Par Joanna Peltzman, avocate associée, cabinet DS Avocats

Depuis plusieurs semaines, la France est entrée en lutte active contre le coronavirus. À côté des mesures sanitaires, le Gouvernement a adopté différents textes dans l’urgence afin de mettre un terme à la spéculation autour des produits de santé stratégiques et limiter le déplacement des français.

Certaines de ces mesures inédites interrogent sur le régime juridique qui leur est applicable.

Quelles mesures ont été adoptées par le Gouvernement pour lutter contre la spéculation de produits de santé ?

Première mesure d’une longue série, le 4 mars 2020 a été publié au Journal Officiel un décret relatif à la réquisition par le gouvernement des stocks de masques de protection (FFP2 et masques anti-projection) détenus par toute personne morale de droit public ou de droit privé. Le texte vise notamment à assurer un accès prioritaire aux professionnels de santé et aux patients atteints par le Covid-19.

La pratique de réquisition n’est pas nouvelle. C’est un procédé de contrainte attribué par des textes spécifiques à des autorités administratives (maires, préfets, etc.) les autorisant de manière exorbitante à obtenir de manière forcée des prestations de biens et services. La réquisition est nécessairement temporaire et c’est en cela qu’elle se distingue de l’expropriation.

En droit français, la réquisition apparaît dans une loi de 1877 qui est aujourd’hui codifiée dans le code de la défense. L’exemple le plus connu de réquisition de biens mobiliers est celui des «taxis de la Marne», réquisitionnés en septembre 1914.

En matière sanitaire, c’est la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grandes ampleurs qui octroie à l’administration les moyens d’action et notamment la possibilité de réquisitionner des biens ou mettre en place une réserve sanitaire. Cette loi a été votée dans le contexte de menaces sanitaires telles que la grippe aviaire et l’apparition du Chikungunya.

Une lecture des travaux parlementaires de la loi de 2007 permet de définir l’urgence sanitaire comme « une situation de menace grave pour la santé de la population qui appelle des mesures immédiates et des moyens exceptionnels ». Les mesures qui peuvent être adoptées en cas d’urgence sanitaire doivent permettre une intervention rapide face à une crise dont on ne sait ni combien de temps elle va durer ni comment elle va évoluer. Ces mesures sont codifiées dans le code de la santé publique aux articles L. 3131-1 et suivants.

La question de l’indemnisation de ces réquisitions est traitée dans le code de la défense aux articles L.2234-1 et suivants.

Concernant le « gel » des prix des gels hydro-alcooliques, l’article L.410-2 du code de commerce, pose le principe de la liberté des prix. Son troisième aliéna dispose toutefois que ce principe ne fait « pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois ». Telles sont donc les dispositions dont fait application le décret du 5 mars 2020 récemment publié au Journal officiel. Ce décret tend à corriger une situation manifestement anormale du marché dans un contexte de spéculation excessive.

Par ailleurs, un arrêté en date du 7 mars dernier est venu autoriser les pharmacies à préparer des solutions hydro-alcooliques jusqu’au 31 mai 2020.

Enfin, l’Agence nationale de sécurité du médicament a décidé le 18 mars 2020 de limiter la vente de boite de paracétamol dans les pharmacies.

Ses mesures, pour louables qu’elles soient, posent nécessairement la question du cadre territorial de la gestion de la pandémie. La France a certes pris des mesures mais force est de constater que la clause de solidarité qui fait l’objet de l’article 222 du Traité européen ne se réfère pas aux urgences sanitaires et que la crise devient également économique et sociale.

Quelles sont les autres dispositions exceptionnelles qui ont été prises en France pour garantir l’accès aux soins de la population ?

Les conditions de recours à la téléconsultation, telles que prévues à l’article L.6316-1 du code de la santé publique, ont été assouplies par le décret publié le 10 mars 2020 au Journal officiel. Désormais et jusqu’au 30 avril, la téléconsultation est possible même si le patient n’est pas orienté par son médecin traitant et si même s’il n’est pas connu du téléconsultant.

Par ailleurs, les « professionnels de santé assurant la prise en charge par télésanté des patients suspectés d’infection ou reconnus Covid-19 [peuvent recourir] à des outils numériques respectant la politique générale de sécurité des systèmes d’information en santé et la réglementation relative à l’hébergement des données de santé ou, pour faire face à la crise sanitaire, à tout autre outil numérique ».

C’est cette alternative en dernière partie de phrase qui interroge voire inquiète notamment au regard de la protection des données de santé des patients qui circuleront via désormais via les applications telles FaceTime ou WhatsApp qui appartiennent aux GAFAM…

Qu’en est-il des mesures de confinement récemment adoptées et de l’état d’urgence sanitaire ?

A l’heure où ses questions sont posées, le décret du 16 mars 2020, portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid-19 a été publié et interdit jusqu’au 31 mars le déplacement de toute personne hors de son domicile sauf motifs limitativement prévus par le décret.

L’inobservation du décret fait l’objet d’une amende dont le montant a été porté à 135 euros soit le montant applicable aux contraventions de quatrième classe.

Par ailleurs, le Sénat a adopté en première lecture un projet de loi instaurant un « état d’urgence sanitaire » permettant de « fonder toute mesure réglementaire ou individuelle limitant certaines libertés afin de lutter contre l’épidémie ».

Ce projet de loi relatif à l’urgence sanitaire vient remplacer le cadre juridique des « circonstances exceptionnelles », circonstances qui, depuis le célèbre arrêt du Conseil d’État Dame Dol et Laurent de 1919 permettaient à l’administration, sous contrôle du juge, de déroger à la légalité ordinaire afin d’assurer la continuité du service public.

Ce sont ces circonstances exceptionnelles qui ont permis l’adoption du décret du 16 mars 2020 pris par le Premier ministre sur le fondement de ses pouvoirs de police générale et qui ont permis l’adoption des arrêtés spécifiques pris par le Ministre de la Santé sur le fondement des articles L. 3131-1 et suivants du code de la santé publique.

L’état d’urgence sanitaire est aujourd’hui devenu le cadre spécifique qui servira de fondement juridique aux mesures de police administrative nécessaires à la gestion de la crise sanitaire que nous traversons.

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