Par Sébastien Mabile, Avocat (Seattle Avocats), docteur en droit, membre de la commission environnement du Club des juristes

Le 21 juin dernier, la Convention citoyenne pour le Climat a remis son rapport final au gouvernement. Parmi les 149 mesures proposées, la création du crime d’écocide pour sanctionner les atteintes graves à l’environnement.

Qu’est-ce que l’écocide ?

Le mot est utilisé pour la première fois en 1970 par Barry Weisberg qui publie un ouvrage « Ecocide en Indochine », en référence à la destruction intentionnelle et systématique de 20 000 km2 de forêts par l’armée américaine au Vietnam. Néologisme des termes écosystèmes et génocides, l’écocide signifie littéralement « la destruction (Cidere) de la maison (Ekos) ». Le terme sera repris en 1972 par le premier ministre suédois Olof Palme lors de la Conférence fondatrice de Stockholm sur l’environnement.

Dans les années 1970, l’interdiction de l’utilisation des armes de guerre à des fins de destruction de l’environnement sera consacrée dans des textes internationaux [1]. Quant au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, entré en vigueur le 1er juillet 2002, il définit comme crime de guerre « le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, (…) ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu » [2]. Si ces textes visaient à prévenir, sans le nommer explicitement, « l’écocide » en temps de guerre, aucune disposition de notre droit positif ne consacre l’écocide en temps de paix.

L’idée d’élever au rang de crime international la destruction grave et durable de l’environnement a pourtant été portée dès les années 1990 par la Commission du droit international des Nations-Unies, en réaction notamment aux catastrophes ou de Bhopal en 1984, de Tchernobyl en 1986. Elle sera reprise par une avocate anglaise, Polly Higgins, qui contribuera à sa popularisation. En 2015, un groupe de juristes piloté par Laurent Neyret proposait de consacrer le crime d’écocide au niveau international, défini comme « tout acte intentionnel commis dans le cadre d’une action généralisée ou systématique et qui porte atteinte à la sureté de la planète » [3].

Malgré ces initiatives, le crime d’écocide en temps de paix n’a encore été consacré par aucun texte international. C’est donc sur le terrain du droit interne que la notion revient en force en 2019, à travers deux propositions de lois présentées d’abord au Sénat en mars puis à l’Assemblée nationale en octobre, puis en 2020 avec la proposition de la Convention citoyenne pour le climat.

Quel est le but poursuivi par ces projets d’inscription de l’écocide dans le droit ?

Dans ces différents projets, le crime d’écocide est principalement destiné à sanctionner les comportements de personnes morales dont les activités provoqueraient des dommages particulièrement graves à l’environnement. L’exposé des motifs de la proposition de loi présentée au Sénat mentionne que la criminalité environnementale « résulte aussi d’entreprises multinationales ou transnationales qui, profitant des lacunes du droit pénal dans la lutte contre la criminalité environnementale, agissent en toute impunité. » Celui de la proposition de loi présentée à l’Assemblée nationale précise qu’ « il n’existe pour l’heure pas de réponse pénale adaptée à la criminalité industrielle des grandes entreprises qui bénéficient de l’adage too big to fail. » A cette fin, les députés proposaient de punir le crime d’écocide, lorsqu’il s’agit d’une entreprise, d’une amende portée à « 20 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent ».

La proposition de la Convention citoyenne pour le climat poursuit le même objectif afin de « permettre de protéger nos écosystèmes de la dégradation et de la destruction, garantir l’habitabilité de notre planète et nous inscrire dans la maîtrise des gaz à effet de serre, en faisant porter la responsabilité juridique et financière sur les auteurs des déprédations. » Elle définit l’écocide comme « toute action généralisée ou systématique ayant causé un dommage écologique grave consistant en un dépassement manifeste et non négligeable d’au moins une des limites planétaires et dont l’auteur savait ou aurait dû savoir qu’il existait une haute probabilité de ce dépassement. » Il s’agirait d’une infraction particulièrement grave punie d’une peine de 20 ans de réclusion criminelle, outre une amende de 10 millions d’euros. Les rédactions proposées se heurtent toutefois à des difficultés.

Quelles sont les difficultés rencontrées par l’introduction du crime d’écocide dans le droit ?

La première tient à la qualité rédactionnelle des textes proposés tant par les parlementaires que par la Convention citoyenne pour le climat. Portalis déclarait qu’« en matière criminelle, où il n’y a qu’un texte formel et préexistant qui puisse fonder l’action du juge, il faut des lois précises et point de jurisprudence » [4]. Rappelons que l’exigence de précision de la loi pénale qui découle des principes affirmés aux articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, constitue un rempart contre l’arbitraire qui contribue aux garanties procédurales. Or, les définitions proposées sont aujourd’hui insuffisamment précises, tant pour l’élément matériel que pour l’élément moral de l’écocide.

La seconde difficulté tient à la matérialité même de l’infraction envisagée. Personne n’est aujourd’hui en mesure, à l’appui d’exemples récents de faits commis en France ou portant atteinte au territoire national, de déterminer ce qui relèverait de l’écocide. En revanche, il semble évident que la destruction planifiée du biome amazonien pourrait caractériser une « action généralisée ou systématique ayant causé un dommage écologique grave ».

L’enjeu n’est donc pas tant la reconnaissance du crime d’écocide en droit interne que la compétence des juridictions françaises pour poursuivre les auteurs de dommages écologiques graves commis à l’étranger. Historiquement, la compétence universelle était réservée aux infractions graves qui lésaient les intérêts communs de tous les États. C’est par exemple le cas de la piraterie maritime dont les auteurs peuvent être jugés en France même si les faits se sont produits dans les eaux internationales. La plupart des cas de compétence universelle sont aujourd’hui prévus par les articles 689-2 à 689-12 du Code de procédure pénale. A l’instar des crimes de terrorisme, de piraterie ou des crimes de guerre ou de génocide, la compétence universelle du juge français pourrait être reconnue pour poursuivre et juger les auteurs d’écocide commis à l’étranger, conférant alors un réel intérêt à l’incrimination. Précisons toutefois que certains auteurs soutiennent qu’un État ne peut établir sa compétence pénale universelle que si un traité international l’y autorise expressément, ce qui n’est évidemment pas le cas en l’espèce. Argument supplémentaire pour que soit soutenue, comme le Président de la République s’y est engagé, la reconnaissance de l’écocide en temps de paix au sein du statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Enfin, et pour répondre à la demande sociale exprimée par la Convention citoyenne de mieux réprimer les atteintes à l’environnement, une extension du délit de mise en danger de la vie d’autrui à l’environnement permettrait de faire entrer dans le champ du droit pénal un certain nombre de comportements qui en sont aujourd’hui exclus.

 

[1] Convention du 10 décembre 1976 sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles et protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (dit « Protocole I »).
[2] Article 8, 2, b), iv) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
[3] Des écocrimes à l’écocide: Le droit pénal au secours de l’environnement, éditions Bruylant, 2015.
[4] Portalis, Discours préliminaire du premier projet de code civil.