Par Xavier Bioy – Professeur à l’Université Toulouse Capitole – Vice-Président du conseil d’orientation de l’Espace Régional d’Ethique Occitanie
Les 184 membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie ont rendu, le 3 avril, leur rapport d’une centaine de pages d’analyses et propositions. Cette assemblée a été tirée au sort en respectant des critères de représentativité de la société française (genre, âge, diplôme et CSP, lieu de résidence, …).

L’organisation de la Convention a été confiée au Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui a permis la mise en place d’un Comité de Gouvernance et d’une équipe d’animation durant 27 jours pour 9 sessions. La « formation », les diverses auditions et la réflexion se sont déroulées en trois phases (appropriation et rencontre délibération harmonisation) ; d’abord par petits groupes, puis en élargissant et en travaillant par groupes d’opinions. Cette organisation a, en effet, accouché de 105 propositions des citoyens, dont 65 ont été votées à plus de 66% et intégrées au rapport, allant du statu quo à l’accès inconditionné à l’aide active à mourir (soit suicide assisté, soit euthanasie active, soit les deux). Ce nombre peut surprendre et laisser penser que le consensus est encore loin, mais il montre aussi la très grande précision des débats et des résultats présentés comme un « nuancier » permettant toutes sortes de libertés et de contrôles.

Certes, 71% des citoyens ont voté « oui » à la question « La possibilité d’un accès à l’aide active à mourir devrait-elle être ouverte aux personnes avec conditions ? » et 40% des citoyens ont répondu « Suicide assisté et euthanasie au choix » à la question « Quelle(s) modalité(s) d’aide active à mourir vous semble(nt) plus adaptée(s)? », mais cela masque des éléments de consensus large et des désaccords profonds sur le principe de l’aide active à mourir (soit suicide assisté, soit euthanasie, soit les deux au choix ou selon une priorité au suicide sur l’euthanasie).

Quel est le constat général dressé par la Convention citoyenne sur la fin de vie ?

Le consensus le plus large a été obtenu sur un double constat : d’abord, l’échec de l’application des lois actuelles, qu’il s’agisse de l’accès aux soins palliatifs ou de l’application des procédures de la loi Léonetti-Claeys (en cause, la sédation profonde et continue jugée complexe et donnant lieu à une hétérogénéité des pratiques, sans compter sa méconnaissance) ; ensuite, la situation alarmante du système de santé, qui ne pourrait pas même, en l’état, supporter l’ouverture de l’aide active à mourir.

Invités à rêver de changements, les citoyens ont dressé leur « liste au Père Noël » : des soignants en nombre, formés à tous les aspects de la fin de vie, y compris éthiques, dès la faculté, des services de soins palliatifs en établissements, des unités mobiles pour choisir de mourir à domicile, un égal accès de tous, partout, à des traitements de la douleur, des fichiers de suivi des procédures, de la recherche fondamentale sur la douleur…

Il ressort des auditions que “la sédation profonde et continue ne peut concerner qu’une période relativement courte de la fin de vie, car le médicament utilisé a un effet limité dans le temps et que les soins palliatifs ne permettent pas de répondre à des situations de souffrances qui subsistent malgré les soins ou qui ne peuvent être soignées ». Le rapport expose dès lors que l’aide active à mourir répond à ce besoin, qu’elle respecte la liberté de choix des individus, met fin aux situations d’hypocrisie (sic), contribue à rassurer les personnes en fin de vie (re-sic), permet une fin de vie accompagnée.

Cinq étapes clés ont été identifiées par tous. D’abord, l’expression d’une demande libre, éclairée et révocable à tout moment (avec la nécessité de ne pas se limiter à la question des directives anticipées et de valoriser la personne de confiance). Ensuite, un accompagnement médical et psychologique complet et une évaluation du discernement, indispensable et préalable à la « validation de l’entrée dans le parcours d’aide active à mourir ». La personne doit être capable de comprendre la situation dans laquelle elle se trouve et les choix qui s’offrent à elle, d’évaluer les conséquences de chacun de ses choix et, enfin, de décider. Le corps médical valide et encadre le parcours. On assiste donc au maintien d’une forte médicalisation de l’acte, même à domicile, en dépit de la souplesse demandée par la frange la plus libérale. Presque tous les groupes mettent en avant les nécessités de collégialité pluridisciplinaire, transparence et traçabilité, sans vraiment affirmer l’opposabilité de la demande ou en réglant cette question par la clause de conscience des soignants (ce qui pose de réels problèmes en cas de dissension dans l’équipe). Dans ce cas, une liste de professionnels volontaires doit être transmise au patient.

Une majorité de participants à la Convention citoyenne s’est prononcée pour l’ouverture d’une aide active à mourir. Quels critères ont-ils établis ?

Moins de 20% de la Convention a refusé la légalisation de l’aide active à mourir, estimée dangereuse : mettant fin à l’unique mission de soin de l’hôpital, elle risque de banaliser la mort en obligeant chaque famille et chaque patient à l’envisager suscitant une démultiplication des conflits d’intérêt en faisant primer les déterminants économiques. Et de fait, la légalisation explicite (puisqu’il y aurait actuellement une « hypocrisie »), du droit de tuer autrui à sa demande, est forcément un changement majeur du point de vue anthropologique.

