Par Victor Camatta, Pierre-Marie Roch et Ronan Vallerie, avocats, Bredin Prat

Cet article faite suite à celui relatif à la suspension des délais dans les procédures fiscales à retrouver ici.

Les délais applicables en contentieux fiscal sont, essentiellement régis par une règle de prorogation équivalant à une interruption doublée d’un butoir.

Cette règle, prévue par l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence, concerne « [t]out acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication [1] » qui « aurait dû être accompli » pendant la période juridiquement protégée et prévoit que de tels actes seront « réputé[s] avoir été fait[s] à temps » s’ils sont effectués « dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

En d’autres termes, en appliquant, par prudence, la règle de computation la moins favorable au contribuable s’agissant de la détermination de la « période juridiquement protégée », les délais dont l’échéance est comprise entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus courront à nouveau en intégralité à compter de cette dernière date, sans qu’ils puissent toutefois excéder le 24 août 2020 [2].

Les délais de réclamation ne devraient pas en principe être concernés par cette règle.

En l’état actuel des textes, les délais, prévus par les articles R* 196-1 et suivants du LPF, dont dispose le contribuable pour déposer une réclamation contentieuse, devraient demeurer inchangés car, leur terme étant fixé au 31 décembre, ils ne sont pas susceptibles d’expirer pendant la « période juridiquement protégée ».

Il pourrait toutefois en aller différemment du délai spécial de réclamation en cas d’utilisation par l’Administration de son droit de reprise suspendu par l’article 10 précité de l’ordonnance, l’article R* 196-3 du LPF prévoyant dans un souci d’égalité des armes que le contribuable dispose « d’un délai égal à celui de l’Administration pour présenter ses propres réclamations ».

On relève enfin que les délais applicables à l’Administration dans le traitement des réclamations contentieuses pourraient, quant à eux, être suspendus s’ils étaient considérés comme des délais dans lesquels « une décision peut ou doit intervenir » au sens de l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars dernier. Tel pourrait ainsi être le cas du délai de six mois imparti à l’Administration pour statuer sur une réclamation contentieuse d’assiette (LPF, art. R* 198-10) et à l’expiration duquel, le contribuable peut, en l’absence de décision expresse, saisir le tribunal compétent [3].

La règle de prorogation devrait en revanche être applicable à l’essentiel des délais de recours contentieux.

Les articles 15 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 et 2 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 du même jour prévoient ainsi que cette règle est applicable devant les juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

En matière fiscale, et sous réserve qu’ils expirent pendant la « période juridiquement protégée », la prorogation devrait concerner :

  • le délai de deux mois applicable aux contestations formées en matière de recouvrement de l’impôt (LPF, art. R* 281-3-1) ;
  • les délais de recours applicables, tant au contribuable qu’à l’Administration, dans le cadre d’une procédure de plein contentieux intentée devant le juge de l’impôt : délai de saisine de la juridiction de première instance faisant suite au rejet d’une réclamation contentieuse [4] , délais d’appel et de cassation ;
  • le délai de recours applicable dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir et notamment, le délai de deux mois désormais opposable [5] au recours tendant à l’annulation de commentaires administratifs mis en ligne au Bulletin officiel des finances publiques.

La référence faite par l’article 2 précité de l’ordonnance aux délais légalement impartis conduit à s’interroger sur l’applicabilité de la prorogation aux délais non prévus par des textes mais issus de règles jurisprudentielles. Tel est notamment le cas du « délai raisonnable » d’un an introduit par la jurisprudence Czabaj [6] ou du délai de deux mois courant à compter de la décision Hasbro [7] dans lequel les instructions fiscales mises en ligne avant le 1er janvier 2019 sont encore susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir sans qu’une forclusion puisse être opposée.

La thèse selon laquelle de tels délais devraient bénéficier de la règle de prorogation nous semble prendre appui sur deux arguments forts. Le premier, tiré de la lettre du texte, repose sur le principe selon lequel les règles jurisprudentielles font partie intégrante du « bloc de légalité », de sorte que les délais en cause devraient être assimilés à des délais légalement impartis. Le second, fondé sur l’objet de la prorogation, s’appuie sur l’idée selon laquelle exclure de tels délais du bénéfice de cette dernière serait méconnaître sa raison d’être, à savoir ne pas priver de leur droit au recours des justiciables empêchés d’agir [8] .

