Par Jean-Pierre Camby, Professeur associé à l’Université de Versailles-Saint Quentin

« Les rapports de l’IGPN et de l’IGGN seront désormais rendus publics — transparence, toujours — et … les directeurs généraux chargés de prendre systématiquement une décision suite aux propositions de sanctions seront mobilisés. Sanctions qui peuvent aussi donner lieu à des réorganisations de service, et de le faire dans le mois qui suit leur publication. Sur ce sujet, je veux être clair : une inspection générale n’est pas une autorité administrative indépendante. J’y ai beaucoup réfléchi. Je pense que les inspections doivent avoir un statut à part au sein des directions, c’est légitime et cela va avec les personnes qui les dirigent. Mais elles doivent être un instrument pour les directeurs et directrices et pour les ministres pour œuvrer. Sinon, il n’y a plus de commandement. Je crois au commandement et à la responsabilité. Il doit y avoir du commandement donc il y a quelqu’un qui décide et qui nomme. Simplement, transparence des rapports et transparence sur le suivi de ces rapports qui devront donner lieu à des décisions claires, personnelles ou organisationnelles. Voilà pourquoi aussi je proposerais aux présidents des chambres parlementaires que, sur le modèle de la délégation parlementaire au renseignement, soit créée une instance de contrôle parlementaire des forces de l’ordre qui pourra procéder à l’évaluation de leurs actions. »

Emmanuel Macron clôturant le 15 septembre 2021 le « Beauvau de la sécurité ».

Doit-on s’étonner d’une telle proposition de création d’une instance parlementaire ?

Le Chef de l’Etat est totalement dans son rôle, s’agissant des missions régaliennes de l’Etat, ou plus généralement pour annoncer des réformes. En revanche l’affirmation d’une proposition d’organisation des assemblées parlementaires, faite à leurs Présidents, pose la question de la séparation des pouvoirs. Le Président de la République n’est pas, dans le cadre d’un système parlementaire, responsable politiquement devant l’Assemblée nationale. C’est le Premier ministre qui assume cette responsabilité, et donc qui est le seul acteur gouvernemental de l’initiative parlementaire. En particulier c’est à lui qu’il incombe de déposer les projets de loi et d’engager la responsabilité du Gouvernement. Au-delà, on peut voir dans une telle annonce une altération de l’autonomie décisionnelle du Parlement s’agissant d’une question qui a trait à son propre travail (1). Lorsque les Présidents de la République sont amenés à faire des propositions inhérentes à l’organisation parlementaire, c’est à l’occasion de campagnes électorales ou de mise en œuvre des programmes qui y sont présentées. Elles s’inscrivent alors sous la bannière d’une réforme des institutions, et souvent sont intégrées à une révision de la Constitution pour son volet parlementaire ou laissent libres les assemblées de modifier leur règlement. On peut citer l’exemple célèbre de l’annonce par Valéry Giscard d’Estaing en 1974 des séances de questions au gouvernement, le texte de l’article 48 de la Constitution ayant été adapté seulement en 1995 après leur mise en œuvre sur une base consensuelle, ou celui du débat du deuxième tour en 2007 où les deux compétiteurs furent d’accord pour que la Présidence des commissions des finances revienne à l’opposition. En revanche, dans la cadre de l’autonomie du Parlement, c’est en son sein que doivent, par principe, naître les initiatives le concernant : la création de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques par la loi du 8 juillet 1983, la loi organique sur les lois de finances (LOLF), la loi du 20 juillet 1991 relative aux commissions d’enquête parlementaires, l’article 88-4 de la Constitution sur le contrôle du droit de l’Union, etc. proviennent d’initiatives parlementaires. On ne peut donc que s’étonner dans ce qui apparaît comme une incitation du Chef de l’Etat à organiser ce qui relève de l’autonomie parlementaire.

L’initiative parlementaire n’a cependant pas été à l’origine de la délégation parlementaire au renseignement, prise comme référence.