Mais, à l’inverse, pour la Convention, l’aide active à mourir est un « gage de fraternité et de solidarité » qui « a vocation à limiter les suicides et les traumatismes qui y sont liés, tant pour la personne que pour son entourage ». Mieux, elle devient un outil de politique publique qui réduit les inégalités (inégalités sociales, économiques, territoriales, …) face aux situations de souffrance vécues. Mais, au sein de la majorité elle-même, deux courants ont émergé : celui, minoritaire, d’un accès dit universel (sans autre condition que la volonté du patient) et celui d’un accès à l’aide active à mourir sous conditions.

Ce second s’est divisé quant à la détermination des conditions substantielles D’abord, l’exigence ou non d’un pronostic vital engagé, quel que soit le terme. Le glossaire a le mérite de normer un peu ce terme : court terme (seul utilisé par la loi actuelle, la personne a un pronostic vital engagé de quelques heures à quelques jours), moyen terme : de quelques jours à quelques mois, long terme : au-delà de plusieurs mois l’issue létale est certaine mais le terme de la maladie n’est pas prédictible. Ensuite, la nécessité d’établir un diagnostic d’incurabilité médicale. Il faut y ajouter la question de l’âge. Pour les mineurs, les avis demeurent très partagés, de rares scénarios leur ouvrent l’aide active (contrairement au choix belge par ex.). Enfin, le fait de retenir les pathologies psychiques (jusqu’aux « souffrances » psychiques comme en Belgique) demeure minoritaire.

Dix-neuf approches d’accès à l’aide active à mourir ont ainsi été proposées et mises au vote, créant un “nuancier” structuré autour de trois grands ensembles : opposition à l’ouverture de l’accès à l’AAM 18%, suicide assisté seul 10%, euthanasie seule 3%, suicide assisté et exception d’euthanasie 28%, suicide assisté et euthanasie au choix 40% (mais à l’intérieur pour 28%, le suicide assisté doit prévaloir et l’euthanasie demeurer une exception pour ceux qui ne peuvent le faire eux-mêmes).

A l’intérieur de chaque groupe, certains ont retenu le caractère cumulatif de deux des critères parmi incurabilité et caractère létal de la pathologie, souffrances réfractaires, pronostic vital engagé selon sa temporalité).

Ainsi, par exemple, le groupe « Euthanasie seule » a retenu trois possibles ouvertures : une pour les patients, même mineurs, qui ont épuisé toutes les ressources curatives, dont le pronostic vital est engagé à brève échéance et qui présentent des souffrances réfractaires (demande expresse du patient conscient) ; une autre pour les personnes majeures inconscientes en état végétatif irréversible, qui en avaient exprimé la volonté ou par l’intermédiaire de la personne de confiance ; enfin, pour des personnes majeures souffrant d’une pathologie incurable et évolutive (polypathologies, certaines pathologies neurodégénératives) et présentant des souffrances intolérables et, ici, la durée de l’espérance de vie n’est pas un critère.

Peu de choses du côté des contrôles, en dépit de la mise en garde de la Cour européenne des droits de l’Homme ayant sanctionné les dérives belges (CEDH, 4 octobre 2022, Mortier c. Belgique, no 78017/17). Une commission de contrôle interviendrait dès l’expression de la demande et tout au long du processus pour vérifier le respect de la procédure ; une autre analyserait « les pratiques entre professionnels ».

Emmanuel Macron a annoncé vouloir « bâtir un projet de loi d’ici la fin de l’été » ainsi qu’un « modèle français de fin de vie ». Quelle(s) conséquence(s) cette loi peut-elle avoir ?

En 2022, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) avait déjà rendu l’avis 139 pour lequel il « existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte ». Compte tenu de la crise actuelle que traverse l’hôpital, et plus généralement les réseaux de soin (certains départements n’ont toujours pas de services de soins palliatifs ou d’unité mobiles), « il paraît difficile de pouvoir envisager une application correcte de l’aide active à mourir, notamment dans la mise en œuvre d’un parcours d’accompagnement » (p. 45).

L’essentiel réside dans le « projet de soin intégrant le patient, les proches et l’équipe soignante afin de s’assurer de la faisabilité du retour à domicile (matérielle, humaine, suivie avec possibilité d’hospitalisation en urgence) ». Les exigences sont lourdes : accompagner spécifiquement les aidants, créer un numéro vert 24h/24h, 7j/7, adapter le nombre de médecins à l’évolution démographique du vieillissement, partout sur le territoire, valoriser le temps des médecins consacré aux patients, imposer d’avoir au moins une infirmière 24h/24 dans chaque EHPAD. La demande est globale, complexe, onéreuse, loin des propositions de loi pendantes au Parlement focalisées sur une « liberté de mourir » sans « droit à mourir bien »

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