pour un montant de 300 milliards d’euros). Parmi la longue liste de mesures annoncées figurent notamment l’octroi de délais de paiement d’échéances sociales ou fiscales (URSSAF, impôts directs), des remises d’impôt au cas par cas, un report du paiement de certaines factures pour les plus petites entreprises en difficulté, une aide de 1 500 euros pour les indépendants, la prise en charge par l’État du coût lié au chômage partiel etc.

Les États peuvent-ils réellement « tout » mettre en œuvre pour sauver les entreprises ?

L’ampleur et la diversité de mesures annoncées par Bercy (ainsi que divers autres ministères de l’économie européens – Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie notamment) pourraient faire penser que les États membres sont juridiquement libres d’intervenir comme bon leur semble au soutien de leur économie. Tel n’est pas le cas, bien au contraire. Les articles 107 et suivants du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisent précisément ce type de mesures (les fameuses « aides d’État »), sauf à ce qu’elles fassent l’objet d’une notification auprès de la Commission européenne qui doit alors donner son feu vert avant que la mesure puisse être mise en œuvre.

Certes, la Commission dispose d’une large marge de manœuvre pour accepter les aides d’État, ce dont elle a déjà fait preuve en 2008 non seulement en se montrant extrêmement réactive (des autorisations pouvaient être délivrées le jour même là où, en temps normal, plusieurs mois auraient été nécessaires), mais également en se montrant prête à adapter les règles afin de laisser passer les mesures imposées par la crise. Tout suggère en l’espèce que la Commission n’a aucune intention de faire obstacle aux mesures d’ores et déjà annoncées par les États membres : un régime d’aide danois a été autorisé en à peine 24 heures et la Commission vient de publier un « encadrement temporaire » « afin de permettre aux États membres d’exploiter pleinement la flexibilité prévue par les règles en matière d’aides d’État pour soutenir l’économie dans le contexte de la flambée (sic) de COVID-19 ».

Quelles sont les modalités nouvelles d’utilisation des aides d’État aux yeux de la Commission européenne ?

La Commission indique que certaines mesures échappent totalement à son contrôle (les mesures applicables à toutes les entreprises du territoire sans exception, comme par exemple les délais de paiement, le soutien au chômage partiel, etc.). Par ailleurs, les États peuvent indemniser les entreprises affectées directement par la crise sanitaire, comme par exemple le secteur HORECA, touristique, le commerce de détail, etc. ; ici, une notification à la Commission sera nécessaire et cette dernière s’attachera notamment à vérifier que les entreprises visées ont bien été directement affectées par la crise sanitaire et que l’aide octroyée n’excède pas le montant de l’impact subi (critère de proportionnalité). L’encadrement prévoit enfin la possibilité temporaire (jusqu’à fin 2020) d’aider sous diverses formes (subventions, avances, crédits d’impôts, garanties etc.) des entreprises n’ayant subi qu’un impact indirect, moyennant encore une fois une notification préalable, ainsi que le respect de divers critères, notamment un montant plafonné.

La Commission a donc clairement la volonté de faciliter autant que possible les mesures d’aides prises par les États membres. Elle n’a pas pour autant renoncé à ses prérogatives. D’abord, elle s’assurera que les dossiers le nécessitant lui soient notifiés en bonne et due forme ; elle vérifiera également si cela est pertinent que le bénéficiaire de l’aide a bien été directement impacté par la pandémie. Elle s’assurera notamment que toute nationalisation annoncée est bien liée à la crise sanitaire et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte au sauvetage d’une entreprise en difficultés depuis des années.

Les bénéficiaires des mesures étatiques annoncées ont tout intérêt à s’assurer que les règles ont été respectées par leur État membre s’ils veulent éviter toute contestation ultérieure qui pourrait aboutir à leur imposer, des années plus tard, le remboursement de l’aide illégale perçue. Les bénéficiaires doivent être d’autant plus vigilants que ce décalage dans le temps entre octroi de la mesure et obligation de remboursement fait que l’intérêt des pouvoirs publics n’est pas forcément aligné avec le leur ; pour reprendre une expression de l’un de mes professeurs à propos du cautionnement, « l’aide d’État s’octroie dans la joie et se résout dans les larmes ».

A lire sur ce sujet : La flexibilité du droit des aides d’État « dans le contexte actuel de la flambée du COVID-19 », par Francesco Martucci, professeur à l’Université Panthéon-Assas, et Claire Vannini, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

[vcex_button url= »https://www.leclubdesjuristes.com/newsletter/ » title= »Abonnement à la newsletter » style= »flat » align= »center » color= »black » size= »medium » target= » rel= »none »]S’abonner à la newsletter du Club des juristes[/vcex_button]