Capturée par les forces irakiennes le 8 juillet 2017, Mélina Boughedir, ressortissante française, a été condamnée à la prison à perpétuité par la cour pénale de Bagdad, dimanche 3 juin, pour avoir rejoint le groupe État islamique (EI). Décryptage de cette condamnation par Didier Rebut, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas et Membre du Club des juristes.

« Le transfèrement n’est jamais une obligation pour les États, y compris en cas de convention internationale »

Mélina Boughédir, ressortissante française arrêtée en Irak, a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité. Ses avocats réclament qu’elle exécute sa peine en France. Est-ce possible ?

Il existe bien une procédure permettant à un ressortissant français condamné à une peine d’emprisonnement à l’étranger de l’exécuter en France. Elle s’appelle le transfèrement de condamnés. C’est une procédure spéciale qui est réglementée aux articles 728-2 et suivants du Code de procédure pénale. Elle a été mise en place à la fin des années 1970 pour des raisons sanitaires et humanitaires. Il s’agissait de permettre à des français condamnés à des peines de prisons dans des pays où les conditions de détention étaient dangereuses pour leur santé ou leur sécurité de purger leur peine en France. C’est ainsi que les premiers cas de transfèrement ont concerné des français condamnés dans des pays d’Asie du Sud Est comme la Thaïlande. Le transfèrement s’est ensuite généralisé. Car il aide aussi à une meilleure réinsertion en permettant aux condamnés d’exécuter leur peine dans leur pays d’origine où ils ont leur famille et où ils sont, par hypothèse, dans un environnement culturel et social qui leur est proche.

Le transfèrement ne doit pas être confondu avec l’extradition. Alors que l’extradition est une procédure destinée à faire revenir une personne, qui n’est pas nécessairement française, sur le territoire français afin de la juger ou de lui faire exécuter une peine prononcée par les juridictions françaises, le transfèrement est une procédure qui a pour objet de faire exécuter en France une peine prononcée contre un ressortissant français par des juridictions étrangères. C’est la procédure qui a, par exemple, été appliquée à Bertrand Cantat. Condamné en Lituanie à 8 ans d’emprisonnement pour le meurtre de Marie Trintignant, il a ensuite été transféré en France pour y exécuter sa peine. En l’occurrence, la demande des avocats de Mélina Boughédir porte donc sur un transfèrement et non sur une extradition même si c’est le terme qu’ils ont semble-t-il employé.

Le transfèrement, c’est-à-dire l’exécution en France d’une peine d’emprisonnement, est-elle de droit pour les condamnés français à l’étranger ? Y a-t-il des conditions à cette exécution ?

Le transfèrement donne lieu à un accord entre l’État de condamnation et l’État  d’exécution, c’est-à-dire l’État de nationalité du condamné. Cet accord intervient généralement dans le cadre d’une convention de transfèrement qui a été conclue entre ces deux États et qui fixe les conditions d’un transfèrement entre eux. La France a ainsi signé un certain nombre de conventions de transfèrement. La plus importante est la convention du Conseil de l’Europe signée le 21 mars 1983 qui est applicable dans 66 pays. La France a aussi signé des conventions dites bilatérales avec un État en particulier. Elle a ainsi signé des conventions de transfèrement avec, par exemple, le Maroc, la Thaïlande, l’Inde ou la République dominicaine. Mais elle n’a pas conclu de convention avec l’Irak.

La conclusion d’une convention internationale n’est pas cependant une condition de mise en œuvre d’un transfèrement. Celui-ci peut en effet intervenir en l’absence d’une convention internationale. Il nécessite la conclusion d’un accord international ponctuel entre les deux États concernés. L’absence de convention de transfèrement entre la France et l’Irak n’interdit donc pas que Mélina Boughédir puisse bénéficier d’une telle mesure. Mais elle ne pourrait avoir lieu qu’après une décision définitive des juridictions irakiennes, ce qui n’est semble-t-il pas le cas pour le moment puisque ses avocats ont fait savoir qu’elle entendait faire appel de sa condamnation.

Un transfèrement est en outre soumis à des conditions dont la plus importante est le consentement des États concernés, lesquels n’ont pas d’obligation de l’accepter. Il s’agit de ménager la souveraineté des États qui ne veulent pas être contraints de consentir à faire exécuter une peine prononcée par leurs juridictions dans un autre État où l’exécution de cette peine pourrait être très différente de celle qui aurait eu lieu sur leur territoire. C’est pourquoi le transfèrement n’est jamais une obligation pour les États, y compris en cas de convention internationale. C’est ce qui s’est observé, il y a quelques années, pour Florence Cassez avant qu’elle ne soit libérée. La France avait réclamé son transfèrement après sa condamnation mais le Mexique avait déclaré qu’il s’y opposait alors qu’il a signé la convention du Conseil de l’Europe de 1983 comme la France. L’État d’exécution est aussi libre de consentir au transfèrement, de sorte qu’il ne supporte pas d’obligation internationale de l’accepter. Il est vrai que l’objectif de réinsertion poursuivi par le transfèrement lui permet moins de s’y opposer sans faire valoir de bonnes raisons à ce sujet. En France, c’est le ministère de la justice qui est compétent pour accepter le transfèrement sur le territoire national d’un condamné français à l’étranger, ce qui montre que le consentement à un transfèrement relève du pouvoir politique et non de l’autorité judiciaire.

Les juridictions françaises pourraient-elles modifier la peine prononcée contre Mélina Boughédir après son transfèrement en France ? Pourraient-elles la    rejuger ?

S’agissant de la peine prononcée à l’étranger, le principe est en France celui dit de la poursuite de l’exécution, ce qui signifie que cette peine n’est pas modifiée. Il n’en va autrement qu’au cas où la peine prononcée à l’étranger est considérée comme incompatible avec la loi française, ce qui est le cas pour une peine que la France ne prévoit pas, comme les travaux forcés, ou pour une peine d’une durée supérieure au maximum prévue par la loi française pour les mêmes faits. Dans cette hypothèse, le tribunal correctionnel du lieu de détention est compétent pour adapter la peine étrangère, c’est-à-dire pour substituer à la peine étrangère la peine française qui lui correspond le plus. Cette substitution ne peut pas cependant conduire à diminuer une peine au prétexte qu’elle aurait été trop sévère. Le critère de la substitution ne réside pas dans la sévérité de la peine prononcée mais dans son absence de prévision par la loi française. Concernant la peine prononcée contre Mélina Boughédir, il ne semble pas, si elle était transférée en France, qu’il y aurait lieu à une procédure d’adaptation étant donné que la peine prononcée contre elle n’excède pas le maximum prévu par la loi française pour les faits de terrorisme pour lesquels elle a été condamnée.

En revanche, le régime d’exécution de la peine prononcée à l’étranger est celui prévu par le droit français. Cette peine bénéficie, par exemple, des mêmes mesures d’aménagement ou de réduction de peines qu’une peine prononcée par les juridictions françaises. Cela découle du principe de la territorialité des lois pénales qui interdit d’appliquer une loi pénale étrangère sur le territoire français.

S’agissant d’un rejugement, la France ne pourrait pas poursuivre Mélina Boughédir pour les faits pour lesquels elle a été condamnée. Cette interdiction est expressément prévue par l’article 728-9 du Code de procédure pénale. Elle s’explique par l’idée que la France ne saurait poursuivre et juger des faits ayant donné lieu à une condamnation qu’elle fait elle-même exécuter En revanche, il n’y aurait pas d’obstacle à des poursuites pour d’autres faits qui n’auraient pas été jugés en Irak comme ceux commis sur le territoire français.

Par Didier Rebut