S’agissant spécifiquement du délai introduit par la jurisprudence Czabaj, il pourrait en tout état de cause être soutenu que la période d’état d’urgence sanitaire constitue une « circonstance particulière » de nature à proroger la durée du « délai raisonnable ».

À noter enfin que les délais non impératifs impartis par les juridictions pour la production de mémoires ou de pièces devraient pouvoir, quant à eux, être assimilés à des « mesures d’instruction » au sens de l’article 3 de l’ordonnance du 25 mars 2020 et bénéficier, par suite, d’une prorogation de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de la « période juridiquement protégée », soit jusqu’au 24 août 2020 [9] . Cette assimilation n’étant toutefois pas certaine, le pragmatisme incitera à saisir le greffe de la juridiction pour solliciter, le cas échéant, une extension de délai. En tout état de cause, s’agissant des juridictions administratives, l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-305 précitée prévoit que les mesures de clôture d’instruction dont le terme vient à échéance entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire sont prorogées jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant cette dernière date, soit jusqu’au 23 juin 2020 en l’état actuel des textes [10].

 

[1] Le II de l’article 10 de l’ordonnance exclut en revanche du champ de l’article 2 les « déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes ».

[2] À noter que, si dans l’hypothèse de délais non francs, cette date butoir pourrait théoriquement être fixée au 23 août 2020, cette circonstance ne devrait pas avoir d’incidence pratique dès lors que le 23 août 2020 est un dimanche et que de tels délais devraient, dans ces conditions, également expirer le 24 août 2020. Par ailleurs, on relève qu’une autre approche envisageable, en vertu de laquelle les délais ne courraient qu’à compter du 24 juin 2020 à 00 h 00, aboutirait à repousser cette échéance au 25 août 2020 dans l’hypothèse de délais francs. Cette dernière approche semble toutefois ne pas être retenue par les commentaires administratifs précités qui retiennent comme date butoir le 24 août 2020 (BOI-DJC-COVID19-10, 3 avril 2020, § 50).

[3] Sauf à ce qu’il soit considéré que la suspension du délai de l’article R.* 198-10 du LPF n’influe pas automatiquement sur le délai de l’article R* 199-1 de ce code, malgré le renvoi opéré par ce dernier texte. Dans ce cas, le délai de six mois à l’expiration duquel le contribuable peut saisir le tribunal administratif ne serait pas suspendu.

[4] Soit le délai de deux mois prévu par l’article R* 199-1 du LPF, en matière de contentieux de l’assiette, et le délai de deux mois prévu par l’article R* 281-4 du LPF, en matière de contentieux du recouvrement.

[5] CE, sect., 13 mars 2020, n° 435634, Hasbro European Trading BV (HET BV) : Dr. fisc. 2020, n° 15, comm. XXX. – V. également, N. Jacquot et N. Guilland, R.I.P. le REP ? : Dr. fisc. 2020, n° 13, act. 105.

[6] CE, ass., 13 juill. 2016, n° 387763, Czabaj : Lebon, p. 340, concl. O. Henrard ; Dr. adm. 2016, n° 12, comm. 63, note G. Éveillard ; Procédures 2016, comm. 312, note S. Deygas ; JCP A 2017, 2053, chron. O. Le Bot ; JCP G 2016, 1396, note X. Souvignet ; RJF 12/2016, n° 1127 ; FR 45/2016, p. 8, note S. Austry ; AJDA 2016, p. 1629, note L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, n° 387763. – Transposé en matière fiscale dans l’hypothèse spécifique où un avis d’imposition ou un avis de mise en recouvrement ne mentionnerait pas les voies et délais de recours applicables par CE, sect., 31 mars 2017, n° 389842 : JurisData n° 2017-006149 ; Lebon, p. 105 ; Dr. fisc. 2017, n° 24, comm. 351, concl. B. Bohnert, note J.-L. Pierre ; RJF 6/2017, n° 616 ; FR 18/2017, inf. n° 6, note B. Bohnert. En revanche, la possibilité d’une transposition de la jurisprudence Czabaj au cas dans lequel l’Administration n’a pas répondu à une réclamation, passé un délai de six mois fait encore débat à ce jour.

[7] CE, sect., 13 mars 2020, n° 435634, Hasbro European Trading BV (HET BV), préc.

[8] C’est aussi la raison d’être du délai de deux mois courant à compter de la décision Hasbro.

[9] Le 23 août 2020 (si l’on retient l’approche la moins favorable aux justiciables) étant un dimanche.

[10] En retenant l’approche la moins favorable aux justiciables

 

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