Si la délégation parlementaire au renseignement, créée par la loi du 9 octobre 2007 est issue d’un projet de loi, elle répond aussi à des propositions de loi, émanant d’ailleurs de parlementaires de tendances politiques distinctes, en 1999, et trouve son origine dans l’article 154 de la loi de finances pour 2002, qui provient d’un amendement du gouvernement reprenant l’intention d’amendements parlementaires (débats du 14 novembre 2001, P. 7865 et s.). D’autres amendements débattus dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le terrorisme du 24 janvier 2006 proposaient de compléter le dispositif qui connaît une limite évidente tenant à la liberté d’action de l’exécutif. C’est à celui-ci qu’il convient de fixer des limites à ce type de contrôle. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs pris le soin, dans la décision du 27 décembre 2001 (n° 2001-456 DC) d’empêcher la commission administrative alors créée pour contrôler l’usage des fonds spéciaux d’« intervenir dans des opérations en cours ». C’est donc sur le développement du contrôle parlementaire que s’est greffé le contrôle du renseignement, à partir d’une volonté parlementaire. La séparation des pouvoirs conduit naturellement à aménager le contrôle de ces actions, qui touchent à la politique extérieure et à la sécurité du territoire, mais en tenant compte de cette limite, c’est bien pour répondre à des demandes parlementaires reprises et encadrées par le gouvernement, que la loi a été adoptée. Elle s’inscrit dans la cadre du contrôle des dépenses publiques .

Le contrôle parlementaire peut-il se développer sur les actions des forces de police ?  

Le contrôle parlementaire a déjà tout moyen d’enquêter ponctuellement sur des violences policières ou des opérations de police. Plus globale, la fonction du contrôle étendue à la notion d’évaluation s’applique, avec la loi organique sur les lois de finances en 2001, à la mesure de la performance des programmes budgétaires, puis, avec la nouvelle rédaction de l’article 24 de la Constitution, en 2008, au contrôle des « politiques publiques » (2) et non à une appréciation d’opérations administratives précises. Ici cette notion d’évaluation est maniée avec une finalité fort différente.  Il s’agit non plus de contrôler l’efficacité de l’usage des deniers publics ou d’une politique publique mais de juger du déroulement d’opérations ponctuelles de maintien de l’ordre. Cette évaluation ferait suite à des rapports de corps d’inspection, pour des actions donnant lieu le cas échéant à des sanctions administratives, voire à des poursuites  pénales. On peut formuler trois remarques. La première est que les assemblées sont déjà à même d’enquêter sur des faits « déterminés avec précision » en créant des commissions d’enquête ou en dotant d’autres structures internes de tels pouvoirs, en posant des questions ou encore en procédant à des auditions. La deuxième remarque c’est que l’on voit mal un contrôle parlementaire prendre systématiquement la suite d’une inspection administrative ou d’une procédure judiciaire. Est-ce sa finalité, et comment serait interprétée une remise en cause politique de l’action des forces de l’ordre ? Si la séparation des pouvoirs est aujourd’hui malmenée et prend l’allure, en étant optimiste, d’un manteau d’harlequin, en étant pessimiste, d’un habit en lambeaux, elle s’oppose toujours, s’agissant précisément des enquêtes parlementaires, à la création d’une commission d’enquête lorsque les faits donnent lieu à enquête judiciaire.  La pratique parlementaire ramène cette prohibition à l’impossibilité d’une investigation précise qui coïncide avec celle de la justice et non au blocage de la création de la commission elle-même. Mais on voit bien que l’institution parlementaire et l’autorité judiciaire agissent chacune selon une autonomie respective. Troisièmement, ce mélange des genres, où concrètement des parlementaires seraient amenés à apprécier des actes policiers et des enquêtes administratives, ramène le mandat parlementaire à une mission de service public qui fait du parlementaire le détenteur d’une « parcelle de l’autorité publique ». La Cour de cassation a ainsi défini le mandat parlementaire en s’appuyant sur les possibilités de visite de lieux de détention (Cass. crim., 27 juin 2018, no 18-80.069) et fait passer au second rang la fonction, pourtant constitutionnelle, essentielle et souveraine, de voter la loi puis d’en évaluer l’application. Elle fait du mandat parlementaire un élément de contrôle de l’action administrative plus que le détenteur du pouvoir souverain de voter la loi.

(1) On se permet de renvoyer au travail parlementaire sous la Ve République, LGDJ, systèmes, 2021.

(2) V Pauline Turk, le contrôle parlementaire, LGDJ, 2011, p. 189 ; Philippe Blacher, le Parlement en France, 2012, p. 129 ; Pierre Avril, Jean et Jean Éric Gicquel, droit parlementaire, 6e édition, 2021 n° 546 et s. ou les numéros 97 (mars 2007) : la LOLF et la Ve République, et 113 (février 2011) : les commissions des finances, en particulier A Baudu, Revue française des finances publiques sous la direction de Michel Bouvier, mars 2007.

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