Par Xavier Bioy – Vice-doyen de la Faculté de droit de Toulouse – Codirecteur du Master éthique du soin et de la recherche – Vice-Président du conseil d’orientation de l’Espace Régional d’Éthique Occitanie
Le 9 décembre, la Convention citoyenne sur la fin de vie, organisée, par le Conseil économique, social et environnemental, à la demande du président de la République, a commencé ses travaux par une « phase d’appropriation et de rencontres » qui cherche à y voir clair dans l’état du droit. La confusion règne pourtant en utilisant des mots ambigus comme « fin de vie », « euthanasie », « aide active (médicale ou non) à mourir »…

Le cadre juridique actuel est-il adapté aux différentes situations de fin de vie ?

La loi « Leonetti-Claeys », de 2016, actuellement applicable, envisage, sans la définir, la « fin de vie ». Celle-ci peut donc, selon le juge, s’appliquer autant à des personnes que la maladie conduit, de fait, inexorablement et « à court terme » (standard à définir lui aussi) à la mort (du grand âge, à la néonatologie), qu’à des sujets « en coma » qui ne sont pas à l’agonie, mais dont la qualité de vie est fortement dégradée (c’est l’hypothèse de l’affaire Lambert). Dans le premier cas la « fin de vie » se constate, dans le second, elle se décide. Car dans les deux situations, l’objectif de la loi est de permettre l’arrêt des traitements (dont l’hydratation et la nutrition), tout en mettant en œuvre une « sédation profonde et continue », irréversible, jusqu’au décès. Ce choix peut-être celui du patient conscient ou celui du médecin qui se décide au vu des directives anticipées (lesquelles sont supposées s’imposer à lui à condition qu’il les juge adaptées, le Conseil constitutionnel ayant notamment rendu une décision importante sur ce sujet le 10 novembre dernier) et du témoignage de la personne de confiance, le tout dans le cadre d’une « procédure collégiale » dont le médecin a l’entière maîtrise.

Les traitements ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autres effets que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris (article L. 1110-5 CSP). Les soins palliatifs, sont, eux, un droit jusqu’au décès. Par son imprécision, la loi offre donc actuellement à la fois un large prisme de situations potentiellement concernées et une mort « en deux temps » qui ressemble bien à une euthanasie passive (le patient décède de l’arrêt des traitements). Cependant, pensée pour le moment de l’agonie, la loi précise qu’il faut présenter une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme ainsi qu’une souffrance réfractaire aux traitements (si c’est le patient qui interrompt le traitement, l’accès à la sédation nécessite aussi que le pronostic vital soit engagé à « court terme » et soit susceptible d’entraîner une souffrance insupportable).

Quelle est la position du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le sujet ?

La loi semble en pratique trop restrictive à certains, car elle ne permet pas de se faire aider à mourir avant ces phases extrêmes. Elle impose en outre un contrôle médical strict et l’attente d’une dégradation inéluctable de l’état du patient. La demande sociale se porte donc vers le suicide assisté et le CCNE parle, lui, d’une « aide active à mourir » (ce qui englobe l’euthanasie active, l’administration d’un produit létal, avec ou sans demande actuelle du patient, et le suicide assisté, par définition demandé par un patient conscient). C’est l’objet de son Avis 139 « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité », du 30 juin 2022, dans lequel il regrette qu’il n’y ait pas eu de réelles évaluations de l’impact des différentes lois et l’application insuffisante des plans successifs en faveur des soins palliatifs.

Il identifie deux situations qui ne sont pas couvertes par la loi : d’abord, celle de personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, ensuite, les situations de dépendance à des traitements vitaux dont l’arrêt, décidé par la personne lorsqu’elle est consciente, sans altération de ses fonctions cognitives, n’entraîne pas un décès à court terme. Il envisage d’ouvrir le suicide assisté aux personnes souffrant de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances réfractaires, dont le pronostic vital est engagé à « moyen terme » et en suivant une « procédure collégiale ».

