Mercredi 16 octobre, le tribunal correctionnel de Paris a condamné  huit militants écologistes à 500 euros d’amende chacun pour avoir décroché des portraits du président Emmanuel Macron dans des mairies de trois arrondissements de la capitale, en février dernier.

Décryptage par Guillaume Beaussonie, Professeur à l’Université Toulouse 1-Capitole

« Les militants parisiens espéraient bénéficier également du fait justificatif d’état de nécessité du jugement lyonnais, dont l’effet radical est de neutraliser l’incrimination »

Que reproche la justice aux militants ? Sur quels fondements ?

Il était question, rappelons-le, de huit militants écologistes qui, dans le cadre d’une campagne nationale « Décrochons Macron », menée par le mouvement « Action non-violente COP21 » (ANV-COP21), s’étaient emparés, sans violence ni dissimulation, des portraits du chef de l’État situés dans les mairies des IIIe, IVe et Ve arrondissements de Paris, ces actions ayant eu lieu les 21 et 28 février 2019.

Ils étaient consécutivement poursuivis pour vol, le fait qu’ils aient à chaque fois agi à plusieurs constituant la circonstance aggravante de réunion. En vertu de l’article 311-4 du Code pénal, ils encouraient donc des peines de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Le parquet de Paris avait requis à l’encontre de chacun une peine de 1 000 euros d’amende, dont 500 avec sursis, afin « qu’on ne dévoie pas une lutte totalement légitime ».

Par ailleurs, était également poursuivi un vidéaste du média associatif « Partager c’est sympa », qui avait filmé l’action de décrochage s’étant déroulée dans la mairie du 5e arrondissement.

De leur côté, aucune des mairies concernées n’avait porté plainte.

Quels étaient les arguments invoqués par les militants ?

Ces militants n’étaient ni les premiers ni les seuls à être poursuivis pour de telles actions, plus d’une centaine de « réquisitions » symboliques ayant été revendiquées par leur mouvement, et plus d’une dizaine de procès ayant eu lieu à cet égard ou allant avoir lieu.

Le plus notoire d’entre eux, sans doute, est celui qui s’est déroulé à Lyon le 16 septembre 2019, le tribunal correctionnel ayant alors, contre toute attente, relaxé les prévenus, semble-t-il en raison de l’état de nécessité dans lequel ils se trouvaient. Selon le juge lyonnais, en effet, le vol commis avait été un « substitut nécessaire du dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple », les deux protagonistes ayant ainsi agi « dans un but voué exclusivement à la défense [d’une] cause particulière servant l’intérêt général », en l’occurrence la nécessité d’exprimer leur malaise face au défaut de respect par l’État des objectifs auxquels il s’est engagé en matière de lutte contre le dérèglement climatique.

Le mouvement « Action non-violente COP21 » (ANV-COP21) est d’ailleurs né en réaction à une réponse jugée insuffisante de l’exécutif à la pétition sur le climat baptisée « L’Affaire du siècle » et signée par plus de deux millions de personnes.

En l’espèce, les militants parisiens espéraient bénéficier également du fait justificatif d’état de nécessité, dont l’effet radical est de neutraliser l’incrimination, empêchant par là même toute condamnation des auteurs de l’infraction. Ils invoquaient en ce sens, dans la continuité de l’affaire lyonnaise, le fait d’avoir agi par « devoir moral », alors qu’ils n’avaient pas « d’autre choix » que la « désobéissance civile non-violente », face à « la menace » du réchauffement climatique et « l’inaction » du gouvernement en la matière.

Qu’a décidé le tribunal ?

Le tribunal correctionnel de Paris a, sans surprise, condamné les huit « décrocheurs » mais relaxé le vidéaste. La peine retenue est une amende de 500 euros par coauteur.

À propos du vidéaste, la relaxe n’est que la conséquence logique du constat que, à l’instar de ce qu’il affirmait, le prévenu était là « à 100% pour filmer, pas [pour] participer » au décrochage. Filmer une infraction, en effet, n’est puni par la loi pénale que lorsque sont en cause des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne (art. 222-33-3 Code. pén.), ce qui n’était le cas en l’occurrence.

À propos des décrocheurs, le tribunal correctionnel a considéré de façon tout aussi logique que l’état de nécessité n’était « pas constitué », faute, sans doute (nous n’avons pas, pour le moment accès au jugement), de lien suffisant entre le danger et l’acte perpétré en réponse. Un tel vol ne représente pas, en lui-même, le moyen de mettre fin au danger consécutif au dérèglement climatique ou à l’absence de lutte suffisante contre lui, de sorte qu’il paraît difficile de dire qu’il constituait le seul choix pour ses auteurs. Or, à défaut du caractère inéluctable de la réponse infractionnelle face à la menace inévitable qui l’a justifiée, il ne saurait y avoir état de nécessité au sens de l’article 122-7 du Code pénal.

On comprend néanmoins le désarroi des décrocheurs en considération du précédent lyonnais. Nous verrons dans quelque temps si les cours d’appel saisies dans ces deux affaires laisseront demeurer la contradiction. Le cas échéant, ce sera alors à la Cour de cassation de trancher.

Pour aller plus loin :

Par Guillaume Beaussonie.