Plusieurs pays européens, à l’instar de la Belgique, des Pays-Bas ou encore de l’Espagne, ont modifié leur législation sur la fin de vie. La France doit-elle s’inspirer de ces modèles ?

Les propositions en cours s’inspirent en effet de la Belgique (loi du 28 mai 2002), qui permet au patient de demander la mort lorsqu’il se trouve dans une situation médicale sans issue, en état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. La France pourrait aussi s’en inspirer pour les mineurs dotés de la capacité de discernement (souffrance uniquement physique et décès « à brève échéance »). Plusieurs entretiens, espacés d’un délai raisonnable, s’assurent de la persistance des souffrances et de la volonté réitérée et un contrôle a posteriori existe qui doit être impartial.

Mais c’est du côté de la Suisse qu’il faudrait se tourner pour l’assistance au suicide. Dépénalisée lorsqu’elle est altruiste, elle est pratiquée par des associations (mais trois cantons francophones l’exercent aussi dans les hôpitaux pour les patients souffrant de maladies graves et incurables). La France se trouverait ainsi dans la situation des pays qui permettent à la fois l’euthanasie et le suicide assisté, comme l’Espagne, le Canada ou les Pays-Bas. Là-bas, si sa demande est mûrement réfléchie, que sa souffrance est durable et insupportable, qu’aucune autre solution raisonnable ne peut être apportée à sa situation, le patient fait l’objet de deux examens par des médecins distincts. Et le patient incapable d’exprimer sa volonté peut être euthanasié en vertu d’une déclaration écrite antérieure (y compris en cas de démence avancée).

Quels sont les arguments des partisans du droit à mourir dignement et, à l’inverse, ceux des opposants à une évolution de la législation actuelle ?

Les arguments relèvent de quatre registres différents. D’abord, le plan des principes. La dignité de la personne est conçue par les uns comme indisponibilité de la vie (toutes les vies doivent également être respectées pour éviter le risque de les hiérarchiser) et par les autres comme autonomie individuelle (liberté de se soustraire à la souffrance et à la perte d’autonomie). La dignité peut donc s’évaluer collectivement ou individuellement. C’est pourquoi le CCNE a décidé d’écarter ce principe pour parler de « solidarité », c’est-à-dire soit prodiguer des soins palliatifs, soit aider à mourir. Il place sur le même plan la liberté personnelle qui pourrait primer sur la vie.

Ensuite sur le plan des faits. Les soins palliatifs étant peu développés et onéreux, l’aide active à mourir (euthanasie et suicide assisté) constitue un moyen sûr et pragmatique. L’euthanasie serait déjà pratiquée clandestinement. Par ailleurs, la différence entre aide active et sédation profonde étant minime, le principe de l’euthanasie serait déjà admis et il serait alors aisé d’élargir le périmètre du court au moyen terme (ce qui laisse de la marge à l’interprète).

En outre, sur le rôle de la médecine. Pour les uns, aider à mourir est encore du soin et le médecin doit être encore le centre de la décision et de l’action. Il peut donc aider, parfois même il le devrait (et abandonner sa clause de conscience). Pour les autres, la mort doit redevenir un acte seulement social, assumé par l’individu s’il le peut, sinon effectué par l’entourage et toujours contrôlé par l’Etat. Il faudrait réintégrer la mort à la vie sociale plutôt que de « l’expédier ».

Enfin sur le rôle de la Loi. Pour les uns, ouvrir la liberté de mourir à certains n’obligerait en rien les autres. L’absence de consensus ne serait donc pas un motif de conservatisme. Pour les autres, institutionnaliser l’idée que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues et aidées serait permettre des discriminations et des pressions qui engagent tout le corps social. L’invocation de la « civilisation » est donc réciproque. Donner ou refuser la mort sont-ils plus civilisés l’un que l’autre ?

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